L’Europe peut faire une véritable différence dans la lutte pour la démocratie et les droits syndicaux aux Philippines

L'Europe peut faire une véritable différence dans la lutte pour la démocratie et les droits syndicaux aux Philippines

Le 1er mai 2023, à l’occasion de la Journée internationale des travailleurs, plus de 10.000 représentants de différents syndicats, de fédérations du travail et d’organisations de travailleurs ont entrepris une marche d’Espaa à Mendiola qui s’est terminée par un rassemblement devant l’ambassade des États-Unis à Manille pour réclamer des augmentations salariales, la fin de la sous-traitance et le plein respect des droits du travail.

(Jose Santos/NurPhoto via AFP)

Au cours du dernier week-end d’avril, Alex Dolorosa, le leader syndical philippin âgé de 38 ans, a été retrouvé mort après avoir été poignardé à 23 reprises. Il s’agit encore une fois d’une exécution extrajudiciaire d’un responsable syndical aux Philippines.

Dolorosa travaillait dans un centre d’appels où il est devenu un membre actif du syndicat BIEN (BPO Industry Employees Network Philippines) affilié au syndicat mondial UNI. Il a ensuite quitté le centre d’appels pour servir en tant qu’assistant juridique de BIEN à Bacolod City. Il militait également au sein de la communauté LGBTQI+.

Comme cela n’est que trop souvent le cas aux Philippines, M. Dolorosa et d’autres leaders et militants de BIEN ont fait l’objet de menaces. Ils ont également été « étiquetés rouge », l’inscription malveillante sur liste noire de ceux qui s’opposent au gouvernement – un système signalant aux fonctionnaires et agents de sécurité de l’État, mais aussi aux employeurs et aux citoyens, que les étiquetés rouge sont des cibles.

Ce dernier meurtre en date fait partie d’un plan. Comme Luc Triangle, Secrétaire général par intérim de la Confédération syndicale internationale (CSI), l’a déclaré :

« La mort d’Alex Dolorosa vient s’ajouter aux 68 exécutions extrajudiciaires de syndicalistes, dont une seule a pu donner lieu à une plainte au tribunal. »

Comme dans le cas d’autres meurtres, le gouvernement a condamné l’agression et s’est engagé à mener une enquête minutieuse et à traduire en justice les responsables, déclarant en outre que l’impunité est inacceptable.

Ce n’est pas nouveau non plus. Durant des décennies, aussi bien des organisations internationales, des gouvernements nationaux, des syndicats et d’autres encore ont obtenu des engagements, des promesses et des assurances semblables. Pourtant, peu ou rien ne semble avoir changé.

En fait, lorsque le Président Rodrigo Duterte a été élu en 2016, la situation s’est fortement aggravée. Les exécutions extrajudiciaires sont presque devenues routinières. Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées pour de présumés délits liés à la drogue. Syndicalistes, militants des droits humains et journalistes ont été suspectés de terrorisme et arbitrairement arrêtés.

Peur et intimidation ont été générées sur base d’accusations mensongères. En Europe et ailleurs dans le monde, nous sommes habitués aux dégâts que la désinformation et la mésinformation peuvent causer auprès des individus, mais aussi à la manière dont l’opinion publique peut être manipulée et donc leur impact sur la politique et les élections. Aux Philippines, la plupart des gens dépendent des médias sociaux pour leur information, et de Facebook en particulier. Sous le règne de Duterte, les Philippines ont fait œuvre de pionnières en matière de tromperie organisée, rapidement et frénétiquement diffusée sur les médias sociaux.

Accord de libre-échange UE-Philippines

La Confédération européenne des syndicats (CES) se joint au reste du mouvement syndical en solidarité avec les syndicalistes en difficulté aux Philippines. Il existe cependant une autre raison importante pour laquelle une action en faveur des droits humains et syndicaux dans ce pays est devenue prioritaire pour la CES et ses organisations membres.

L’Europe a l’occasion de faire une véritable différence pour la démocratie et pour les travailleurs et les citoyens des Philippines. Et il y a plusieurs raisons d’agir maintenant.

Depuis décembre 2014, les Philippines ont été en mesure d’exporter leurs produits vers l’UE en exemption de droits au titre du schéma de préférences tarifaires généralisées (ou SPG+). Vingt-six pourcent des exportations des Philippines dépendent du SGP+ (soit 6.274 produits). Toutefois, pour les Philippines, le SPG+ arrivera à expiration fin 2023. S’il est renouvelé, il sera lié à une liste élargie d’instruments internationaux en matière de droits humains (27 au lieu de 10).

