L’UE doit faire davantage pour en finir avec l’exploitation des saisonniers

 

Le débat sur la migration vers l’UE a, jusqu’ici, été nettement centré sur la perte de vies humaines en haute mer, principalement dans la Méditerranée, alors que l’Europe délibère sur comment contrôler la migration tout en garantissant des droits.

Cependant, la crise que traverse le système migratoire de l’UE ne se limite pas à ses frontières.

Ce que les médias et les déclarations politiques se gardent le plus souvent de mentionner c’est que l’UE est assoiffée de main-d’œuvre à bon marché, temporaire et corvéable ; que les voies d’accès pour cette main-d’œuvre sont limitées ; et que ceux qui réussissent à entrer sont privés de droits et de protections par nos politiques.

Les plus consciencieux parmi les consommateurs que nous sommes sont au courant de l’exploitation des travailleuses et travailleurs saisonniers.

Nous avons tous entendu parler des conditions de vie épouvantables des effectifs qui font tourner les serres d’Europe méridionale, et nous avons tous été indignés lorsque des cueilleurs de fraises bangladais ont été la cible de coups de feu dans une exploitation agricole grecque.

Si des incidents de ce genre éveillent immanquablement la méfiance des consommateurs à l’égard des fraises de Manolada, des tomates d’Almeria ou des oranges de Calabre, l’exploitation des travailleurs migrants ne se limite pas à une région ou à un produit en particulier.

Le label « Commerce équitable » ou « Fair Trade » en anglais saute aux yeux lorsqu’on parcourt un rayon de supermarché, or il concerne exclusivement des produits importés.

Il est présumé que les droits des travailleurs sont un fait acquis dans les pays de l’UE. Que les travailleuses et travailleurs peuvent se prévaloir de leurs droits. Que le commerce est juste.

Or s’il est vrai que l’UE figure parmi les principaux importateurs de produits issus du commerce équitable, nous sommes aussi parmi les leaders du commerce inéquitable de la main-d’œuvre humaine.

Qu’est-ce qui rend possible une exploitation aussi massive dans des pays et communautés où les droits des travailleurs sont généralement tenus pour acquis ?

Prenons, à titre d’exemple, le cas de la Suède. Mise sur un piédestal pour ses protections sociales et son équilibre vie professionnelle/vie privée admirables, elle figure néanmoins au deuxième rang de la liste noire de la Thai Labour Campaign, où elle est précédée par la Libye.

Cet été, près de 6000 travailleuses et travailleurs thaïlandais issus, dans leur majorité, de la riziculture vivrière, ont été recrutés par des agences suédoises qui leur offraient un emploi généreusement rémunéré dans la cueillette de baies. Après s’être acquittés d’une redevance de 800 euros auprès de ces agences outre diverses autres retenues salariales pour le logement, le transport et la nourriture, seuls quatre cueilleurs sur dix ont obtenu un quelconque bénéfice au terme de plusieurs mois de labeur éreintant. La majorité d’entre eux se sont endettés.

L’essor d’une telle exploitation est rendu possible par les règles relatives à l’entrée et l’emploi de travailleurs saisonniers issus de pays non-membres de l’UE.

Les politiques visent, dans une grande mesure, à contrôler les travailleurs migrants plutôt qu’à leur garantir leurs droits au travail dans le pays d’accueil.

Si la perte de pouvoir et la discrimination que l’on fait subir aux travailleuses et travailleurs étrangers peut engendrer des bénéfices à court terme pour les fournisseurs et les consommateurs, elle n’en demeure pas moins fortement nuisible pour le marché du travail dans son ensemble.

 

La Directive de l’UE relative au travail saisonnier

Garantir un salaire égal pour un travail égal est plus important que jamais. À ce propos, la Directive de l’UE relative au travail saisonnier marque une victoire.

Celle-ci reconnait que les protections garanties aux travailleuses et travailleurs européens sont dénuées de sens si l’on permet, dans le même temps, la discrimination salariale, les bas salaires et des conditions insalubres pour la main-d’œuvre importée.

Un consensus politique s’est, néanmoins, avéré plus difficile à atteindre quand il s’est agi de garantir que tous les travailleurs non membres de l’UE puissent bénéficier de meilleures conditions.

Dû à la forte politisation du débat en cours sur l’immigration, les efforts acharnés des députés européens partisans de cette directive n’ont pas suffi à ce que le texte garantisse la protection et les droits des innombrables migrants employés en tant que main-d’œuvre saisonnière à travers l’Union européenne.

