L’Europe sociale «enterrée» avec l’amendement par les ministres de l’UE d’une directive du travail controversée

Alors que les ministres de l’Emploi des pays membres de l’UE réunis au siège du Conseil européen à Bruxelles peinaient à s’accorder sur une directive controversée relative au détachement des travailleurs, à quelques mètres de là, des représentants du mouvement syndical national et international assistaient aux « funérailles de l’Europe sociale ».

Lundi matin, des représentants des travailleurs des secteurs de la construction et du transport brandissant un étendard où était écrit « RIP Inspection du travail » ont mis en scène un cortège funéraire symbolique en réponse aux amendements proposés à la Directive de 1996 relative au détachement des travailleurs.

Selon les syndicats, la directive, sous sa forme actuelle, se prête à des « violations massives, ouvrant la porte à l’exploitation sociale quotidienne de milliers de travailleuses et travailleurs migrants ».

Initialement, la procédure d’application visait à remédier aux éventuelles infractions d’ordre juridiques, administratives et pratiques qui peuvent survenir lorsque des travailleurs d’un État membre de l’UE sont temporairement détachés dans un autre État membre de l’UE.

Cependant, les syndicats sont d’avis que la version du compromis à laquelle le Conseil est arrivé suite à des amendements successifs rend les travailleurs encore plus vulnérables à l’exploitation transfrontalière dès lors qu’elle réduit les inspections du travail nationales et prévoit des sanctions insuffisantes en cas d’infractions à la directive par des donneurs d’ordre.

Par ailleurs, elle n’apporte aucune solution au problème pressant des faux indépendants, notamment dans le secteur de la construction.

« C’est un mauvais compromis pour les travailleurs détachés, un mauvais compromis pour l’Europe sociale », a déclaré à Equal Times Werner Buelen, secrétaire politique pour la Fédération européenne des travailleurs du bâtiment.

 

« Trahis »

D’après les statistiques officielles, les sociétés basées en Europe détachent chaque année près d’un million de travailleurs d’un pays membre de l’UE à un autre.

Quand des entreprises étrangères proposent une offre plus concurrentielle que les prestataires de services locaux, parce que leurs normes et leurs salaires sont plus faibles, on parle de « dumping social ».

Bien que le Conseil est resté partagé sur cette question durant 18 mois, un accord a été conclu lundi après-midi au terme de trois amendements successifs par la présidence lituanienne.

La France et la Belgique, soutenues par l’Allemagne, prônent des modifications qui empêcheraient l’ « importation » de main-d’œuvre depuis des pays à faible protection tandis que les pays d’Europe de l’Est, le Royaume-Uni et l’Irlande privilégient la liberté de mouvement, craignant le risque d’une « distorsion du marché intérieur ».

« Il y a un besoin urgent de renforcer les sauvegardes dans les règles de l’UE pour garantir le respect des droits des travailleurs détachés dans la pratique et permettre aux entreprises européennes d’opérer avec plus de sûreté juridique et de transparence », a déclaré lors d’un point de presse lundi Laszlo Andor, Commissaire européen chargé de l’Emploi et des Affaires sociales.

Toutefois, beaucoup de syndicats sont furieux face à ce qu’ils considèrent comme une marche-arrière politique.

« Nous nous sentons trahis. Une fois de plus, nos politiciens sont prêts à nous reprendre tout ce que nous avons acquis jusqu’à présent. Si cette législation est adoptée, nous entreprendrons de nouvelles actions », a déclaré à Equal Times Enrique Carmona de la confédération syndicale espagnole Confederación Sindical de Comisiones Obreras.

Les syndicats déplorent le fait que la nouvelle législation de l’UE restreint en pratique les mesures de contrôle à l’échelon national, empêchant les États membres de garantir que les contrats et les conditions de travail respectent les règles du pays hôte.

Les syndicats craignent que cela puisse conduire à des conflits juridiques et nuire aux droits fondamentaux des travailleurs et, fait plus inquiétant, que cela entraîne une augmentation du travail forcé, qui touche déjà à l’heure actuelle plus de 880000 personnes dans l’ UE.

Pierre Cuppens, secrétaire général du syndicat belge des travailleurs de la construction a déclaré à Euronews que, déjà à l’heure actuelle, trop de travailleurs sont acculés à des conditions « s’apparentant à de l’esclavage et dignes du Moyen-âge » et que la directive doit être suffisamment forte pour « réguler et tenir responsable la filière de production dans son intégralité et pouvoir punir ceux qui tirent profit de la situation ».

 

Instruments de contrôle

Les syndicats appellent à l’instauration d’une « liste ouverte de mesures de contrôle » pour chaque État membre, qui prévoie une marge de flexibilité suffisante pour répondre aux nouvelles formes de fraude et d’abus.

Celle-ci devrait être assortie d’un ensemble d’instruments de contrôle obligatoires applicables par tous les États membres.

« Il y a des travailleurs détachés qui ne touchent pas plus de 5 ou 10 euros de l’heure « au noir », qui dorment dans des containers et des camions », a indiqué Olivier Van Den Eynde du syndicat belge FGTB.

« Les autres touchent 20 euros de l’heure et paient leurs contributions. Ce n’est pas juste. Certains de nos politiciens sont conscients de ce problème. Ce que nous demandons, c’est un contrat pour toute l’Europe ».

Les syndicats veulent aussi que les donneurs d’ordre soient tenus responsables de tout non-paiement de salaires par des sous-traitants.

Le texte adopté manque cependant de prévoir des mesures adéquates pour tenir le principal donneur d’ordre responsable pour toutes violations dès lors qu’il impose un nombre excessif de conditions.

Pour que le texte de compromis se convertisse en législation européenne, le Conseil présidera aux négociations avec le Parlement européen avant les élections européennes en mai 2014.

D’après Buelen, la position plus modérée du Parlement européen sur cette question « tranche nettement » avec l’actuel compromis du Conseil et un accord s’annonce dès lors d’autant plus difficile.