La lutte des mères communautaires colombiennes pour une vieillesse digne

La lutte des mères communautaires colombiennes pour une vieillesse digne

(From left to right) Dominga Ramos, Francisca Paternina, Olga Ibáñez and Ana Estela de Ávila have worked as community mothers for 30 years in one of the poorest neighbourhoods of Cartagena (Colombia).

(Marcela Madrid Vergara)

Dominga Ramos, Francisca Paternina, Olga Ibáñez et Ana Estela de Ávila ont consacré les 30 dernières années de leur vie à prendre soin d’enfants d’autres personnes. Ces mères communautaires sont pratiquement toutes septuagénaires et travaillent dans le quartier d’El Pozón, l’un des plus pauvres de Cartagena (Colombie). Comme elles, près de 80.000 femmes à travers le pays accueillent chez elles jusqu’à une douzaine d’enfants, pour les nourrir et les éduquer pendant que leurs parents travaillent.

Bien que l’âge de la retraite pour les femmes en Colombie soit de 57 ans, ces mères et grand-mères entendent continuer de s’occuper des enfants tant que leur corps le leur permettra. La raison est simple : si elles prennent leur retraite, elles cesseront de toucher le salaire minimum (737.000 pesos, soit 250 USD ou 234 euros) que leur verse mensuellement l’État et passeraient à une prime de retraite de seulement 280.000 pesos par mois (environ 95 USD ; 89 euros).

Dominga, 68 ans, marche à l’aide d’une canne, à cause d’un problème au genou, et a du mal à travailler. « Je ne peux pas porter un petit enfant dans les bras ; j’ai fait plusieurs chutes et je suis obligée de demander qu’on vienne à mon aide. » Après être passée par des épisodes similaires, Olga, 69 ans, s’est imposé un ultimatum : « Qu’ils me paient ou pas, c’est ma dernière année de travail. C’est ce que veut l’État, que nous nous épuisions à la tâche. »

Employées sans garanties

La figure de mère communautaire fut légalisée en Colombie en 1988, année de création des Foyers communautaires de bien-être (Hogares Comunitarios de Bienestar). Depuis 1995, l’État régule leurs activités à travers l’Institut colombien du bien-être familial (Instituto Colombiano de Bienestar Familiar, ICBF). Ce n’est, toutefois, pas avant 2014 qu’elles commencent à toucher le salaire minimum car historiquement, c’étaient les pères de famille qui se chargeaient de leur verser une contribution volontaire pour leur travail.

Des milliers de mères communautaires qui ont ainsi offert leur foyer et leur vie luttent depuis des décennies à la barre des tribunaux pour que l’État reconnaisse leurs droits de travailleuses, des droits qui leur ont été déniés durant près de 30 ans.

En novembre 2016, elles ont enfin remporté une victoire : La Cour constitutionnelle a accordé gain de cause à 106 d’entre elles et ordonné, dans une sentence historique pour le pays, que l’État leur verse les salaires et les contributions de retraite qu’elles n’ont pas obtenus durant toutes leurs années de service. La Cour a, par ailleurs, recommandé la mise en œuvre de mesures qui protègent les droits du travail de toutes les mères communautaires du pays.

La réponse immédiate de l’État a été de demander l’annulation de la sentence, au prétexte qu’il ne disposait pas de fonds publics suffisants pour la mettre à exécution : « Nous avons une très grande préoccupation. Le jugement de la Cour constitutionnelle pourrait coûter au pays 22 milliards de pesos » (environ 7600 millions USD ; 7000 millions d’euros), indique Cristina Plazas, directrice de l’ICBF.

Pour Juan Pablo Mantilla, avocat du syndicat des mères communautaires, ce chiffre est exagéré, dès lors qu’il reflète les compensations qui devraient être versées à l’ensemble des 120.000 femmes qui ont exercé cette activité et non aux seules 160 concernées par le jugement de la Cour.

L’autre argument invoqué par le gouvernement pour s’abstenir de payer est que les mères communautaires ne sont pas des employées de l’État. Ce qui est, en théorie, exact attendu qu’elles ne sont pas embauchées directement par l’État mais bien par le biais de fondations locales majoritairement constituées par des parents. « Ce qu’elles font relève, comme l’indique leur nom, du travail communautaire. Désormais, un contrat leur est reconnu à travers ces fondations et ce sont ces fondations qui doivent en répondre devant elles », explique Plazas.

