Le dernier peuple autochtone de l’UE lutte pour les droits à l’autodétermination et à la terre

Le dernier peuple autochtone de l'UE lutte pour les droits à l'autodétermination et à la terre

Heikki Paltto, un éleveur de rennes et vice-président du Parlement same de Finlande déclare que les communautés autochtones devraient être prises en compte lorsque de grands projets sont planifiés par l’État.

(Fanny Malinen)

Un homme au visage sérieux vêtu du gákti, un costume traditionnel same (que l’on appelle aussi sami ou lapon), s’adresse à la caméra dans une vidéo postée sur Facebook.

« Ceci est un appel à l’aide », déclare-t-il pour commencer. « Les gouvernements de la Finlande et de la Norvège tentent d’interdire aux Sames de pêcher le saumon et d’accorder de nouveaux droits de pêche à des riches qui ont construit des chalets sur notre terre natale. C’est du vol au vu de tous. On nous refuse le droit à notre culture et l’accès à l’une des principales sources de nourriture de l’Arctique. »

L’homme qui prend la parole s’appelle Aslak Holmberg, vice-président du Conseil same qui représente les intérêts des populations autochtones sames de Finlande, de Norvège, de Suède et de Russie. C’est aussi un pêcheur de Nuorgam, dans le comté le plus au nord de la Finlande, Ohcejohka (Utsjoki en finnois).

« Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai pêché le saumon avec mon père et il me serait impossible d’expliquer tout ce que cela m’a permis d’apprendre sur la vie, la nature, la langue et la culture. »

Cette vidéo fut publiée en mars, quelques jours avant que le gouvernement finlandais ne conclue un accord avec la Norvège qui modifie radicalement les droits de pêche sur la rivière frontalière que les Sames appellent Deatnu (Teno en finnois, Tana en norvégien).

Les permis doivent être achetés en ligne et pour des périodes et des jours spécifiques. Chaque pêcheur doit acheter son propre permis et désormais, tout le monde peut acheter le droit de pêcher dans les affluents, alors qu’auparavant, ceux-ci étaient exclusivement réservés aux pêcheurs locaux.

L’accord représente une tentative par la Norvège et la Finlande de protéger le saumon, car la rivière Deatnu abrite l’une des populations de saumon les plus diversifiées au monde. Toutefois, les populations locales signalent que les droits de pêche avec les techniques traditionnelles employées par les Sames ont été réduits de manière disproportionnée (de 80 %), alors que la pêche sportive a été diminuée de 30 à 40 %.

« Ils disent qu’ils protègent le saumon contre nous. Contre nous ?! Alors que nous sommes ceux qui en dépendent le plus. Cette attitude méprisante et paternaliste à l’égard des peuples autochtones est monnaie courante à travers le monde et semble être encore tout à fait acceptable en Norvège et en Finlande, » affirme Holmberg.

« Ils sont prêts à sacrifier toute la culture de la pêche du saumon des Sames. Cet accord est la plus évidente des violations du droit des peuples autochtones à l’autodétermination, et même à la consultation. »

Le seul peuple autochtone d’Europe

Entre 75.000 et 100.000 Sames vivent dans la région arctique de la Norvège, de la Finlande, de la Suède et de la Russie. La plupart vivent en Norvège et en Suède, environ 10 % en Finlande et encore 2000 individus en Fédération de Russie.

Il s’agit d’une communauté autochtone dont la vie est intimement liée à sa terre natale, Sápmi (communément appelée Laponie en français). L’élevage de rennes est probablement le plus célèbre des moyens de subsistance traditionnels de l’Arctique, mais la pêche est un autre aspect essentiel de la vie des Sames.

À l’instar des peuples autochtones du monde entier, les Sames ont dû faire face aux incursions, à la colonisation et aux industries extractives depuis qu’ils furent taxés en peaux et en fourrures issues de la chasse à partir du 15e siècle.

En Norvège, l’enseignement en langue same fut interdit depuis la fin du 19e siècle jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. De nombreux Sames furent aussi obligés d’adopter un nom norvégien, condition préalable sine qua non afin de pouvoir devenir propriétaires de terres.

En Suède et en Finlande, ces politiques n’étaient pas officielles, mais de nombreux Sames plus âgés évoquent encore la honte attachée à leur langue et à leur culture.

Dans ces pays également, de nombreux enfants autochtones furent envoyés dans des internats où il leur était interdit de parler leur propre langue.

Les droits à la culture et à la langue sont désormais garantis dans tous les États où vivent les populations sames, à l’exception de la Russie, mais les conflits autour de la pêche et des droits sur la terre mettent en lumière les divergences d’interprétation de la notion de « culture » entre les États occidentaux et les peuples autochtones.

« Les moyens de subsistance traditionnels et l’utilisation de nos terres, de nos eaux, y compris l’eau de mer, et des ressources naturelles constituent le fondement de la culture et de l’identité des Sames, » proclame une déclaration de la Conférence des Sames, la plus haute instance du Conseil des Sames.

