Le Bangladesh persiste dans son projet de relocalisation des Rohingyas sur une île déserte

Le Bangladesh persiste dans son projet de relocalisation des Rohingyas sur une île déserte

In this photo, from December 2016, Rohingyas in a refugee camp in Cox’s Bazar district (Bangladesh) follow the news broadcast on television in silence.

(AP/A.M. Ahad)
News

Avec sa superficie de 40 kilomètres carrés, l’île de Thengar Char, située dans la Baie du Bengale, est absente de la plupart des cartes. Cette île déserte qui n’est même pas desservie par les réseaux de téléphonie mobile, reste inondée durant une grande partie de l’année. Or c’est ici que le gouvernement du Bangladesh a décidé, à titre de « mesure provisoire », de relocaliser des milliers de réfugiés rohingyas qui fuient les violences dont ils sont la cible dans l’État d’Arakan (Rakhine), en Birmanie. Selon Dacca, l’afflux de migrants du pays voisin entraînerait une montée de la criminalité et un risque accru de maladies et est préjudiciable pour le tourisme.

Les organisations des droits humains s’opposent au plan, qu’elles décrivent comme une manœuvre de relocalisation forcée. Le même plan avait été proposé antérieurement (pour la dernière fois en 2015) mais avait été suspendu suite au tollé général qu’il avait soulevé au sein de la communauté internationale, de même que chez les militants des droits humains. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a insisté qu’il s’agissait d’un projet « complexe et controversé » qui devrait uniquement être mis en œuvre « avec le consentement des migrants ».

Dans une communication du 28 février, les autorités bangladeshies ont, néanmoins, indiqué le commencement du recensement des réfugiés rohingyas qui vivent dans le sud-est du pays, laissant supposer que le projet du gouvernement ne soit pas au point mort. Au moins trois mois seront nécessaires pour compléter le recensement.

Pour Ashraful Azad, professeur adjoint au département des relations internationales de l’Université de Chittagong (Bangladesh) et expert sur la question des Rohingyas :

« Le plan de relocalisation répond à un objectif fondamental, qui est de freiner l’intégration locale des réfugiés rohingyas (à travers le mariage, l’éducation et l’emploi – un processus déjà en cours). Il peut aussi avoir pour effet indirect de forcer les réfugiés à opter pour un retour en Birmanie – comme option préférable à celle de vivre dans une île isolée et déserte. »

Ce dernier cas de figure pourrait déjà être en train de se vivre depuis le début du mois de mars, période à laquelle les postes frontières des deux pays ont commencé à enregistrer le retour en Birmanie de centaines de Rohingyas (indiquent plusieurs médias).

Le gouvernement du Bangladesh estime à près d’un demi-million le nombre de Rohingyas vivant sur son territoire (dont approximativement 30.000 sont reconnus au statut de réfugiés), y compris les près de 73.000 réfugiés arrivés au Bangladesh dans la foulée de la dernière vague de violence survenue dans l’État birman d’Arakan, en octobre 2016, quand un groupe de Rohingyas aurait prétendument attaqué trois postes-frontières birmans. Depuis lors, les habitants et les réfugiés rohingyas, de même que les organisations des droits humains ont accusé l’armée birmane de commettre des exactions graves, qui ont inclus des exécutions sommaires, des viols collectifs, des détentions arbitraires et des incendies prémédités.

Approximativement 1,1 million de Rohingyas musulmans apatrides (minorité ethnique, linguistique et religieuse) vivent dans des conditions d’apartheid dans l’État birman d’Arakan, dans le sud-ouest de la Birmanie, pays à majorité bouddhiste. Le gouvernement birman a adopté, en 1982, une loi conçue presque exclusivement dans l’optique de les exclure. Cette loi octroyait, en effet, le droit à la citoyenneté birmane à 135 groupes ethniques reconnus par le gouvernement, parmi lesquels ne figuraient pas les Rohingyas.

Le gouvernement birman désigne cette communauté sous le nom de « Bengalis » et considère ses membres comme des immigrés clandestins provenant du territoire actuel du Bangladesh, qui leur refuse lui-même toute reconnaissance légale. Un grand nombre de Rohingyas vivent en tant que réfugiés à Cox’s Bazar, un district frontalier qui jouxte l’État d’Arakan et abrite l’un des principaux pôles touristiques du pays.

Les Rohingyas sont considérés comme l’une des minorités les plus persécutées de la planète.

Le ministre des Relations extérieures du Bangladesh, Abul Hassan Mahmood Ali, a récemment affirmé que la présence des Rohingyas dans le district avait eu une incidence adverse aux plans socioéconomique, démographique et sécuritaire, dû à l’apparition de « réseaux de traite des êtres humains et de trafic illicite de stupéfiants ». Il a aussi indiqué que les dispositifs d’accueil existants étaient « surchargés » et que l’organisation pour l’accueil des nouveaux arrivants s’était convertie en un « nouveau défi ».

Aux fins de relocaliser cette population de déplacés sur l’île, le gouvernement a, dans un communiqué émis au début de l’année, fait appel à l’aide des Nations Unies et d’autres partenaires internationaux pour rendre l’île « habitable » (un projet de grande envergure pour lequel on ne dispose pas encore de chiffres concrets) et fournir des moyens pour le transport des Rohingyas.

Faisant allusion aux conditions invivables dans cette île, Chris Lewa, directrice de l’Arakan Project – qui observe les mouvements des Rohingyas depuis plus d’une décennie – a expliqué dans un entretien avec Equal Times que « les réfugiés ne voulaient pas de ça ». Bien au contraire, ils « préfèrent rester à proximité de la frontière pour être près de leurs familles ». Madame Lewa doute, cependant, que les donateurs internationaux n’aident économiquement le gouvernement du Bangladesh à porter son plan à exécution.

L’HCR ne fera pas partie des donateurs, a assuré Vivian tan, porte-parole de l’agence pour l’Asie dans un entretien avec Equal Times. L’institution propose comme alternative que la priorité soit accordée à « l’enregistrement et la documentation » des Rohingyas qui vivent au Bangladesh, afin de mieux identifier et « assister les personnes dans le besoin ».

D’après une source bien informée de la situation des Rohingyas et qui, en raison de la nature sensible de cette question au Bangladesh a préféré garder l’anonymat : « Une partie du gouvernement du Bangladesh est d’avis que les travaux d’envergure projetés dans l’île pourraient rendre celle-ci habitable. »

Toujours d’après la même source, le vrai problème qu’affronte Dacca est que « les réfugiés ne sont pas quelque-chose de « temporaire », comme on a pu penser initialement ». Qui plus est, « les Rohingyas ne peuvent être rapatriés de force en Birmanie et il se peut que beaucoup d’entre eux décident de ne pas retourner, dans le cas où la Birmanie donnerait son feu vert à cette option – les gouvernements des deux pays se maintiennent en communication à ce sujet ».

This article has been translated from Spanish.