La Tunisie joue avec le feu

Tiraillée par d’autres foyers de conflit et les tensions profondes qui ébranlent le monde arabo-musulman, la seule mention à laquelle la Tunisie ait eu droit au cours des sept dernières années a été pour rappeler qu’il s’agissait de la seule lueur d’espoir de ce qui a trop hâtivement été dénommé le « printemps arabe » et qu’elle se trouvait désormais dans le viseur du djihadisme.

Mais en plus d’être le pays nord-africain qui compte le plus grand nombre de ressortissants nationaux enrôlés dans les rangs du terrorisme djihadiste, la Tunisie n’est toujours pas près d’avoir assuré sa transition vers un système qui satisfasse pleinement les demandes et les espérances de ses plus de 11 millions d’habitants.

Pour autant, il n’est guère étonnant que le pays soit redevenu le théâtre de mobilisations citoyennes massives dans diverses villes depuis le début de l’année. Tandis que le souvenir du caractère festif naguère associé aux célébrations du 14 janvier en tant que jour de commémoration de la chute du régime de Ben Ali s’estompe dans la mémoire populaire, cette date a progressivement revêtu un caractère résolument plus revendicatif, jusqu’à l’explosion de l’actuel mouvement Fesh Nastanneu? (Qu’attendons-nous ?), fer de lance au profil encore flou de la frustration d’une population majoritairement jeune en proie à une dégradation manifeste de ses conditions de vie.

Le déclencheur le plus immédiat des événements en cours a été l’approbation de la loi relative aux budgets de 2018, qui prévoit des réductions supplémentaires dans les subventions et aides aux plus défavorisés, parallèlement à une augmentation notable des prix et des impôts.

Des mesures conçues à l’origine en réponse aux graves problèmes économiques qu’affronte la Tunisie, attribuables tant à la corruption et aux déficiences propres du pays qu’à l’impact d’une violence qui a fait fuir le tourisme et les investisseurs étrangers. Dans le cadre des efforts visant à renverser les tendances adverses d’une économie qui ne parvient pas à créer suffisamment d’emploi (le pourcentage de diplômés est supérieur à 30%), il a été nécessaire de recourir au Fonds monétaire international (avec l’approbation en 2015 d’une ligne de crédit d’approximativement 2,8 milliards de dollars pour les quatre années suivantes), qui suppose la recette bien connue de l’austérité parmi ses principales prescriptions.

Si l’on joint à cela le sentiment grandissant que la classe politique, tout enchevêtrée qu’elle est dans ses querelles intestines à l’approche des élections municipales prévues pour mai prochain, ne représente désormais plus les citoyens, on finit par composer un tableau qui n’augure rien d’autre que tension et répression. Une répression à laquelle le chef de l’actuel gouvernement, Youssef Chahed, n’a pas hésité à donner son aval, comme en témoigne la présence renouvelée de soldats dans les rues, et qui s’est d’ores et déjà soldée par un mort et plus de huit cents détenus.

Tout semble indiquer que le gouvernement – formé par Ennhada et Nidaa Tounes – autant que l’opposition – Front populaire en tête – sont de plus en plus perçus comme ignorants et insensibles au sort des Tunisiens, qu’ils n’ont d’ailleurs pas hésité à qualifier de fanatiques et même d’assassins en raison de leur activisme revendicatif. Ce n’est pas en vain que le lourd legs de l’ancien régime continue d’être apparent chez une grande partie des nouveaux dirigeants, alors que pas moins de neuf gouvernements se sont déjà succédé au pouvoir depuis la chute de Ben Ali.

Cela n’empêche pas que pour des considérations purement tacticiennes, Chahed puisse décider de retoucher certains des aspects les plus impopulaires des budgets déjà approuvés, cherchant par-là à désactiver une dynamique qui, d’autre part, manque de leadership défini et n’est pas parvenue à mobiliser les Tunisiens en aussi grand nombre que lorsqu’ils sont descendus dans la rue il y a sept ans pour se libérer du dictateur.

Mais même si cela devait arriver – avec des mesures comme celles décidées dans la nuit du samedi 13 janvier dernier, approuvant l’octroi d’aides aux plus nécessiteux dont le montant dépasse à peine 23 millions d’euros – les problèmes de fond eux perdureront, caractérisant une situation face à laquelle les efforts tunisiens pour sortir le pays du tunnel dans lequel il se trouve depuis belle lurette ne suffiront pas. Et c’est précisément là un aspect que l’Union européenne et d’autres acteurs extérieurs semblent ne pas comprendre, à en juger par leur avarice à l’heure de miser pour une Tunisie stable et développée.

La Tunisie dispose d’avantages extrêmement appréciables qui devraient lui permettre de se hisser parmi les États démocratiques où le bien-être et la sécurité soient des marques d’identité consolidées.

Elle a, d’une part, réussi à améliorer son niveau de sécurité, attendu que les derniers attentats violents remontent à mars 2016. D’autre part, elle a su démontrer sa capacité de négociation et de consensus, qui a été mise en évidence avec l’adoption d’une Constitution sans égal dans la région.

Les associations de femmes et le reste du tissu associatif représentent des atouts extrêmement importants à l’heure d’expliquer cette propension particulière qu’a le pays à parvenir au consensus et à trouver des issues pacifiques aux polémiques. Enfin, les variables économiques se sont, elles aussi, améliorées, quoique cela n’ait pas donné lieu à des améliorations pour des sections très larges d’une population qui souffre une fois de plus de la remontée de l’inflation (6,4% en décembre dernier).

Pourvu que le seul souvenir qui perdure de la date du 14 janvier 2018 soit celui de la suspension des matchs de football et du coup d’envoi du processus devant mener au rétablissement du contrat social.

This article has been translated from Spanish.