L’injustice à tout vent

 

La campagne récente déployée par la Confédération syndicale internationale (CSI) pour exposer les conditions du travail au Qatar a permis d’attirer l’attention d’un public international sur les abus choquants perpétrés dans ce pays du Golfe.

Mais derrière les manchettes des médias internationaux se cache une autre réalité – celle du traitement autocratique et injustifiable réservé aux employés de la compagnie aérienne nationale.

Qatar Airways figure parmi les compagnies aériennes qui enregistrent la plus forte croissance à niveau mondial.

Son succès, elle le doit en grande partie à une main-d’œuvre à 90 pour cent étrangère – un chiffre qui parait plus proche de 100 pour cent à voir la composition des personnels de bord.

Lucrative, prospère et membre, à compter du 30 octobre, de la très prestigieuse oneworld alliance, Qatar Airways (QA) n’en demeure pas moins, à en croire les témoignages de ses personnels, l’un des employeurs les plus répressifs et les plus désagréables de toute l’industrie aérienne mondiale.

Le mois dernier, nous avons pu révéler comment les membres du personnel féminin de QA doivent renoncer contractuellement au droit de mariage durant une période de cinq ans - même au-delà de cette période, elles sont tenues de demander la permission de leur employeur pour pouvoir se marier.

Qui plus est, une employée qui tombe enceinte est passible de résiliation de contrat.

De telles restrictions sont absolument inadmissibles au 21e siècle. Fonder une famille participe d’un objectif sacro-saint pour beaucoup de travailleuses et travailleurs, indépendamment du pays.

Par ailleurs, la grossesse et la maternité constituent une étape particulièrement vulnérable pour les travailleuses et leur famille.

 

La parole aux travailleurs

Si ces règles ne suffisaient pas, nos investigations ont levé le voile sur une litanie d’autres abus.

Nous avons très vite été contactés, à titre confidentiel, par plusieurs membres de personnel actuels et anciens de Qatar Airways qui ont révélé une série d’autres violations des droits des travailleurs et humains par la compagnie aérienne.

Ci-dessous est repris un des nombreux témoignages qui nous sont parvenus (la source reste anonyme dès lors que nous nous sommes engagés à protéger l’identité de toutes les personnes qui nous ont contacté au risque d’encourir des procédures judiciaires et un renvoi immédiat) :

« Je m’adresse à vous tout d’abord pour vous remercier du communiqué de presse concernant la violation des droits des personnels de l’aviation, et plus spécifiquement ceux de Qatar Airways.

En tant que membre de leur personnel de bord, j’étais surprise de voir cette publication dans les médias car personne ne semble se soucier des mauvais traitements que subissent les hôtesses de l’air de Qatar Airways.

Si vous demandez à n’importe lequel de nos membres d’équipage vous verrez que personne n’est vraiment content.

La plupart d’entre eux ne font pas long feu ou se font licencier. Celles et ceux qui restent plus longtemps, c’est parce qu’ils ont vraiment besoin de sous pour soutenir leur famille au pays (les personnels de bord sont étrangers à 100% - pas un seul membre d’équipage n’est qatari).

Les personnels de bord sont logés dans des immeubles de la compagnie et ne sont pas autorisés à déménager.

Chaque immeuble est équipé de caméras de surveillance et des gardes de sécurité surveillent nos moindres mouvements.

 Il y a un département du logement qui effectue des inspections surprise dans les appartements. S’ils découvrent de l’alcool, des cigarettes, du porc ou quoi que soit qui soit interdit par leur règlement, vous êtes renvoyé sur-le-champ.

On est aussi soumis à un couvre-feu qui détermine l’heure limite à laquelle on doit être rentré chez soi chaque jour.

Tous les jours, des gens sont renvoyés pour des motifs stupides comme la publication de photos en uniforme prises durant un vol ou dans l’immeuble, le port de tatouages, la publication sur Facebook de photos où l’on vous voit une cigarette ou une boisson à la main. Je connais plusieurs filles qui ont été renvoyées pour s’être fait prendre en photo en bikini à la plage et pour tout un tas d’autres raisons que vous ne croiriez jamais.

