La pandémie de Covid-19 ne donne aucune raison d’entraver la démocratie

Lorsque les gens sont allés voter en République dominicaine en juillet, il était clair qu’ils ne participaient pas à une élection normale. Ils se tenaient dans des files d’attente espacées à l’extérieur des bureaux de vote, et quand venait leur tour pour voter, ils portaient des masques et se désinfectaient les mains avant et après. Les fonctionnaires aussi portaient tous des masques et des gants, et les surfaces ainsi que le matériel des bureaux de vote étaient régulièrement nettoyés. En résumé, il était plus difficile de tenir les élections et des précautions particulières devaient être prises à chaque étape - mais les élections ont été possibles et elles ont abouti à une défaite cuisante pour le parti au pouvoir. Le public a exprimé son désir de changement - ce qui lui aurait été refusé si les élections avaient été reportées.

Un nouveau gouvernement a également résulté de l’élection présidentielle du Malawi, tenue en juin à la suite de l’annulation par le tribunal de l’élection frauduleuse de 2019. La Corée du Sud a été précurseur, organisant la première élection nationale sous la pandémie ; malgré les craintes que les gens restent à la maison, le taux de participation a augmenté et un nombre record de femmes élues a été enregistré.

À l’occasion de la Journée internationale de la démocratie, il est temps de dire que des élections peuvent effectivement se tenir en temps de pandémie. Les élections ne sont, bien entendu, pas la seule composante de la démocratie, qui doit également inclure la capacité d’exprimer ses désaccords, de prendre part à l’opposition et de demander des comptes aux personnes au pouvoir ; mais les élections sont une pierre angulaire vitale de la démocratie, et les pays qui ne tiennent pas des élections libres et régulières ne peuvent être considérés comme démocratiques.

Ce que ces exemples montrent, c’est que des élections peuvent toujours être organisées, malgré la Covid-19, et qu’elles peuvent encore permettre une véritable expression de la volonté publique et la transition pacifique du pouvoir. La pandémie rend certainement les élections plus difficiles, mais elle ne les rend pas impossibles, et il existe un ensemble de bonnes pratiques émergeant sur la façon de tenir des élections pendant ces périodes inhabituelles, comprenant des mesures de sécurité, des alternatives au vote en personne et de nouvelles arènes pour la campagne politique.

Les gouvernements ont le devoir d’organiser des élections qui ont lieu chaque fois que possible, et les partis au pouvoir ne devraient pas utiliser la pandémie et les mesures d’urgence comme prétextes pour s’accrocher à celui-ci.

Les gouvernements ont également le devoir de veiller à ce que les gens ne s’exposent pas indûment à des risques dans l’exercice de leurs libertés démocratiques. Cela signifie qu’en plus des mesures de protection, ils devront peut-être proposer de nouvelles méthodes de vote aux personnes qui ne peuvent pas se rendre physiquement aux bureaux de vote, y compris aux groupes de population vulnérables exposés à un risque accru d’infection. Les gouvernements doivent veiller à ce que personne ne soit exclu du droit de vote et que les résultats des élections soient une véritable expression des opinions des citoyens.

Cela signifie que les gouvernements devront peut-être adopter davantage le vote en ligne, par correspondance et par procuration qu’ils ne l’ont fait par le passé - et travailler plus dur pour s’assurer que ces moyens sont fiables et invulnérables aux attaques. En outre, lorsque les méthodes de campagne physiques, telles que les rassemblements électoraux et le porte-à-porte, ne sont pas possibles, il devrait y avoir un accès équitable à la couverture médiatique et un espace en ligne devrait être ouvert afin qu’un éventail de candidats et de partis puissent faire passer leurs messages et se connecter avec les électeurs.

