La crise mondiale du chômage des jeunes : Le grand défi de notre temps [avec le changement climatique]

Jusqu’à 90%. Telle est l’importance que les jeunes du monde entier – interrogés par la fondation Milennial Dialogue – attribuent au rôle de l’économie dans leur « future qualité de vie ». Au milieu du débat général concernant l’avenir du travail dans le contexte de l’actuelle Révolution industrielle, tant le chômage chronique que la précarité à laquelle s’affrontent les nouvelles générations et leur méfiance vis-à-vis de la politique pourraient avoir des conséquences désastreuses pour l’ensemble de la société.

« La crise du chômage des jeunes spécifiquement – qui s’inscrit dans un contexte de chômage mondial – constitue, avec le changement climatique, le grand défi de notre temps », a affirmé lors d’un entretien avec Equal Times le directeur de l’OIT en Espagne, Joaquín Nieto. « Chaque année de par le monde, 40 millions de jeunes – soit 400 millions en l’espace d’une décennie – rejoignent un marché du travail qui peine à s’étendre suffisamment. » Sur 200 millions de chômeurs dans le monde, 70 millions sont des jeunes.

Comme explique Nieto : « Si l’économie n’est pas capable d’offrir une réponse, nous nous retrouverons avec une génération perdue », ce qui impliquera la « perte de capital humain, l’exclusion et le déracinement », avertit-il.

« L’autre grand défi est la qualité de l’emploi », poursuit-il, « car à la différence des générations antérieures et des grandes conquêtes ouvrières, la crise est venue exacerber la substitution de travailleurs qualifiés par d’autres qui ne le sont point. » Il convient d’ajouter à cela « l’affaiblissement des politiques de protection sociale et une fracture du contrat social ».

« Faute d’une solution au problème du chômage des jeunes à niveau mondial, les conséquences seront graves, même s’il reste à voir dans quel sens », argumente Nieto. « Pour résoudre ce problème, il est nécessaire d’avoir une orientation dans les politiques économiques et sociales en matière d’emploi, attendu que la crise de l’emploi des jeunes se trouve derrière des phénomènes de toutes sortes, comme dans le cas du Printemps arabe de 2011 », ajoute Nieto.

Des pays aux prises avec « une explosion démographique des jeunes », le chômage et l’instabilité

Une étude de l’institut de recherche norvégien Peace Research Institute Oslo (PRIO) concernant, précisément, le Printemps arabe et le rôle des jeunes concluait que les pays en proie à une « explosion démographique des jeunes » couraient un plus grand « risque de défaillance ». Malgré le fait que le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord « connaissent un rythme de mûrissement rapide au plan démographique », l’étude relève néanmoins comme un facteur préoccupant la carence latente d’« opportunités politiques et économiques » pour les jeunes.

Qui plus est, le contexte de chômage des jeunes engendre « un grand nombre de jeunes frustrés et sans emploi » qui se convertissent en un « réservoir permanent de recrues potentielles » pour ce qu’il nomme les « organisations rebelles ».

Cette année-là (2011), 40% des manifestants en Égypte, au Yémen, en Libye et en Tunisie avaient entre 18 et 20 ans, près de la moitié étaient des étudiants et 75% étaient sans emploi ou travaillaient à temps partiel.

En Amérique centrale, les pyramides des âges reflètent aussi une croissance rapide – concentrée entre 15 et 24 ans – qui se maintiendra durant les trois prochaines décennies. Le taux d’homicides de personnes du sexe masculin dans cette tranche d’âge, résultant majoritairement de la violence de gangs, est quatre fois supérieur à la moyenne mondiale, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime.

Ana Glenda Táger, directrice régionale pour l’Amérique latine d’Interpeace connait bien le phénomène des bandes juvéniles (comme les pandillas ou gangs, les maras ou organisations criminelles, ou encore les groupes de supporters sportifs ou les associations scolaires), qui d’un « mécanisme de cohésion, d’identité et de solidarité » est entré dans une phase de « radicalisation », sous l’effet de la « violence excessive exercée par l’école et la famille et de l’action répressive de la police », a-t-elle expliqué dans une interview avec Equal Times.

« Aux jeunes de la région décrite comme le Triangle du Nord – Guatemala, Salvador et Honduras -, qui représentent, du reste, la majorité de la population, il ne reste plus que trois options vitales : Émigrer aux États-Unis – dans des conditions précaires et en courant toutes sortes de risques-, participer à l’économie informelle ou grossir les rangs des gangs ou du crime organisé », indique-t-elle.

Ces trois pays se classent en tête de la région en termes du nombre de jeunes qui ne travaillent pas et ne suivent ni études ni formation, avec des taux proches de 30% selon une étude de l’OIT sur le travail décent et la jeunesse.

