L’Indonésie progresse à pas lents dans sa lutte contre le travail des enfants

L'Indonésie progresse à pas lents dans sa lutte contre le travail des enfants

Un enfant de 13 ans travaille dans une plantation de palmiers à huile dans l’île de Sumatra, en Indonésie.

(Laura Villadiego)

Le 26 octobre dernier, Putri et Surna se sont rendus comme chaque jour dans la fabrique de feux d’artifice où ils travaillaient à Tangerang, un quartier des faubourgs de la capitale indonésienne Djakarta. Ce jour-là, toutefois, ne serait pas un jour comme les autres. Une étincelle entrerait en contact avec le stock de poudre et l’usine toute entière volerait en éclats, faisant 47 morts, parmi eux Putri et Surna. Leurs cas avaient, toutefois, ceci de particulier que Putri et Surna n’étaient âgés que de 14 et 15 ans respectivement et qu’ils travaillaient dans la fabrique illégalement.

Il ne s’agit pourtant pas d’un cas isolé. Malgré la publication par le gouvernement, en 2015, d’une feuille de route pour l’éradication du travail des enfants à l’horizon 2022, à quatre ans de son échéance, la présence de mineurs dans les usines et plantations continue de faire partie de la réalité quotidienne dans ce pays asiatique.

Ainsi, d’après le dernier rapport du Département du travail des États-Unis, malgré les « modestes progrès » accomplis par l’Indonésie en vue de l’élimination des pires formes de travail des enfants en 2016, notamment la création de groupes de travail contre la traite des personnes dans plusieurs provinces ou encore la mise en place, au niveau des communautés, de réseaux d’inspecteurs qui peuvent signaler les cas de travail des enfants, les mineurs continuent d’exécuter des tâches dangereuses dans les plantations de palmiers à huile et de tabac et sont aussi présents dans l’industrie du sexe.

En vertu de la législation indonésienne, l’âge minimum pour travailler est 15 ans, bien que certains travaux légers soient autorisés à partir de 13 ans, à condition que ceux-ci n’affectent pas la croissance physique, mentale ou sociale du mineur et que sa durée se limite à 3 heures par jour maximum. Cependant, l’âge minimum pour travailler s’élève à 18 ans dans le cas d’industries considérées dangereuses, comme la fabrique de feux d’artifice où travaillaient Putri et Surna.

« Le patron de la fabrique affirme qu’il ignorait qu’il s’agissait de mineurs or il avait l’obligation légale de le vérifier », explique Andre Yakob Silitonga, un des avocats chargés de ce dossier. UNICEF estime à 2,7 millions le nombre de mineurs effectuant l’une ou l’autre forme de travail en Indonésie, dont approximativement la moitié ont moins de 13 ans.

Une grande partie d’entre eux sont employés dans la cueillette de noix de palme dans les millions d’hectares de plantations de palmiers à huile, un des principaux produits d’exportation du pays. « Le travail des enfants est réellement très répandu dans l’industrie de l’huile de palme », indique Emma Lierley, chargée des communications concernant les forêts auprès de Rainforest Action Network, une ONG qui contrôle l’impact social et environnemental de cette industrie.

« La culture consiste encore toujours à fermer les yeux lorsqu’il s’agit de travail des enfants. » Selon madame Lierley, la principale cause du travail des enfants dans les plantations est à trouver dans les « quotas inatteignables » que les plantations imposent aux travailleurs, qui sont à ce point élevés que « pour les atteindre [les récolteurs] se voient contraints à amener leurs femmes et enfants (à travailler avec eux] ».

Un autre secteur où le travail des enfants est endémique est la puissante industrie du tabac. Dans un rapport publié en 2016, Human Rights Watch dénonçait les préjudices à long terme que ce travail causait pour l’avenir de ces mineurs, en raison des produits toxiques auxquels ils sont exposés. « Les enfants qui travaillent [dans les plantations de tabac] encourent des risques graves pour leur santé et leur sécurité. Les dangers incluent l’empoisonnement aigu à la nicotine dû au contact avec les plantes et les feuilles de tabac, outre l’exposition aux pesticides toxiques et autres substances chimiques », indiquait le rapport.

« Nous n’avons pas observé énormément de changements depuis [depuis la publication du rapport]. Les enfants continuent d’effectuer des tâches très dangereuses. Ils sont exposés à la nicotine et réalisent des tâches considérées dangereuses », signale Margaret Wurth, chercheuse auprès de Human Rights Watch et auteure du rapport.