Dans la pratique, toutefois, il existe bel et bien un contrat (et la Cour le reconnaît) entre les mères communautaires et l’État puisqu’elles sont tenues au respect d’une série de paramètres minimums dans le cadre de leur travail : Travailler entre quatre et huit heures par jour, disposer d’un logement adéquat, être en bonne santé et être disposées à suivre des formations.

D’où la plainte de Fernanda Paternina, de Cartagena, mère de sept enfants qui s’occupe en plus de 14 autres enfants : « Ils affirment que nous ne sommes pas des employées de l’ICBF. Quand nous allons nous adresser à eux, ils refusent de nous recevoir, en revanche, ils viennent nous rendre visite plusieurs fois par an pour s’assurer que tout est parfait chez nous. »

Et maintenant quoi ?

La Cour a fixé le délai d’exécution de la sentence à un mois pour les mères communautaires de plus de 60 ans et à deux mois pour celles qui se trouveraient dans un état de santé grave. Toutefois, près de quatre mois après la sentence, ces femmes attendent toujours des réponses, alors que cinq d’entre elles sont décédées dans des circonstances qui, selon l’avocat Mantilla, auraient pu être évitées.

Tel fut notamment le cas de Luz Marina García, une mère communautaire de 69 ans, dans la ville de Cali, qui souffrait d’une varice avancée. Alors qu’elle préparait les matériaux pour une activité avec les enfants, elle s’est cognée à un coin de table et est morte d’une hémorragie.

Les 101 mères communautaires qui attendent toujours de recevoir leur paiement au même titre que les milliers d’autres à travers le pays dont les demandes sont en cours n’attendront pas les bras croisés. Le 22 mars 2017, des milliers de mères communautaires sont parties en grève pour faire pression sur l’Assemblée plénière de la Cour constitutionnelle qui, ce jour-là, ouvrait l’examen de la demande d’annulation interjetée par l’ICBF

Au bout de plusieurs jours de manifestations devant la Cour constitutionnelle à Bogota et les sièges régionaux de l’ICBF, avec des slogans et des pancartes où elles demandaient « que la Cour s’en tienne à sa décision initiale », elles ont décidé que la grève serait indéfinie : « La grève sera indéfinie jusqu’à ce que nous sachions s’ils ont rejeté ou approuvé l’annulation. Si la sentence est révoquée, nous perdrons tout le travail que nous avons accompli depuis des années », signale Olinda García, présidente du syndicat.

Bien qu’elle n’exige des réparations que pour 106 mères communautaires, la décision de la Cour représente clairement un progrès vers le respect des droits de ces femmes dès lors qu’elle prépare le terrain en vue de réformes transcendantes. Cette décision « met plus que jamais à notre portée notre droit à la pension », ont-elles affirmé dans le communiqué d’appel à la grève.

Il ne s’agit, cependant, que d’une étape. L’année dernière, un projet de loi beaucoup plus étendu fut approuvé quasi unanimement par le Congrès. Celui-ci visait à formaliser le statut des mères communautaires en tant que travailleuses de l’État et à leur reconnaître une allocation vieillesse égale au total du salaire minimum.

Autrement dit, tout ce qu’elles avaient revendiqué depuis des années. La célébration a, cependant, été de courte durée. Le projet de loi fut, en effet, rejeté par le président Juan Manuel Santos au prétexte, encore une fois, qu’il affecterait l’équilibre des finances publiques. Cette décision a résulté dans le renvoi du projet de loi devant le Congrès, où il devra une fois de plus être débattu de fond en comble.

Telle est la situation pour ces milliers de femmes qui ne perdent, néanmoins, pas l’espoir d’écouler leurs vieux jours dans la tranquillité et la dignité. Bien qu’elle ne fasse pas partie des 106 mères communautaires directement concernées par la sentence, Fernanda espère néanmoins voir celle-ci mise à exécution, afin de pouvoir un jour arriver à consacrer son temps à ses sept enfants, ses 40 petits-enfants et ses deux arrière-petits-enfants. « Il arrive dès fois qu’on prive d’amour ses propres enfants pour l’offrir aux autres. »

This article has been translated from Spanish.