Les instruments internationaux des droits humains font partie des conditions du SPG+, mais pour y satisfaire, un pays doit également être un pays à revenu intermédiaire, tranche inférieure. Les Philippines devraient devenir un pays à revenu intermédiaire, tranche supérieure dans un proche avenir, peut-être dès 2025. Au cas où les Philippines y parviennent, le pays n’aura plus droit au SPG+ même s’il améliore la protection des droits humains et sa gouvernance.

Cela signifie que les négociations de l’accord de libre-échange (ALE) UE-Philippines pourraient également devenir une priorité à court terme. Dans ce type de négociations, la Commission européenne devrait faire la preuve de son attachement à sa nouvelle politique commerciale « volontariste ». Elle devrait assurer qu’il n’y aura aucun recul des conditionnalités faisant partie des exigences du SPG+.

Tout ALE devrait refléter les meilleures expériences récentes, tel l’accord avec la Nouvelle-Zélande, et ne pas retomber dans les travers passés. Contrairement au Président Rodrigo Duterte, le Président Ferdinand Marcos Jr. et son gouvernement ont rencontré l’Organisation internationale du travail (OIT) et l’UE à propos des questions relatives aux droits humains et syndicaux.

Une mission tripartite de haut niveau de l’OIT prévue de longue date a tenu des réunions aux Philippines en janvier de cette année. Elle a préparé un rapport comprenant une série de conclusions et de recommandations appelant le gouvernement à agir d’urgence afin d’améliorer ses performances relatives aux normes du travail de l’OIT. Elle lui demande en outre de présenter un rapport tripartite concret sur la mise en œuvre de ses recommandations au comité de l’OIT sur l’application des normes lors de la conférence internationale du travail de juin 2023 qui se déroule actuellement à Genève.

La mission incluait une proposition des syndicats locaux visant à organiser une commission présidentielle qui garantirait une stratégie de réforme cohérente et unifiée dans l’ensemble du gouvernement. Les violations des droits syndicaux et d’autres droits concernent plusieurs ministères ainsi que les forces de sécurité et les employeurs. Le Président Marcos dispose d’une écrasante majorité au Congrès et peut, s’il le souhaite, initier une action sérieuse pour mettre fin aux violations des droits humains.

Pour ces raisons, et beaucoup d’autres, l’UE est en bonne position pour insister sur une action réelle et ne pas seulement se contenter de belles paroles de la part des Philippines. Elle a eu de sérieuses discussions bilatérales à Bruxelles et aux Philippines. Le Parlement européen a adopté des résolutions et également envoyé une délégation dans ce pays qui a, notamment, discuté du renouvellement du SPG+ et de l’ALE UE-Philippines.

Le Congrès de la CES a récemment adopté une position demandant à la Commission, en préalable aux négociations commerciales, d’inclure les conventions de l’OIT sur les droits fondamentaux au travail, leur ratification et leur mise en œuvre et, si des conventions font défaut, une feuille de route contraignante pour les deux parties.

Compte tenu des graves et flagrantes violations des droits des travailleurs et d’autres droits humains aux Philippines, les inquiétudes des syndicats européens devraient être partagées par les employeurs et les gouvernements.

C’est le cas après de nombreuses années d’expérience de l’OIT.

Il n’y a pas de meilleure ni de manière plus concrète de transmettre un message européen clair et unifié qu’à travers les positions prises par la Commission durant les négociations commerciales avec les Philippines.

Les temps changent. L’invasion de l’Ukraine et l’imposition de sanctions liées à des violations, non seulement de la Charte des Nations unies, mais aussi des droits humains et de la démocratie, sont des questions à portée mondiale. Il faut de la cohérence et de la crédibilité sur ces mêmes questions ailleurs également.

La CES se tient aux côtés de nos frères et sœurs aux Philippines. Nous exhortons les institutions de l’UE à faire tout ce qui est en leurs pouvoirs pour assurer que des garanties suffisantes sont données par le gouvernement philippin afin d’attester de progrès réels, concrets et mesurables en matière de droits humains, de justice sociale et de démocratie.

Cet article a été traduit de l'anglais.