La crise d’Al-Aqsa : un nouveau chapitre dans la lutte des Palestiniens contre l’occupation israélienne ?

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Les images d’une foule priant dans les rues de Jérusalem-Est en juillet, défiant l’étalage choquant de brutalité policière, ont autant marqué les esprits que celles prises plus tard de milliers de Palestiniens convergeant vers la mosquée Al-Aqsa pour célébrer un succès improbable : celui du peuple palestinien parvenant à faire reculer ce qu’il dénonçait comme un empiètement de plus d’Israël sur les droits des Palestiniens.

Le 14 juillet, trois Palestiniens-Israéliens de la ville d’Umm al-Fahm ont mené une attaque à l’arme à feu à l’une des entrées de l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa, tuant deux policiers israéliens – qui étaient en fait des Palestiniens de la communauté druze ayant la nationalité israélienne – avant d’être abattus par les forces israéliennes dans l’enceinte de la mosquée.

Après l’attaque, Israël a fermé Al-Aqsa pendant près de trois jours. La mosquée a ainsi été fermée pour les prières du vendredi pour la première fois depuis les années 1960. Mais, lorsque le lieu saint a été rouvert, les Palestiniens de Jérusalem ont été choqués de découvrir que les autorités israéliennes avaient installé des détecteurs de métaux et des caméras de sécurité aux entrées d’Al-Aqsa alors que la Jordanie en est pourtant la garante.

Des milliers de Palestiniens ont alors refusé d’entrer dans l’enceinte d’Al-Aqsa et ont préféré prier dans les rues de la vieille ville de Jérusalem en signe de protestation. De nombreuses autres personnes, en Cisjordanie occupée, dans la bande de Gaza et dans les pays avoisinants, ont solidairement manifesté jusqu’à ce qu’Israël capitule et supprime les mesures de sécurité autour de la mosquée le 27 juillet.

Alors que les événements à Al-Aqsa ont en général été résumés comme un rejet des détecteurs de métaux, les manifestations ont rappelé le symbolisme complexe d’Al-Aqsa dans le contexte plus vaste du conflit israélo-palestinien alors que les mesures d’Israël se font de plus en plus strictes sur le territoire occupé, et ont fait espérer que l’engagement populaire palestinien était arrivé à un tournant décisif.

Al-Aqsa, un symbole religieux et national pour les Palestiniens

Al-Aqsa est le troisième lieu saint pour l’Islam. Dans le même temps, elle serait aussi le lieu où les premier et deuxième temples juifs ont un jour été bâtis. Toutefois, les Palestiniens rejettent les explications simplistes attribuant les réactions déclenchées à de la pure sensibilité religieuse liée au site.

« Al-Aqsa a toujours été un immeuble symboliquement important, tant sur le plan historique que religieux », explique Jawad Siyam, le directeur du Centre d’information Wadi Hilweh à Jérusalem-Est, aux journalistes d’Equal Times. « Dans les années 1980-90, les Palestiniens laïques étaient les premiers à défendre le site. »

Jawad Siyam ajoute que les Palestiniens chrétiens ont aussi soutenu Al-Aqsa, estimant qu’il s’agissait d’un empiètement d’Israël sur la liberté de culte, s’inscrivant dans une politique plus vaste de « judaïsation » de Jérusalem aux dépens de l’héritage non-juif de la ville.

« Même des chrétiens ont manifesté, car ils savent que ce qui arrive aujourd’hui à la mosquée peut survenir demain à l’église », continue Jawad Siyam. « Tous les Palestiniens, laïques ou religieux, du Hamas ou du Fatah, s’accordent sur une chose : Al-Aqsa est une ligne rouge. »

Pour Farid al-Atrash, un juriste palestinien de renom, activiste et président de la Commission indépendante pour les Droits de l’homme dans la ville de Bethléem en Cisjordanie, il n’est pas étonnant que la situation à Al-Aqsa ait gagné un tel soutien populaire, même si la majorité des Palestiniens des territoires occupés ne peuvent pas entrer à Jérusalem.

« Al-Aqsa est toujours un symbole important pour les Palestiniens de Cisjordanie, même s’ils n’ont pas accès à Jérusalem, car il s’agit de la capitale de l’État palestinien », explique Farid al-Atrash à l’équipe d’Equal Times, ajoutant que les Palestiniens estimaient que les manifestations s’inscrivaient dans la lutte plus générale visant à « défendre [leur] héritage arabe et palestinien ».

Israël continue de faire pression sur les Palestiniens

Le bilan de ces 13 jours de soulèvement est lourd : neuf Palestiniens ont été tués par les Israéliens, dont six personnes qui ont été abattues lors d’affrontements. Dans le même temps, trois colons israéliens ont été tués lors d’une attaque au couteau en Cisjordanie au plus fort des manifestations.

Alors que des officiels israéliens déclaraient que la crise à Jérusalem était « sur le point de s’achever », les dispositifs de sécurité ayant été retirés à Al-Aqsa, les forces de sécurité ont continué de sévir contre les Palestiniens qui participaient aux manifestations, arrêtant 100 Palestiniens dans l’enceinte d’Al-Aqsa rien que le 27 juillet.

