Le Cambodge renforce son contrôle sur les syndicats

News

Le 4 avril dernier, deux syndicalistes cambodgiens ont été violemment brutalisés par la police à Phnom Penh.

Pour certains, cette violence n’a rien de particulièrement remarquable ; après tout, la mauvaise réputation du Cambodge en ce qui concerne le traitement des travailleurs et des syndicalistes précède déjà largement le pays.

Le fait que cet événement se produise quelques heures avant l’examen par le Parlement de la nouvelle loi nationale sur les syndicats n’a cependant fait que confirmer l’attitude du gouvernement à l’encontre de ses opposants, lesquels affirment depuis longtemps que la rédaction de ce texte s’est déroulée sans consultation aucune et dans l’opacité la plus totale.

La loi est désormais entre les mains du roi Norodom Sihamoni, dont la signature constitue l’étape finale de la procédure législative.

Depuis sa rédaction en 2008 jusqu’à aujourd’hui, cette procédure s’est accompagnée de nombreux événements notoires liés aux travailleurs.

En 2010, des dizaines de milliers de travailleurs ont fait grève en vue d’obtenir une augmentation du salaire minimum, ouvrant la voie à d’autres manifestations semblables fin 2013 et début 2014. Ces dernières ont été sévèrement réprimées par les forces gouvernementales, qui n’ont pas hésité à ouvrir le feu, tuant cinq civils et incarcérant 23 syndicalistes et travailleurs.

La nouvelle loi a été décrite comme étant « antisyndicale » par la Confédération syndicale internationale (CSI), qui a fait part de ses préoccupations à son égard, jugeant qu’elle « apporterait de nouvelles restrictions au droit de grève, faciliterait l’intervention du gouvernement dans la gestion interne des syndicats et autoriserait des tiers à demander la dissolution de syndicats, entre autres, tout en imposant de minuscules sanctions aux employeurs en cas de pratiques de travail injustes. »

Le secteur de l’habillement constitue une importante source de revenus pour le Cambodge : ses 700.000 travailleurs reçoivent un salaire minimum de 128 dollars US, tout en rapportant 5,7 milliards de dollars US de recettes à l’État. L’activité syndicale a été au cœur même de la lutte acharnée pour réclamer un salaire de subsistance qui reflète la hausse des coûts accompagnant le développement de l’économie nationale.

Si les préoccupations ont dans un premier temps porté sur l’impact de la loi sur les syndicats potentiels, celle-ci vise par ailleurs à restreindre les activités des syndicats existants. Selon Moeun Tola, directeur général du Centre pour l’alliance des travailleurs et des droits de l’homme, l’un de ses articles les plus controversés empêcherait les grands syndicats d’atteindre le quorum requis pour pouvoir prendre des décisions, ou du moins leur compliquerait très largement la tâche.

L’article 13.4 exige un quorum correspondant à « la majorité absolue (au moins 50 % + un) de l’ensemble des membres du syndicat à chaque réunion pour pouvoir décider de l’organisation d’une grève, de la modification des statuts ou de la tenue de l’assemblée générale du syndicat. »

Il est encore trop tôt pour connaître les répercussions qu’aura cette loi. Toutefois, le 4 avril dernier, l’Organisation internationale du Travail (OIT) a sommé le gouvernement de mettre en place « des consultations tripartites et même des mécanismes consultatifs » afin de « garantir la bonne compréhension de l’esprit de la loi et de ses modalités d’application. »

Pour les organisations telles que la Coalition of Cambodian Apparel Workers Democratic Union (CCAWDU), qui compte près de 80.000 membres et dont le mandat actuel prendra fin l’année prochaine (ce qui suppose un réenregistrement et l’organisation de nouvelles élections), le respect de ces mesures apparaît déjà comme un cauchemar administratif et logistique, voire comme un obstacle insurmontable.

Le vice-président du CCAWDU, Kong Athit, a déclaré à Equal Times que la loi était née, en fin de compte, d’un besoin d’exercer des pressions et un certain contrôle sur les syndicats. Selon lui, le patronat l’a proposée en 2008 en raison du sentiment que les « syndicats perturbaient les affaires (…) ; le gouvernement devait donc y remédier. »

Kong Athit estime que des petites grèves sauvages pourront être organisées au cours des prochains mois, mais il s’avoue moins sûr quant à la perspective de voir des manifestations semblables à celles organisées entre 2010 et 2014.

