La justice du Guatemala punit des délits sexuels commis pendant la guerre civile

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Fin février, 15 femmes de l’ethnie maya q’eqchi’ ont remporté une victoire lorsque, pour la première fois au monde, des tribunaux nationaux ont émis des condamnations pour des délits de violence sexuelle et d’esclavage dans le cadre d’un conflit armé. Le sous-lieutenant d’artillerie, Esteelmer Francisco Reyes Girón, et le commissaire militaire, Heriberto Valdez Asig, ont été condamnés à respectivement 120 et 240 années de prison.

Selon le collectif d’organisations plaignantes appartenant à l’Alianza Rompiendo el Silencio y la Impunidad(Alliance pour rompre le silence et l’impunité), l’affaire Sepur Zarco remonte à 1982 et doit son nom à une communauté qui borde les départements guatémaltèques d’Alta Verapaz et d’Izabal, où s’étaient installés environ six détachements militaires pendant la guerre civile, avec chacun un objectif différent : extermination, torture, etc.

Là-bas, les époux des victimes ont été considérés comme des insurgés et ont disparu, alors que les femmes ont été soumises à de l’esclavage domestique, à des violences et à de l’esclavage sexuel pendant six mois, subissant quotidiennement des viols d’un ou de plusieurs soldats (le campement avait été établi comme un centre de récréation et de repos pour la troupe).

Pour éviter les grossesses, certaines femmes ont reçu des injections ou ont été forcées de prendre des médicaments.

Ces faits se sont produits peu de temps après la demande officielle des habitants de la zone d’être propriétaires des terres qu’ils travaillaient.

Les survivantes de ces violences, pour la plupart des femmes unilingues (qui ne connaissent pas l’espagnol), analphabètes, aujourd’hui âgées et vivant dans des conditions de pauvreté extrême, ont été soutenues par l’organisation Mujeres Transformando el Mundo (les femmes transforment le monde), et ont suivi un processus d’autonomisation de cette même association. L’organisation et ses alliés sont parvenus à déposer plainte et à rompre le silence après plus de 30 ans d’impunité.

En 2009, l’alliance a identifié 15 femmes pour qu’elles participent au procès en tant que victimes. Un code, avec des images d’animaux, a été établi pour les aider à comprendre le processus juridique. C’est ainsi que les victimes étaient représentées par des papillons, le juge était un hibou, le ministère public un perroquet, l’interprète était représentée par un colibri, la colombe a été utilisée pour la psychologue et les accusés étaient représentés par un lion.

Le 26 février, l’affaire s’est close par une condamnation qui prévoit, entre autres mesures de réparation, de fixer la Journée nationale de la vérité pour les femmes ayant survécu à des violences sexuelles, à de l’esclavage sexuel et domestique au 26 février, d’inclure l’histoire de Sepur Zarco dans les livres qui traitent de la guerre civile et de prévoir dans le programme de formation militaire, un cours sur les droits humains des femmes et de prévention des violences contre les femmes.

En outre, Reyes Girón devra payer 500.000 quetzales (environ 65.000 dollars US) à chacune des femmes de Sepur Zarco (11 en tout) au titre de réparation individuelle.

« Nous estimons que nous avons mis au point une stratégie procédurale qui se concentre sur la question de l’égalité entre les hommes et les femmes, et qui place les femmes au centre de toutes les actions à mener », a expliqué à la presse Paula Barrios, coordinatrice générale de Mujeres Transformando el Mundo.

« Pour nous, il est très important que le processus juridique soit mené par les victimes, que ce soient elles qui prennent les décisions sur base des différentes possibilités que l’équipe juridique leur a évidemment présentées ; ce processus appartient aux victimes et cette démarche marque une autonomisation et une appropriation de leur propre destinée. Nous espérons que tous les processus juridiques impliquant des femmes seront désormais envisagés avec un souci d’équité entre les hommes et les femmes, et de défense de droits humains des femmes », a précisé Paula Barrios, estimant qu’il s’agit là d’une avancée obtenue grâce à cette affaire en termes de jurisprudence.

Cette affaire est particulièrement pertinente, car elle est parvenue à ce que des tribunaux nationaux tiennent compte d’éléments liés au genre et à la multiculturalité, mais aussi parce qu’ils ont interdit les tactiques dilatoires dans le processus juridique, un subterfuge utilisé dans d’autres affaires historiques comme celle de l’ancien général, Ríos Montt, qui aurait été lié au génocide de l’ethnie Ixil et dont le procès été interrompu à deux occasions alors qu’il s’agit de crimes contre l’humanité.

L’histoire juridique de l’affaire Sepur Zarco a débuté en septembre 2011 lorsque l’Alianza Rompiendo el Silencio y la Impunidad (composée des organisations Mujeres Transformando el Mundo, Unión Nacional de Mujeres de Guatemala et Equipo de Estudios Comunitarios y Acción Psicosocial) ont déposé plainte au pénal. Un an plus tard, en septembre 2012, les victimes ont produit des preuves et en juin 2014, des mandats d’amener ont été émis à l’encontre des deux accusés, Reyes Girón et Valdez Asig.

Le procès s’est ouvert en octobre 2015.

« Nulle part ailleurs dans le monde, un tribunal national n’a jugé un délit d’esclavage sexuel et domestique », a déclaré aux médias Leonor Artega, responsable principale de programme de la Fundación para el Debido Proceso (DPLF, fondation pour une procédure régulière).

« Cette affaire montre que la justice est possible lorsque les procureurs et les juges en ont la volonté et lorsqu’il existe des systèmes pénaux constitués de professionnels valables et techniquement capables, et qui travaillent en tenant compte des victimes. Ce procès montre que, dans un pays où certains lancent des messages de haine, où d’autres s’opposent à ces procès et où la société se montre indifférente, et bien, malgré tout cela, la justice est possible. Il montre aussi que l’état de droit fonctionne et qu’il fonctionne pour éviter la répétition de délits tellement effroyables », a ajouté Leonor Artega, qui a accompagné les plaignantes pendant le processus.

Julia Barrera, porte-parole du ministère public du Guatemala, a expliqué aux journalistes d’Equal Times qu’en plus de l’affaire Sepur Zarco, deux autres cas liés au conflit armé étaient ouverts et en cours dans le pays. Il s’agit de l’affaire Molina Theissen (disparition forcée d’un mineur de 14 ans) et du cas Creopaz (abus dans une base militaire).

Il peut être fait appel du verdict de l’affaire Sepur Zarco au niveau national et elle pourrait aboutir en cassation, mais pour le moment, rien n’indique que les accusés ont entamé ce genre de démarches.

La violence sexuelle est une tactique de guerre considérée comme un crime contre l’humanité. Selon le Programme de communication sur le génocide au Rwanda et les Nations Unies, entre 100.000 et 250.000 femmes de ce pays ont été violées au cours des trois mois de génocide en 1994 ; le nombre de victimes de la guerre civile au Sierra Leone en 1991 est supérieur à 60.000 ; plus de 40.000 femmes ont subi ce sort au Liberia entre 1989 et 2003 ; on dénombre environ 60.000 femmes victimes en ex-Yougoslavie entre 1992 et 1995 ; et elles seraient au moins 200.000 en République démocratique du Congo depuis 1998.

Le conflit armé qui a frappé le Guatemala de 1960 à 1996, l’un des plus sanglants du continent, a fait plus de 200.000 morts et 50.000 disparus.

 

Cet article a été traduit de l'espagnol.