L’insécurité qui fait rage en Haïti rend le quotidien des habitants toujours plus risqué

L'insécurité qui fait rage en Haïti rend le quotidien des habitants toujours plus risqué

Students march through the Haitian capital of Port-au-Prince on 25 January 2021, in reaction to the kidnapping of a primary school student earlier that morning. The kidnappings are causing serious concern at every level of society. Most citizens are afraid to go out on the streets.

(AFP/Valerie Baeriswyl)

Mois après mois, la gangrène de l’insécurité se répand en Haïti. Les assassinats et enlèvements contre rançon menés par des gangs jouissant d’une quasi-impunité se sont multipliés. L’ancien président Jovenel Moïse, accusé d’inaction face à cette crise, confronté à une vive défiance d’une bonne partie de la population civile, a lui-même été victime de l’instabilité générale du pays. Il a été assassiné dans la nuit du 7 juillet 2021, par un mystérieux commando.

En mai 2021, le gouvernement avait annoncé une trêve dans la violence, mais elle n’a jamais eu lieu. À aucun moment, les enlèvements de citoyens haïtiens et étrangers contre rançon n’ont cessé, et reprennent même dans le chaos qui a suivi le tremblement de terre du 14 août. Un mois après, plus de 650.000 personnes, selon l’ONU, continue d’avoir besoin d’une aide humanitaire de première urgence.

À Thomassin, un quartier à flanc de montagne au sud de Pétion-Ville, une habitante a accepté de raconter son histoire à Equal Times, qui l’a rencontré à la fin du mois de juin dernier. Portant une robe blanche traditionnelle, cette femme issue d’une grande famille haïtienne demande à garder l’anonymat. Peinant à contenir ses larmes, elle raconte les atrocités qu’a vécues l’un de ses fils entre les mains des ravisseurs. Un soir de juin, celui-ci revenait d’une fête chez un ami, quand son véhicule est tombé sur un barrage. « On l’a poussé à rejoindre leur voiture, où les ravisseurs lui ont passé une cagoule », explique la mère du jeune homme de 27 ans, qui a quitté le pays après sa libération. Les ravisseurs ont réclamé 1 million de dollars américains de rançon contre sa libération. Après négociation, la famille a versé 800.000 dollars. Une véritable fortune envolée pour la famille.

Le phénomène du kidnapping inquiète au plus haut point toutes les couches sociales. La plupart des citoyens craignent de se déplacer dans les rues. Commerçants, professionnels de tous domaines, écoliers et étudiants semblent constituer des cibles pour les ravisseurs qui exigent de fortes sommes à leurs proches pour leur libération.

Avec des rançons exigées entre 100.000 et un million de dollars américains, les membres de la classe moyenne victimes de ces crimes, se retrouvent dramatiquement plongé dans la pauvreté.

Le phénomène est resté sous le radar de l’actualité internationale jusqu’au 11 avril, quand sept religieux catholiques, dont deux Français, ont été enlevés près de Port-au-Prince. L’opération a été identifiée comme l’œuvre des hommes du gang 400 Mawozo. Près d’une vingtaine de jours plus tard, la Société des prêtres de Saint-Jacques à laquelle ils appartiennent a annoncé leur libération sans préciser si une rançon a été versée.

À la tête du gang 400 Mawozo se trouve Joseph Wilson, alias Lanmò Sanjoula mort sans jour » en créole). Un homme extrêmement violent recherché depuis de longs mois. Loin de rechercher la discrétion, il s’affiche volontiers sur les réseaux sociaux. Il donne de multiples détails sur les exactions, violences et crimes qu’il aurait commis avec ses hommes.

Défaillances de l’État

Le Centre d’Analyse et de Recherche en droits de l’homme (CARDH), dans son dernier rapport, révèle que plus de 150 assassinats et près de 200 kidnappings ont été enregistrés dans le pays en un mois, celui de juin en l’occurence. Selon Pierre Espérance, directeur exécutif du Réseau National de Défense des Droits de l’Homme (RNDDH), basé à Port-au-Prince, l’insécurité résulte de la complicité des gouvernants : « Ce pouvoir banalise la vie ; il s’appuie sur les gangs comme seule force, pensant qu’avec les gangs il peut se renouveler ».

Les gangs, qui commettent les rapts, sont interconnectés, estime Marie Yolène Gilles, responsable de la Fondasyon Je Klere (FJKL), un organisme local de défense des droits de la personne. « Certains gangs kidnappent, soit pour un autre, soit sur ses informations. Tous les secteurs sont livrés à eux-mêmes ».

La Police Nationale d’Haïti, contactée à ce sujet à travers la direction centrale de la police judiciaire, répond ne rien pouvoir faire et que les familles doivent négocier elles-mêmes avec les ravisseurs. Néanmoins, la PNH bénéficiait d’une aide de la part de la police colombienne, pour renforcer sa cellule d’anti-enlèvement. L’ancien Secrétaire d’État à la Sécurité Publique, Réginald Delva pense que la police doit aussi revoir ses méthodes d’intervention. « Les kidnappeurs agissent plus rapidement que la police qui est incapable de répondre en 10 minutes ».