Les intérêts des Sames sont représentés par les parlements sames en Finlande, en Suède et en Norvège, ainsi que par le Conseil, qui couvre tous les États. Leur pouvoir est purement consultatif cependant.

« Ils nous entendent, sans nous écouter »

Le changement climatique pose également de nouveaux défis pour les Sames. Les étés plus chauds permettent aux espèces du sud de migrer plus au nord et les hivers imprévisibles affectent les moyens de subsistance traditionnels qui dépendent des modèles saisonniers, tels que l’élevage des rennes. Mais ils rendent aussi la région arctique plus accessible pour les industries.

Ces dernières années, la région arctique a connu un boom minier. En 2013, un contentieux toujours en cours au sujet d’une mine de minerai de fer située à Kallok, en Suède, sous les terres où pâturent les rennes, avait fait les manchettes du monde entier. La région arctique renferme également d’importantes réserves d’uranium, d’or, de diamant, de zinc, de platine et de nickel, ainsi que du gaz et du pétrole.

La réponse du Parlement same de Suède à l’intérêt que suscite l’extraction de ces ressources est claire : « En attendant la ratification et la transposition dans la législation suédoise de la Convention 169 de l’OIT (Convention relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989) et du Pacte nordique des Sames, le Parlement same de Suède préconise un moratoire sur toute exploitation du territoire de Sápmi. Toutes les ressources naturelles situées au-dessus et en dessous du sol dans les territoires traditionnels des Sames appartiennent au peuple same. Ceci est précisé, entre autres, dans l’article 26 de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. »

Par ailleurs, la Finlande envisage de construire une ligne de chemin de fer qui rejoindrait la mer arctique.

Heikki Paltto, un éleveur de rennes et vice-président du Parlement same de Finlande fait part à Equal Times de son inquiétude face à des initiatives telles que cette ligne de chemin de fer : « Les populations autochtones et l’élevage des rennes doivent être pris en compte lorsque de grands projets sont planifiés. Au minimum, leur impact devrait être évalué. En général, lorsqu’il s’agit de questions et de lois concernant les Sames, notre opinion n’est pas vraiment prise en compte.

« Ils nous entendent, mais sans nécessairement nous écouter. Ils disent toujours avoir les meilleures intentions du monde, mais la Finlande ne respecte pas vraiment nos droits de l’homme. »

Si cela avait été le cas, déclare Paltto, l’accord sur la pêche dans la rivière Deatnu ne se serait pas « déroulé comme ça ». La Finlande a également révisé sa législation sur la gestion des forêts l’année dernière, mais une clause qui prévoyait de ne pas affaiblir la culture same n’a pas été intégrée dans la version finale de la législation.

La Finlande et la Suède, tout comme la Russie, n’ont pas ratifié la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Moratoire

Anni Ahlakorpi, une conseillère municipale d’Ohcejohka, décrit la vidéo de Holmberg sur l’accord de pêche de « sonnette d’alarme ». Elle ne veut même pas qualifier les nouveaux arrangements d’« accord ». « Nous n’étions pas d’accord. Ici, tout le monde était contre : la municipalité d’Utsjoki était contre, les entreprises locales étaient contre, le Parlement same, les secteurs de la pêche étaient contre, alors il est trompeur d’appeler cela un accord. »

Elle a rejoint le mouvement désormais connu sous le nom d’Ellos Deatnu ! (Longue vie à la rivière Deatnu !) Il a décrété un moratoire sur l’île Čearretsuolu de la rivière où les habitants désobéissent activement à la nouvelle législation.

Le mouvement a galvanisé la communauté locale. Fin juillet, plus de 700 personnes ont assisté à un concert de bienfaisance à Ohcejohka, une ville de 400 habitants et un centre avec un supermarché, un bar et une station-service. Ahlakorpi considère Ellos Deatnu ! comme un prolongement des mouvements antérieurs dans la région de Sápmi, notamment l’opposition à la mine de Kallok.

Ellos Deatnu ! a également écrit aux gouvernements finlandais et norvégien en leur demandant de prouver qu’ils détiennent les droits sur la rivière.

« S’ils peuvent produire une lettre, une déclaration ou un accord indiquant que les autochtones ont accordé des droits à l’État, veuillez nous le faire savoir. À notre connaissance, personne au niveau local n’a jamais signé un document pour donner la propriété de la rivière aux États nationaux, » déclare Ahlakorpi.

Comme l’indique Paltto, qui parle depuis sa maison entourée d’une nature tout à fait sauvage qui est classée comme parc national, mais qui est aussi le terrain de pâture de ses rennes : «  Nos parents vivent ici depuis longtemps et ils nous ont toujours dit que ces terres étaient les nôtres.

« C’est comme ça que nous avons grandi et c’est naturel pour nous. Et, naturellement, nous voulons les protéger. C’est de là que jaillit le conflit. »

Cet article a été traduit de l'anglais.