Le principal problème c’est qu’il n’y a pas de droits de travailleurs dans ce pays et donc aucun moyen de recours. Si quelque chose vous incommode, vous vous faites tout simplement renvoyer et si vous êtes renvoyé avant d’avoir complété deux ans au sein de la compagnie, vous devenez redevable d’une obligation que la plupart d’entre nous n’ont pas les moyens de payer.

La seule façon de quitter le pays est que la compagnie vous délivre un permis de sortie ; on est, en somme, pris au piège.

Très souvent, les d’employé(e)s qui ont eu des déboires et dont le permis de vol a été suspendu pour des motifs absurdes doivent rester à Doha contre leur gré durant des mois, sans salaire, en attendant que la compagnie leur délivre le permis de sortie. »

Comment Qatar Airways parvient-elle à s’en tirer impunément ? Premièrement, en soumettant l’ensemble de ses personnels à des clauses de confidentialité à vie.

Et ensuite, en étant domiciliée au Qatar qui – nonobstant son statut de pays membre de l’OIT – ne garantit pas de protection aux travailleurs.

Ceci va totalement à l’encontre du principe de liberté d’association consacré par la Constitution de l’OIT (1919), la Déclaration de Philadelphie (1944) et la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail (1998).

Un droit qui est du reste proclamé en tant que droit fondamental dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948).

Que peut-on faire ? La Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) et les syndicats qui lui sont affiliés contrattaquent. La récente publicité négative a nui à l’image de marque de la compagnie.

 

Les syndicats de l’aviation affiliés à l’ITF ont commencé à interpeller les directeurs exécutifs des compagnies aériennes où ils travaillent pour leur demander comment il se fait que Qatar Airways puisse rejoindre la Oneworld Alliance sans être tenue de respecter les droits des travailleurs.

Ils estiment, par ailleurs, qu’il est grand temps que la compagnie aérienne limoge son PDG, Akbar Al-Bakr qui, au début de cette année, a notoirement blâmé les syndicats pour la crise économique mondiale.

 

Les syndicats du monde arabe ouvrent la voie

La conduite de Qatar Airways – et les politiques similaires d’Emirates et d’Etihad Airways – sont contestées à la fois localement et au niveau international.

Bilal Malkawi, représentant de l’ITF pour le monde arabe, s’explique : « La pression en faveur d’une action contre ces compagnies aériennes vient directement des syndicats du Moyen-Orient qui ont été à l’initiative de cette campagne à l’occasion de la Conférence régionale de l’ITF pour le monde arabe.

Ces syndicats et leurs adhérents sont motivés par un désir ardent de voir QA respecter les droits des travailleurs.

« Ils n’ont rien contre la compagnie – ils se réjouissent de son succès, pour autant que ce succès soit juste et équitable et qu’il soit partagé avec les travailleuses et travailleurs qui l’ont engendré.

À l’heure de rejoindre l’alliance Oneworld, le moment est venu désormais pour Qatar Airways et l’ensemble des intérêts qui la sous-tendent de remédier au profond manque d’humanité commune qui caractérise sa conduite à l’égard des ses effectifs. »

À travers ses actions de campagne ciblées sur le Qatar, le mouvement syndical somme le pays de prendre les mesures qui s’imposent pour mettre fin aux conditions de travail punitives auxquelles il accule ses effectifs étrangers.

Des avions aux chantiers de construction, en passant par les stades de football – un changement s’impose.

Et ce changement ne sera garanti que si le droit adhérer à un syndicat et d’être protégé par un syndicat est, lui aussi, garanti.

Tant que ce droit ne sera pas acquis à tous les travailleurs sans distinction et ne sera pas pleinement respecté par le gouvernement et les employeurs du Qatar, ni l’ITF, ni la CSI n’auront cesse de dénoncer le Qatar et de le presser à s’acquitter de ses obligations nationales et internationales.

Si vous êtes ou avez été un membre du personnel de Qatar Airways et souhaitez nous en parler, prière d’envoyer un courriel à l’ITF : [email protected]