La Chine en marche vers la « société socialiste » pour 2050

La Chine en marche vers la « société socialiste » pour 2050

« Construisons une vitrine de (notre) civilisation pour renforcer les liens d’amitié avec les cinq continents », un slogan propagandiste reproduisant la calligraphie de l’ex-président chinois Jiang Zemin, affiché dans les installations de la Compagnie aéroportuaire internationale de Shanghai (sur la côte Est de la Chine). C’est Jiang Zemin lui-même qui, à l’époque, a hissé à la politique son conseiller et théoricien, l’académicien Wang Huning, devenu l’idéologue du projet actuel de la Chine d’accéder au rang de « société socialiste » à l’horizon 2050.

(José Á. Díaz)

La Chine se trouve à la croisée des chemins dans son long développement. Le pays le plus peuplé du monde passé au rang de seconde économie de la planète, avec une population urbaine affichant des niveaux de vie jamais atteints par les générations antérieures, traîne derrière lui un fardeau social et environnemental accablant et des inégalités à ce point abyssales qu’elles pourraient finir par saper la légitimité-même du Parti communiste chinois (PCC), qui gouverne aux destinées de la République populaire depuis 1949 et s’appuie sur le progrès économique pour justifier sa permanence au pouvoir.

Consciente qu’elle doit s’atteler à ces questions urgentes si elle tient à ce que le développement du pays soit équilibré et durable, Pékin s’est fixée pour échéance 2050, ainsi qu’un calendrier de travail pour accéder au rang de « société socialiste » conformément à la promesse du Parti à sa fondation en 1921.

En octobre 2017, la XIXe session du Congrès du PCC, une rencontre quinquennale dans le cadre de laquelle sont habituellement dévoilés les grands axes de la politique nationale pour le quinquennat suivant et qui, à cette occasion, revêtait une transcendance extraordinaire, avec l’annonce de l’avènement d’une « nouvelle ère », ainsi que des dispositions requises pour rendre celle-ci possible à l’horizon 2050.

Dans son allocution, Xi Jinping a annoncé au Congrès, pour 2022, année qui marquera le centenaire de la fondation du PCC, que la Chine devra avoir sorti de la pauvreté extrême près de 40 millions de citoyens qui se trouvent encore actuellement dans cette situation, et que ce n’est qu’à partir de ce moment que le pays pourra se considérer au rang de « société modérément prospère ».

L’accomplissement de cet objectif marquera le point de départ de cette « nouvelle ère », dont le commencement s’échelonnera en deux phases : Entre 2020 et 2035, le pays devra se soumettre à une « modernisation socialiste » appuyée par une série de réformes qui restent à concrétiser. Ensuite, entre 2035 et 2050, la Chine devra se convertir en un « grand pays moderne socialiste, à la fois prospère, fort, démocratique, avancé sur le plan culturel, harmonieux et beau [raisonnablement exempt de pollution] », a déclaré Xi Jinping.

Xi Jinping, guide pour le 21e siècle

Les difficultés implicites à cette tâche pourraient expliquer les efforts mis en œuvre par Xi pour garantir la continuité de sa politique extérieure au cours des prochaines décennies. De fait, ce dernier Congrès a supposé la consolidation du pouvoir aux mains de Xi, qui préside le pays depuis 2013 mais qui vient seulement maintenant de se voir parer contre tout risque d’éventuelles résistances internes avec l’inclusion de sa pensée politique dans le texte de la Constitution du Parti.

Xi Jinping se voit, de même, consacré du fait de l’association directe établie entre sa théorie et son nom, une consécration dont les seuls à avoir joui avant lui furent nuls autres que Mao Zedong (reconnu dans la Constitution comme le guide du PCC depuis 1945) et le réformiste Deng Xiaoping (depuis 1997).

Cette mesure exceptionnelle, outre l’absence d’un successeur clair pour 2023, alimente les spéculations selon lesquelles Xi pourrait briguer une prolongation de son mandat, éventuellement jusqu’au 21e Congrès, en 2027, voire au-delà. Ce qui marquerait une rupture avec la norme non écrite qui limite normalement les mandats à dix ans, divisés en deux législatures quinquennales, et en vertu de laquelle les dirigeants successeurs sont élus au début du second mandat moyennant leur inclusion au Comité permanent du Bureau politique du PCC, le noyau dur du pouvoir national.

Que Xi Jinping se maintienne ou non officiellement à la présidence au-delà de 2022 n’est pas tellement important, explique à Equal Times Mario Esteban, chercheur principal du Real Instituto Elcano de Estudios Internacionales y Estrategicos.

« Parce que le remaniement amorcé par le PCC a marqué sa politique pour les décennies à venir et indépendamment des impacts que d’éventuels facteurs externes puissent avoir sur elle, ce Congrès marquera clairement un avant et un après ».

Xi s’est fixé un calendrier de travail influencé par la théorie du « néo-autoritarisme » déjà exposé dans les années 1980 par le théoricien politique Wang Huning, récemment consacré comme l’un des sept membres du nouveau Comité permanent. Selon Wang, dans un pays gigantesque et initialement pauvre comme la Chine, il est nécessaire, dans un premier temps, d’entreprendre une sorte d’« autoritarisme bénévole » mais ferme, car ce n’est qu’ainsi, souligne-t-il, que pourront s’établir les bases socioéconomiques qui, subséquemment, permettront un véritable développement, ainsi qu’une plus grande ouverture.

Se hissant des rangs du monde académique à la politique en 1995 sous l’aile du président chinois de l’époque, Jiang Zemin, Wang a dès le début apporté des contributions théoriques au Parti pour orienter l’action du gouvernement sur le long terme. Il l’a également fait sous le précédent dirigeant chinois Hu Jintao et le fait à nouveau avec Xi Jinping. De fait, ses idées semblent constituer la base du programme qu’a présenté l’actuel président et leader du PCC pour 2050.

