La prison, ce territoire oublié de la République française

L’agression de surveillants à la prison d’Alençon par un détenu radicalisé le 5 mars a déclenché un mouvement de protestation massif dans les établissements pénitentiaires à travers la France. Le 6 mars, au moins 18 prisons étaient « bloquées » par les surveillants en protestation, d’autres mobilisations ponctuelles étant attendues. Cette manifestation rappelle les événements de 2018 : les surveillants de prison avaient alerté les pouvoirs publics et s’étaient mobilisés dans un conflit social de taille, le plus important dans ce secteur depuis 25 ans.

Certes les agressions (verbales ou physiques) à leur encontre sont fréquentes : l’administration pénitentiaire en compte 4.000 à 5.000 par an, soit des chiffres relativement stables. Cependant, leur intensité augmente. À cela s’ajoutent les conditions de travail : les gardiens demeurent mal considérés, mal payés (1.543 euros par mois au 1ᵉʳ échelon en 2015), mal protégés. Et surtout, travaillent en nombre réduit.

On compte ainsi 27.849 personnels de surveillance pour 78.796 personnes sous écrou d’après les derniers chiffres communiqués par le ministère de la Justice.

Les grèves et manifestations récentes témoignent ainsi, avec force et détresse, de leurs conditions de travail, qu’ils jugent dépassées et surtout dangereuses. Cela ne s’était pas vu depuis 1990, année historique de la grogne des surveillants de prison.

Or, aujourd’hui, la radicalisation religieuse est mise en avant. Les dernières attaques de surveillants auraient ainsi été le fait d’individus suspectés de s’être radicalisés, ou d’avoir adopté la rhétorique djihadiste. On évoque ainsi 500 auteurs d’infractions à caractère terroriste et 2.000 détenus dans cette configuration. Cette figure inédite dans la société française républicaine pose problème à tous points de vue et montre le désarroi des gouvernements et donc des prisons, sur la manière de gérer ces individus singuliers.

À la prison de Fresnes, en 2014, le directeur a tenté de regrouper ces prisonniers les plus radicaux dans une unité spécifique pour éviter toute contagion. Ces derniers épisodes sont surtout un déclencheur et le symptôme d’une prison qui va mal dans une société elle-même en bouleversement.

Que s’est-il passé depuis le rapport du Sénat consacré aux conditions de détention en France daté de juin 2000 ? Ce dernier évoquait « des prisons républicaines aux oubliettes de la société » – ou même une « honte pour la République », comme l’affirmait devant le Parlement réuni en Congrès le 22 juin 2009, le Président de la République Nicolas Sarkozy.

La surpopulation carcérale aggrave les conditions de travail et nuit à la réinsertion

Le travail du Contrôle général des lieux de privation de liberté, autorité indépendante créée en 2007, a permis d’analyser la totalité du parc pénitentiaire français et produit plusieurs observations, entre autres sur la surpopulation carcérale, problème chronique et structurant de la prison. En 1990, le taux d’occupation des établissements pénitentiaires était de 124 %. Il tourne aujourd’hui autour de 117 % avec, début 2017, 68.432 prisonniers pour 58.681 places. La surpopulation se concentre dans les maisons d’arrêt, qui accueillent les personnes en attente de jugement et celles condamnées à des courtes peines de prison.

Cette surpopulation ne se traduit pas seulement par des cellules au taux d’occupation limite, elle dérègle l’ensemble du fonctionnement carcéral et rend, de ce fait, moins efficace encore la réinsertion tout en aggravant les conditions de travail et l’insatisfaction des personnels.

La prison produit de la violence, déjà par ses locaux, insalubres, vieillots, vétustes. On dénombre 187 établissements pénitentiaires en France qui se caractérisent par une très grande diversité de par leur taille, architecture, ancienneté, etc. Ils se répartissent en deux principales catégories : les maisons d’arrêt, et les établissements pour peine. S’y adjoignent des centres pénitentiaires, qui regroupent des quartiers distincts pouvant appartenir à ces deux catégories.

Initiés en 1987, des programmes de construction de nouvelles prisons ont engendré la création d’établissements ultra-modernisées, aseptisées qui valident l’isolement et déshumanisent par leur gigantisme. Trente ans plus tard, le premier ministre Bernard Cazeneuve proposait, le 24 janvier 2017, la commission du Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire, proposant de nouvelles générations de prisons dans l’optique d’en finir avec la surpopulation carcérale. Le livre blanc, remis fin mars, montrera en fait la limite et l’inefficacité de la construction de nouvelles places de prison comme seule solution aux problèmes actuels.

Lutter contre la récidive

Pour désengorger les prisons, il faut lutter contre la récidive. L’initiative de Christiane Taubira, alors ministre de la Justice en 2012, allait dans ce sens : sous son mandat, différents acteurs de la justice et de la société civile ont travaillé pendant cinq mois sur cette problématique. Dans cette perspective, l’incarcération devient un « temps utile » mais la finalité de la sanction se traduit surtout par une peine visant à la réinsertion de la personne. Cette vision remet ainsi en cause l’efficacité de la prison et ouvre la voie à la délivrance de peines alternatives, proposant de repenser en profondeur le système pénal.

Plusieurs pays se livrent à des expérimentations dans leur lutte contre la délinquance, l’incarcération restant une sanction coûteuse, souvent perçue comme peu efficace pour prévenir la récidive. Des TIG (Travaux d’intérêt général) au suivi socio-judiciaire, des aménagements de peine au placement sous surveillance électronique, des permissions de sortir au placement à l’extérieur ou la libération conditionnelle, il existe de nombreuses mesures pour éviter l’incarcération, et ce à tous les stades de la procédure pénale. Mais ces mesures restent insuffisamment utilisées comme réelle alternative à la prison, qui reste la peine de référence.

Ces possibilités sont désormais mises à mal par les déflagrations de violence récentes de la part de ces détenus de plus en plus difficiles à canaliser. Parmi ces dernières, on a ainsi préconisé l’introduction libre du téléphone (qui dans les faits, circule déjà). Celle-ci ouvrirait la voie à l’autorisation en cellules de téléphones portables bridés.

D’autres réformes ont été pensées, comme reconnaître le droit d’expression collective des détenus ou leur rendre plus accessible l’accès aux informations juridiques afin de leur permettre de mieux s’organiser face à l’institution carcérale.

Les événements actuels posent ainsi la question de l’impossible réforme pénitentiaire, à peu près contemporaine de la prison elle-même. Si l’on en croit les écrits de Michel Foucault [sociologue, auteur de l’ouvrage de référence Surveiller et punir], cette entreprise devrait rester vouée à l’échec. La République française, s’est longtemps mobilisée, persuadée que résoudre la question pénale permettrait de résoudre la question sociale. Un projet par la suite, lentement abandonné.

C’est pourquoi il faudrait désenclaver et repenser la prison, et, au-delà, le sens de la peine. Cette perspective est peu remise en question et surtout de plus en plus en inadéquation avec l’évolution de la société, de ses désordres normatifs et des auteurs qui les portent.