 

« Ce n’est pas une tentative visant à étouffer quoi que ce soit »

Ken Loo, secrétaire général de la Garment Manufacturers Association in Cambodia (GMAC), a déclaré que cette loi s’imposait en raison de l’« anarchie » qui régnait au sein du secteur syndical et affectait les investissements.

M. Loo a souligné que cette loi n’était pas simplement animée par le besoin pour le Cambodge de rester compétitif – ce que la GMAC a déclaré être « difficile » dans un rapport l’an dernier – et « visait davantage à permettre aux investisseurs d’opérer dans un environnement acceptable » pour eux.

« [L]es employeurs, dans le cadre de leur groupe de travail, ont fait savoir au gouvernement que la multiplication des syndicats et des grèves illégales devenait incontrôlable, c’est pourquoi nous (…) avons demandé au gouvernement d’adopter une loi fixant de nouvelles limites dans le cadre desquelles les syndicats pourraient agir », a déclaré Loo à Equal Times.

« La loi s’applique aussi aux employeurs (…). Ce n’est pas une tentative visant à étouffer quoi que ce soit. »

Selon M. Tola, la loi sur le travail – adoptée en 1997 – était suffisamment exhaustive, car elle comprenait déjà des dispositions sur le droit de se syndiquer le droit à la négociation collective et le droit de grève.

Il souligne que la nouvelle loi constitue certes une victoire pour la Fédération cambodgienne des associations d’employeurs et d’entreprises, mais qu’elle va surtout servir les intérêts d’un gouvernement secoué par le mouvement.

« C’est un avantage pour le gouvernement, car il craint le mouvement des travailleurs », a souligné Tola, faisant référence aux grèves survenues en 2010, 2013 et au début de l’année 2014.

« Pour moi, il s’agit d’une mesure visant à contrôler le mouvement syndical, à l’instar des mesures mises en place dans la loi sur les associations et les organisations non gouvernementales pour contrôler la société civile », a-t-il ajouté.

« En 2013, le gouvernement a réellement pris conscience de la puissance du mouvement syndical. C’est pourquoi il a précipité l’adoption de ces lois. Il ne pouvait que constater l’efficacité du mouvement syndical. »

William Conklin, directeur de pays pour le Cambodge de l’organisation non gouvernementale états-unienne Solidarity Center, pense que « le projet de loi ne puise pas sa source dans la volonté d’améliorer les relations de travail », mais cherche davantage à instaurer « un contrôle politique. »

« Voulez-vous [que la loi] améliore les relations de travail et garantisse l’enregistrement des syndicats, la mise en place de négociations collectives et l’instauration de protections, etc., ou souhaitez-vous avoir la possibilité de contrôler les syndicats, d’exploiter le pouvoir de l’administration et d’ainsi enrayer la croissance des syndicats ? », a-t-il demandé.

M. Conklin ne pense pas que le gouvernement soit « diamétralement opposé » aux syndicats, « mais qu’il apprécie l’idée que les syndicats puissent être contrôlés et agissent sous les ordres du gouvernement. »

M. Athit, du CCAWDU, a souligné que le législateur entendait avec cette loi donner « un pouvoir d’influence plus important à l’État sur les processus auxquels font appel les syndicats pour prendre des mesures relatives à la gestion de l’organisation et à ses politiques », renvoyant aux affaires externes et internes.

Pour ce qui est de la loi en général, M. Loo a déclaré qu’il serait injuste qu’elle ne satisfasse que l’un des deux côtés. Mais il a ajouté que les préoccupations soulevées par l’article 13 ne devraient pas poser de problème, car « l’impératif selon lequel l’on doit disposer d’une majorité [pour prendre des décisions] était clairement inscrit dans la loi sur le travail et dans toute règle démocratique digne de ce nom ».

Pour un syndicat à l’échelle de l’entreprise, elle pose moins de problèmes ; il est en effet plus facile d’atteindre le quorum requis. Pour que le CCAWDU puisse appeler à la grève, toutefois, M. Athit prévoit plus de difficultés à garantir cette majorité.

Le porte-parole du ministère du Travail, Heng Suor, a reçu plusieurs questions à propos de la loi et les réactions qu’elle suscite, mais il a déclaré qu’il ne fera aucun de commentaires, et a sommé la CSI de « se pencher sur les lois sur les syndicats des membres de l’ASEAN avant de procéder à une quelconque analyse ou d’émettre un quelconque jugement. »