De nouveaux défis pour une nouvelle ère

« En plus de proclamer l’aube d’une « nouvelle ère » qui commence aujourd’hui, Xi a aussi évoqué une nouvelle contradiction principale », à savoir, le concept qui détermine pour chaque moment l’objectif principal du travail du PCC qui est, à présent, la rectification des inégalités, a expliqué dans un entretien avec Equal Times la sinologue Mareike Ohlberg, chercheuse associée du Mercator Institute for Chinese Studies (MERICS), le principal centre d’étude européen actuellement dédié à la sinologie.

Selon Xi, 14 points seront mis en œuvre, notamment la résolution de « la ‘contradiction principale’ entre l’aspiration croissante de la population à une vie meilleure et un développement déséquilibré et insuffisant », autrement dit combattre les inégalités et basculer l’économie vers un modèle plus efficace et écologique qui permette aux Chinois de mener une vie plus « prospère » et au PCC de conserver sa légitimité.

Ce calendrier de développement à l’horizon 2050 permet d’anticiper sa matérialisation sous forme de futures mesures qui prendront forme dans le domaine social, du travail et environnemental au cours des prochaines années.

« À travers cette redéfinition, le Parti a officiellement changé d’approche de travail en se recentrant vers un développement plus équilibré, au lieu d’accorder la priorité à la croissance économique » exclusivement, a indiqué Ohlberg, quoique Pékin avait déjà au cours des dernières années amorcé divers « programmes, avec plus ou moins de succès, pour venir à bout de la tendance à l’inégalité croissante ».

« En réalité, des efforts avaient dans une certaine mesure déjà été entrepris en ce sens sous Hu Jintao » (président entre 2003 et 2013), a convenu Esteban. « Je pense que Xi va approfondir cette transition qui était déjà en cours, d’un modèle centré sur une croissance quantitative vers un modèle davantage axé sur la qualité de la croissance. »

Aussi, les deux chercheurs espèrent-ils voir se concrétiser des améliorations progressives au cours des prochaines années, bien qu’Esteban avertisse : « Il n’ y a pas de doute que c’est du sérieux et pas de la simple rhétorique : Il y a certes une volonté politique et ils s’y attellent, mais cela ne veut pas dire pour autant que ça sera facile ou que ça se fera du jour au lendemain, car il y a une multitude d’obstacles et énormément d’aspects qu’ils veulent modifier mais très progressivement », pour ne pas courir le risque de noircir l’image du PCC avec de possibles effets collatéraux à court terme de certaines réformes.

Quoi qu’il en soit, « si nous examinons de plus près le Treizième Plan quinquennal (2016-2020) et comparons ses objectifs avec ceux de ses prédécesseurs, nous voyons que l’orientation de la dimension sociale et de la protection environnementale est nettement plus présente que précédemment », a-t-il expliqué, outre le fait qu’on y voit déjà « apparaitre des objectifs environnementaux qui n’y figuraient pas auparavant ».

D’après Esteban, il faut dorénavant s’attendre à voir s’affermir le « rôle redistributif de l’État », avec une amélioration progressive de la qualité et de la couverture des services sociaux et des « réformes de plus en plus assorties de garanties, destinées à améliorer les conditions de travail et la qualité du travail ».

Nonobstant, il a averti que « à l’intérieur de ces réformes il existe aussi des aspects tabous qui compliquent la réalisation des objectifs recherchés et que tant que l’association syndicale ne sera pas autorisée, en l’absence de négociation collective, l’employeur continuera à peser très lourdement contre le travailleur ».

Ohlberg espère aussi des améliorations en termes de qualité du développement et « l’établissement d’un système de sécurité sociale fonctionnel, l’atténuation des effets d’une société en butte à un vieillissement rapide de la population et la lutte pour venir à bout des inégalités entre les régions et combler la brèche entre les zones urbaines et rurales », a-t-il indiqué.

Une chose est sûre, ni elle ni Esteban ne s’attendent à des améliorations en matière d’égalité hommes-femmes dès lors que « contrairement à d’autres domaines, le PCC et le gouvernement n’admettent pas avoir de problèmes sur ce plan », signale madame Ohlberg.

Bien que la Chine soit, de fait, l’un des pays les plus avancés de la région en la matière, en réalité, l’inégalité hommes-femmes est omniprésente et à ce point généralisée au sein de la société que même les activistes des droits des femmes qui commencent peu à peu à entrer en scène dans le géant asiatique sont perçu(e)s par Pékin comme un « groupe qui échappe à son contrôle et dont il convient de brider l’influence », a-t-elle souligné.

D’autre part, le 19e Congrès a aussi reflété l’ambition de Xi d’augmenter le poids de son pays sur la scène internationale et de réaliser le « rêve chinois du rajeunissement national », qui laisse présager que dorénavant, « la Chine deviendra probablement plus proactive à l’heure de promouvoir son propre système politique et son modèle de développement en tant qu’alternatives à l’ordre politique et économique occidental », a-t-elle indiqué.

En effet, depuis la crise mondiale de 2008, « le PCC a investi dans des groupes de réflexion et des projets de recherche visant à assortir d’une base théorique le « modèle chinois » - ou « voie chinoise » comme ils aiment à la nommer ». Des groupes de réflexion et des projets de recherche qui l’aident à défendre ce modèle aux yeux de sa propre population, principalement, quoique « rallier le soutien international en faveur de la ‘façon chinoise de faire les choses’ revêt aussi de plus en plus d’importance aux yeux du PCC », conclut la chercheuse.

Cet article a été traduit de l'espagnol.