D’après madame Wurth, le contact persistant avec les feuilles peut avoir des séquelles à court terme comme nausée, vomissements et maux de tête, mais peut aussi entraîner sur le long terme des dégâts irréversibles au niveau du cerveau. Qui plus est, et à la différence de l’huile de palme qui finit sur les étagères des supermarchés aux quatre coins du monde en tant qu’ingrédient d’un grand nombre de produits transformés, les plantations de tabac satisfont à la consommation locale principalement, et ce dans un pays affichant un taux de tabagie parmi les plus élevés au monde : Selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé en 2014, 75,2% des hommes indonésiens de plus de 15 ans fument habituellement.

Le travail domestique, où le nombre de travailleurs de moins de 18 ans est estimé à 85.000, est un autre secteur à haut risque pour les mineurs. « Les travailleurs domestiques en Indonésie sont dépourvus de protection de leurs droits fondamentaux [législation du travail] attendu que leur travail - majoritairement informel – n’est pas couvert par la loi », selon un rapport publié en 2017 par l’Organisation internationale du travail concernant les mineurs dans le secteur du travail domestique dans le pays. D’après l’OIT, les travailleurs domestiques en Indonésie sont exposés à une litanie de violations, notamment des journées de travail excessivement longues, des salaires non payés, des abus sexuels et physiques, des travaux forcés ou la traite d’êtres humains.

Des lois incontrôlées

La fabrique de feux d’artifice où travaillaient Putri et Surna constituait un cas d’école de l’absence de contrôle dans l’application des lois du travail nationales. Outre la présence de mineurs, les travailleurs étaient rémunérés en-dessous du salaire minimum et n’étaient pas assurés. Tout cela est minutieusement régulé en vertu de la législation nationale mais comme dans tant d’autres cas, c’est resté sur le papier.

Selon Human Rights Watch, bien que les lois indonésiennes relatives au travail des enfants satisfassent à la majeure partie des normes et standards internationaux, « des réglementations inadéquates et une faible application de la loi, a fortiori dans le secteur agricole à petite échelle, laissent les enfants exposés au risque ».

L’une des principales difficultés découle du manque de personnel chargé de procéder aux inspections. À cet égard, le Département du travail américain signalait dans son rapport d’enquête que le ministère indonésien homologue « manque des ressources financières et humaines nécessaires » pour mettre en œuvre efficacement les lois sur le travail des enfants dans le pays, particulièrement dans le secteur informel.

«  Des problèmes surgissent en matière d’inspection en raison de la corruption », affirme Amos Sinmanjuntak, un autre avocat chargé du dossier de Putri et Surna. Un cas de figure similaire est observé dans le cas des plantations de palmiers, y compris celles certifiées par la table ronde pour une huile de palme durable (de l’anglais Round Table for Sustainable Palm Oil, RSPO).

« Nous avons documenté des cas où des plantations étaient prévenues à l’avance de la visite d’inspecteurs [et] où les employeurs guidaient les inspecteurs vers des zones spécifiques de la plantation », indique Emma Lierley, du RAN, organisation qui a dénoncé dans plusieurs rapports d’enquêtes des atteintes à la législation du travail, y compris la présence de mineurs dans les plantations certifiées d’Indofood, un producteur qui fournissait PepsiCo. « [En réponse aux rapports d’enquêtes] ils ont adopté certaines dispositions de pure forme, alors que les causes profondes du travail des enfants, elles, perdurent », poursuit madame Lierley, en faisant allusion aux quotas.

Bien que le ministère du Travail indonésien n’ait pas répondu aux demandes de clarifications qui lui ont été adressées par Equal Times à propos des progrès accomplis dans la lutte contre le travail des enfants, l’objectif semble trop éloigné pour être atteint en temps voulu.

« [Le gouvernement] tente de prendre des mesures face à ce problème mais celles-ci ne sont pas suffisamment rapides, alors qu’une nouvelle saison de récolte de tabac approche », explique Margaret Wurth. Et pendant qu’on attend des mesures concrètes, des milliers d’enfants indonésiens comme Putri et Surna continueront d’être exposés à des journées de travail interminables et des conditions de travail dangereuses, compromettant leur avenir et parfois jusqu’à leur vie.

Cet article a été traduit de l'espagnol.