Le nombre estimé de jeunes se trouvant dans cette situation dans l’ensemble de l’Amérique latine atteint 20 millions, selon la Banque mondiale.

« Ils sont conscients qu’ils ne vivront pas mieux que leurs parents »

S’agissant des jeunes des pays industrialisés, Nieto ne peut affirmer si les conséquences de leur «  remise en question de l’establishment et du fonctionnement du système » seront négatives.

« Il s’agit d’une jeunesse relativement bien préparée, participative, qui peut ouvrir la voie à des mouvements comme le 15M en Espagne – plutôt solidaires, qui sont venus ébranler certains aspects ankylosés des démocraties actuelles – ou qui, au contraire, pourrait donner lieu à l’embrigadement massif de jeunes au sein d’organisations qui proposent comme réponse la xénophobie, le racisme et le nationalisme exclusif. En ce sens, la réaction sociale et des politiques économiques en matière d’emploi qui engendrent suffisamment de confiance pour que cette remise en question soit constructive revêtiront une importance fondamentale. »

Il reconnait, néanmoins, que « la frustration des jeunes a pour facteur sous-jacent la prise en conscience du fait qu’ils ne vivront pas mieux que leurs parents ».

En Espagne, depuis le début de la crise, le risque de pauvreté chez les jeunes de 16 à 29 ans a augmenté de 11 points de pourcentage (de 18,1 à 29,2%), cependant qu’il a baissé de 13 points (de 25,5 à 12,3%) dans la tranche d’âge des plus de 65 ans, selon l’Instituto Nacional de Estadística.

La plus importante enquête sur la génération Y (personnes nées au cours des deux dernières décennies du 20e siècle approximativement) révèle que les personnes de cette tranche d’âge, soit des jeunes d’entre 18 et 35 ans, ne s’intéressent pas à la politique. Leur principal argument : Que ce sont les politiques qui ne s’intéressent pas aux jeunes et à leurs problèmes.

« En Allemagne, ils figurent bien dans l’agenda politique. Mais ils se sentent trahis quand après les élections, les politiques font tout autre chose », critique Fabian Wichman, responsable des campagnes Exit Deutschland. Ce projet de déradicalisation, unique au niveau du pays, a réussi à « sauver » plus de 600 personnes des rangs d’organisations nazies au cours des 14 dernières années.

D’après le ministère de l’Intérieur allemand, toutefois, il en resterait toujours près de 25.000 dans les rangs de telles organisations, dont 40% seraient prêtes à « recourir à la violence pour promouvoir leur idéologie ».

« La protection des données exclut les personnes de moins de 16 ans de ce chiffre », explique Wichman, « or si vous observez la criminalité en général, l’âge le plus violent dans des groupes liés à différentes idéologies se situe entre 18 et 31 ans ».

Quant aux facteurs déclencheurs de la radicalisation de ces jeunes, selon Wichman : « Il existe un rapport étroit avec l’entrée dans l’âge adulte et les problèmes au sein de la famille ou à l’école (…), mais il y a aussi des facteurs d’ordre économique : La peur de ne pas trouver d’emploi ou la xénophobie », ajoute-t-il.

« D’autres ont un emploi, ne vivent pas en marge de la société, cependant la crainte de tout perdre peut aussi déclencher chez ces personnes des comportements violents. Il y aussi des événements de portée globale, comme la crise des réfugiés… ils ont l’impression qu’ils vont y perdre ou que d’autres collectivités vont y perdre. Il y a la hantise de ne pas obtenir ce à quoi l’on aspire, comme un logement par exemple (…). C’est une combinaison de facteurs – la famille, un contexte de violence – puis ces groupes qui te promettent que ‘si t’as un problème, nous on a la solution’ », conclut-il.

« Dans le cadre du débat sur le Futur du travail, l’OIT, les gouvernements, les syndicats et les organisations d’employeurs tentent d’analyser la question de savoir s’il y aura bien du travail – décent – pour tous et si oui, sous quelle forme. L’automatisation dans le contexte de la révolution industrielle en cours supposera une augmentation exponentielle de la productivité ; reste à savoir si ces bénéfices seront répartis ou pas », explique Nieto.

« S’ils sont répartis, on pourrait se trouver devant un scénario inclusif. Cependant, le contraire pourrait aussi survenir, vu que les tendances de l’emploi, au regard des mesures prises durant la crise, ne pointent pas dans la bonne direction. Si la tendance récente devait se maintenir, cela pourrait conduire à une révolution technologique entachée d’exclusion sociale, où la cohabitation ne serait plus possible. Et c’est précisément là que se trouve le grand danger », a-t-il conclu.

Cet article a été traduit de l'espagnol.