Face à la corruption et à la déliquescence du pouvoir, les gangs se font la guerre entre eux et contre la police. Ils possèdent de véritables arsenaux, pistolets de poings et armes automatiques.

Les premières victimes de cette guérilla sont les habitants des quartiers miséreux qui tombent sous les balles perdues. En juin, des gangs armés se sont affrontés dans le quartier de Martissant, dans le sud-ouest de la capitale, forçant des centaines d’habitants à fuir. Ces derniers jours, un chef de gang de Martissant a annoncé une trêve. Le but est de permettre à l’aide humanitaire de circuler vers les ravagées par le dernier tremblement de terre.

Martissant, où les autorités publiques sont peu présentes, alors qu’il est situé à quelques centaines de mètres du palais présidentiel, est aujourd’hui largement contrôlé par des bandes armées. « J’ai vu des gens de mon quartier tomber sous les balles. Les assaillants ont incendié ma maison. J’ai dû m’enfuir avec mes enfants. Les hommes armés ouvrent le feu sur les rares véhicules privés comme ceux transportant des passagers qui s’aventurent dans la zone », explique une ancienne habitante de Martissant 7, non loin du sous-commissariat du disctrict.

À cause de cette guerre à Martissant, plus de 1.000 personnes sont logées au Gymnasium du centre cportif de Carrefour depuis début juin 2021. Parmi eux, 446 enfants et 582 femmes et filles qui vivent dans des conditions très précaires. La majorité de ces familles ont vu leur maison incendiée ou endommagée.

Entassés dans le centre sportif, ces réfugiés bénéficient des efforts conjugués des responsables de la mairie de Carrefour, de l’Unicef, de l’organisation ADRA, de la DINEPA, qui leur fournissent des plats chauds, des vêtements et des kits hygiéniques. La promiscuité dans laquelle évoluent ces déplacés constitue une autre source de préoccupation. Le risque de délinquance sexuelle est très élevé. Certaines mères de famille ont confié à Equal Times craindre que leurs adolescentes ne soient victimes d’agressions. La distanciation physique n’est plus respectée et le manque de masques et de point de lavage des mains sont autant de difficultés à déplorer.

L’agent intérimaire de la commune, n’a pas caché son angoisse. La situation est sur le point de dépasser les autorités municipales, selon ce que fait savoir Jude Édouard Pierre. « Plus de mille bouches à nourrir au moins deux fois par jour, ce n’est pas une mince affaire », précise-t-il. Jude Eduard Pierre visiblement dépassé par la situation s’inquiète, tenant compte du danger que courent les gens face au Covid-19, tandis que les vaccins tardent dans le pays. « Cela peut créer d’avantage de panique dans la société, il n’y a pas un hôpital pour prendre en charge les patients à Carrefour », se plaint l’édile, avant de lancer un appel à l’aide humanitaire.

« Je serais contente de retourner à la maison et reprendre le chemin de l’école », déclare une fillette de 10 ans, l’une des réfugiés du centre sportif. « J’habitais à Martissant 19. Notre famille de cinq personnes a été obligée de fuir le quartier. C’est ici que d’autres personnes nous ont appris que notre maison avait été incendiée. J’ai même appris que mon école a été endommagée ou incendiée, mais je ne suis pas sûre ».

La société civile également en danger

L’insécurité inquiète aussi les défenseurs des droits humains à cause des menaces qu’elle fait peser sur la démocratie. Après le photojournaliste haïtien, Dieu-Nalio Chéry, qui travaillait pour Associated Press (AP) qui s’est vu obligé de quitter Haïti avec sa famille, sous menace de mort, c’est au tour du journaliste Eloge Milfort de la Radio Télé Métropole, rédacteur à Vant Bèf Info (VBI) et membre de l’Association Haïtienne des Journalistes d’Investigation (AHJI), qui a dû fuir le pays, le 2 septembre 2021. Le journaliste recevait des appels anonymes où des individus le menaçaient de l’enlever ou même le tuer.

D’autres qui n’ont pas eu le temps de fuir. C’est le cas du journaliste de la radio Vision 2000 et membre de l’AHJI, Diego Charles, exécuté, devant sa maison, dans la nuit du 29 au 30 juin 2021 en compagnie de la militante politique et défenseuse des droits humains Marie Antoinette Duclair. Ils avaient reçus des menaces de mort avant leur assassinat et aujourd’hui, d’après Amnesty International, ce sont leurs proches qui reçoivent des menaces.

Au regard d’une telle situation sécuritaire et humanitaire, les autorités haïtiennes ont demandé cette semaine aux États-Unis de suspendre les expulsions de migrants, car elles ne sont pas en mesure d’aider ceux de ses ressortissants qui ont voulu quitter le pays, pour une vie meilleure et qui se retrouvent désormais à la case départ.

This article has been translated from French.