L’appel des organisations de la société civile en faveur d’une « passerelle » pour la régularisation des travailleurs issus de pays non-membres de l’UE devenus sans-papiers pour cause de l’exploitation au sein du secteur n’a pas été pris en compte dans les phases ultimes des négociations.

Les préoccupations liées à l’immigration ont une fois de plus éclipsé l’enjeu principal. Pendant ce temps, les pénuries de main-d’œuvre dans les secteurs tributaires du travail saisonnier suscitent, elles aussi, une inquiétude considérable. Les producteurs, eux-mêmes, ont identifié le sentiment anti-immigrés et la désignation de boucs émissaires à des fins populistes comme la principale menace à la productivité dans l’agriculture en Europe.

L’un des désaveux les plus mémorables du mythe selon lequel ce sont les travailleurs immigrés qui poussent vers le bas les salaires et les conditions provient des travailleurs eux-mêmes. Take Our Jobs! (Prenez nos emplois !) était le nom d’une campagne nationale lancée en 2010 le syndicat United Farm Workers of America aux États-Unis.

En invitant les citoyens et les résidents en situation régulière à prendre leur place dans les champs, ces travailleurs agricoles ont offert un soutien et une assistance pour mettre en contact les sans emploi avec les employeurs agricoles.

Le site web www.takeourjobs.org invite même les candidats intéressés à télécharger un formulaire d’inscription. Comme il fallait s’y attendre, les réactions ont été peu nombreuses. Seuls trois candidats se sont inscrits.

 

Des droits pour tous les travailleurs

Les rapports sporadiques concernant les morts aux frontières à Lampedusa ou l’exploitation de travailleurs à Manolada sont souvent la seule possibilité que nous avons d’avoir un infime aperçu de la réalité des personnes qui tentent d’atteindre l’Europe en quête d’un avenir meilleur.

S’il y a, parmi les dirigeants de l’UE, un soutien croissant en faveur d’un « changement d’approche en matière de migration », comme l’a signalé la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Cecilia Malmström, au cours d’une conférence de presse concernant la récente tragédie de Lampedusa, la nécessité d’ouverture et de solidarité va bien au-delà des salles de conférence de Bruxelles ou des opérations de recherche et de sauvetage en mer Méditerranée.

Les syndicats sont essentiels pour garantir dans la pratique les droits et les protections pour l’ensemble des travailleuses/travailleurs, qu’ils soient étrangers ou non, temporaires ou sans papiers.

Bien que la directive garantisse aux travailleurs saisonniers le droit d’adhérer à un syndicat, ce droit ne sera effectif que si les syndicats s’ouvrent activement aux travailleurs.

Pour que les droits inscrits dans la directive soient mis en pratique, il incombe aux syndicats de s’ouvrir aux travailleurs issus de pays hors-UE ; d’informer ces derniers de leurs droits et des obligations de leurs employeurs et d’éduquer leurs membres quant à l’importance de prêter main forte à ces travailleurs.

Dorénavant, les syndicats ont un rôle crucial à remplir pour ce qui a trait à l’identification de lacunes, de résultats politiques inattendus et de domaines de préoccupation émergents.

D’après un rapport sur la situation des cueilleurs de baies en Suède, « le modèle de relations sociales suédois présente certaines déficiences qui peuvent surprendre, notamment pour ce qui a trait à la protection des droits d’une main-d’œuvre migrante transnationale face aux tentatives d’exploitation dans des conditions qui s’apparentent, dans l’essentiel, à du travail forcé ».

Le fait que cette exploitation soit survenue dans un des marchés du travail les mieux organisés de l’UE soulève une question inquiétante:

« Si la Suède est incapable de prévenir des formes aussi extrêmes d’exploitation sur son propre marché du travail hautement régulé, que ce soit par proscription juridique ou par les mesures compensatoires d’une société civile et d’un mouvement syndical actifs, quelles possibilités existe-t-il de prévenir une dérive vers l’exploitation par le travail forcé de travailleuses et travailleurs migrants vulnérables dans le reste de l’espace européen ? »

Le combat pour les droits des travailleurs migrants est le combat pour les droits de tous les travailleurs.

Et c’est justement parce qu’ils sont souvent impopulaires et acculés à des conditions déplorables que les syndicats se doivent d’ouvrir leurs portes à ces travailleuses et travailleurs, pour leur offrir leur protection et en finir, une fois pour toutes, avec cette « course vers le bas » des droits et des conditions d’emploi dans l’ensemble de la région.

C’est là une condition indispensable pour traduire dans les faits les protections et droits promis par la directive.