Des élections en deçà des attentes

Malheureusement, alors que certaines élections dans le cadre de la pandémie ont été libres et équitables, il y a également eu plusieurs cas où la réalité est en deçà des attentes. Le parti au pouvoir en Bolivie, qui est arrivé au pouvoir en tant que gouvernement intérimaire à la suite de l’éviction d’Evo Morales en 2019, semble déterminé à continuer de reporter la date des élections à un moment qui rend probable sa victoire. Les élections du Conseil législatif de Hong Kong ont été repoussées d’un an ; elles auraient offert la possibilité de se concentrer pour organiser la dissidence sous la gouverne de plus en plus sévère de la Chine. Aux États-Unis, les attaques de l’administration Trump contre le service postal, à un moment où le vote par correspondance offre un moyen-clé de voter en toute sécurité, semblent la dernière tactique d’une longue campagne de suppression des électeurs qui vise à rendre plus difficile pour les minorités de s’exprimer ; ces attaques visent à aider Trump à se maintenir au pouvoir ou à lui donner un espace pour contester les résultats des élections.

Certains des votes qui ont eu lieu n’ont pas été à la hauteur des normes élevées qui peuvent être atteintes, car les gouvernements en place ont profité des conditions inhabituelles dans lesquelles les élections se sont déroulées. Les élections de juillet à Singapour, qui, sans grande surprise, ont confirmé la longue mainmise du parti au pouvoir, ont vu ce dernier tirer le meilleur parti de ses liens étroits avec les médias publics, auxquels les voix de l’opposition ont eu du mal à accéder ; l’opposition a été dépeinte comme une menace pour la réponse du gouvernement à la pandémie. Des problèmes similaires ont été observés au Sri Lanka.

Dans plusieurs pays, les partis d’opposition, incapables d’organiser des rassemblements ou d’accéder aux médias d’État, se sont tournés vers les réseaux sociaux pour faire campagne. Si les réseaux sociaux ont été utilisés de manière efficace, la désinformation croissante et les restrictions accrues imposées par de nombreux gouvernements à l’expression en ligne durant la pandémie ont également posé problème.

Les rôles habituels de la société civile autour des élections ont également été réduits pendant cette période. Il est devenu beaucoup plus difficile, voire souvent impossible, d’organiser des évènements de sensibilisation à la participation électorale ou d’agir en tant qu’observateurs électoraux, physiquement présents dans les bureaux de vote et de dépouillement. Mais la société civile a quand même fait ce qu’elle pouvait pour contribuer à ce que les élections soient libres et équitables.

Les élections au Malawi n’ont eu lieu qu’à la suite d’une action en justice intentée par la société civile, qui a retardé l’imposition de mesures de confinement jusqu’à ce que celui-ci ait eu lieu ; on soupçonnait le parti au pouvoir de chercher à introduire à la hâte un confinement qui aurait retardé les élections plutôt que de risquer de perdre le pouvoir. En Croatie, la société civile a porté plainte pour obtenir le droit de vote par procuration pour les personnes recevant un traitement hospitalier contre la Covid-19. Et en République dominicaine, lorsque le gouvernement sortant a lancé une campagne qui semblait explicitement destinée à effrayer les gens pour qu’ils restent chez eux plutôt que d’aller voter, la société civile a lancé une contre-campagne encourageant les gens à se protéger et à sortir pour voter en toute sécurité. Les protestations de l’opinion publique ont fait que la campagne du gouvernement a été rapidement abandonnée.

Dans le contexte de la pandémie, les gouvernements ont dû prendre des décisions difficiles et trouver des équilibres complexes entre les objectifs parfois contradictoires que sont le contrôle de la propagation de l’infection, la protection des moyens de subsistance et le respect des droits de l’homme, des libertés démocratiques et de l’espace pour la société civile. Ces décisions difficiles sont plus susceptibles de trouver le juste équilibre si elles sont prises dans un esprit d’ouverture, de dialogue informé et de volonté de rendre des comptes : si elles peuvent être soumises à un contrôle et à un débat démocratiques, et si le rôle de la société civile, non seulement dans la fourniture de services aux communautés dans le besoin mais aussi dans la défense des droits, l’incitation à des solutions de remplacement et le soutien à des élections libres et équitables, est reconnu. La Covid-19 n’est pas une excuse pour retarder, minimiser ou détourner la démocratie ; nous en avons plus que jamais besoin.

Cet article a été traduit de l'anglais.