« Les responsables politiques israéliens doivent dire à leurs citoyens qu’ils ne sont pas faibles et montrer qu’ils arrêtent des Palestiniens, qu’ils les battent », poursuit Jawad Siyam qui ajoute que le Centre d’information Wadi Hilweh a enregistré l’arrestation de 440 Palestiniens de Jérusalem, dont 77 mineurs, rien qu’en juillet.

Jawad Siyam souligne que pendant que les forces israéliennes ont violemment réprimé les Palestiniens qui manifestaient dans les rues, des parlementaires israéliens présentaient un projet de loi pour tenter de rendre impossible toute division de Jérusalem dans le cadre d’une solution à deux États.

Pour le professeur israélien Ido Zelkovitz, qui dirige le département des études sur le Moyen-Orient du Collège Yezreel Valley en Israël, les événements d’Al-Aqsa devraient avoir fait comprendre aux autorités israéliennes la nature changeante du conflit israélo-palestinien compte tenu de l’influence hésitante des partis politiques traditionnels sur la jeunesse palestinienne.

« Du point de vue israélien, je pense que la leçon a été apprise, à savoir qu’à une nouvelle époque politique où les médias sociaux remplacent les dirigeants politiques, si vous voulez en finir avec une crise, vous devez mettre en place un dialogue avec les dirigeants [palestiniens] locaux et avec la société civile », confie Ido Zelkovitz à l’équipe d’Equal Times.

Toutefois, ajoute-t-il, les événements semblent aussi avoir poussé la classe politique israélienne un peu plus vers la droite.

« Parce que des citoyens israéliens d’origine palestinienne ont lancé l’attaque [du 14 juillet], des Israéliens, y compris de gauche, envisagent la possibilité non seulement d’un échange de territoire, mais aussi d’un échange de population » dans le cadre d’une future solution à deux États, déclare-t-il.

Cela signifie qu’Israël ne chercherait plus exclusivement à annexer de façon permanente des colonies illégales sur le territoire palestinien occupé, mais aussi à transférer près de 1,8 million de citoyens palestiniens d’Israël vers un nouvel État palestinien.

Une victoire pour le peuple ?

Pourtant, pour de nombreux Palestiniens, une chose est claire : la crise d’Al-Aqsa a été l’occasion d’une mobilisation mémorable du public alors que la répression israélienne ne fait que croître. Ce succès a d’autant plus d’importance que les factions politiques traditionnelles n’ont qu’une influence limitée dans le mouvement de protestation.

L’émergence d’un mouvement populaire si puissant est en partie créditée aux divisions en cours entre le Fatah, le parti au pouvoir en Cisjordanie, et le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza.

Si le conflit entre les deux partis et la désillusion grandissante que suscite la classe dirigeante palestinienne ont contribué à la croissance d’une résistance indépendante plus localisée, Farid al-Atrash estime que l’unité politique est nécessaire pour faire progresser la lutte des Palestiniens.

« Je pense que le militantisme de base est l’une des façons les plus importantes de résister à cette occupation, mais nous devons l’adopter comme un mode de résistance général, national », explique-t-il. « Pour que cela arrive, l’une des choses les plus importantes est d’en finir avec les divisions internes palestiniennes. »

« Nous sommes parvenus à faire retirer les détecteurs de métaux et c’est une victoire symbolique qui montre aux Israéliens qu’ils ne peuvent pas faire tout ce qu’ils veulent, quand ils veulent », continue Farid al-Atrash. « J’estime que c’est une victoire pour la résistance populaire non violente. »

Jawad Siyam salue également le message envoyé à Israël par la capacité des manifestants à obtenir un changement alors que d’autres récents mouvements populaires palestiniens se sont souvent battus pour obtenir des résultats tangibles.

« Israël ne peut décider de tout tout seul, car nous sommes sur le terrain », estime Jawad Siyam. « Si Israël veut obtenir la victoire totale, il devrait tuer tous les Palestiniens. »

Si les comparaisons ont été multiples entre les événements de juillet et la vague de soulèvements dans le territoire palestinien occupé à la fin de 2015, Farid al-Atrash se refuse à décrire les protestations d’Al-Aqsa comme une conséquence de la révolte populaire d’il y a un an et demi.

« Je ne vois pas ce mouvement comme une prolongation de l’intifada de 2015, parce que les Palestiniens ont toujours défendu et protégé leurs sites religieux, leurs terres et leurs maisons, et ont toujours protesté contre toutes les procédures et les violations d’Israël. »

Jawad Siyam souligne aussi que la crise d’Al-Aqsa n’est qu’une facette de la lutte de longue date des Palestiniens contre l’occupation israélienne.

« Il n’existe pas qu’un seul combat palestinien. Dans certains lieux, nous protestons contre les colonies, dans d’autres nous nous battons contre le mur de séparation », explique Jawad Siyam. « Nous savons qu’[Al-Aqsa] ne va pas libérer la Palestine, mais ça nous donne l’énergie positive de poursuivre. »

Et Farid al-Atrash d’approuver : « Si l’occupation continue, la résistance continuera ».

Cet article a été traduit de l'anglais.