Mexique: un paradis touristique devenu une bombe écologique à retardement

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Des plages de sable blanc. Des retraites de yoga. Des ruines mayas. La ville mexicaine de Tulum est présentée comme un paradis écochic où l’on peut s’éloigner du stress de la vie moderne.

En y regardant de plus près cependant, une face plus sombre apparaît au grand jour.

Lorsque l’activiste Carlos Meade quitta la ville de Mexico pour s’installer sur la côte caribéenne de l’État de Quintana Roo au début des années 1980, cette région était pratiquement vierge. Les tortues faisaient leurs nids tranquillement sur des centaines de kilomètres de plages désertes qui s’étendaient de la ville de Cancún à la frontière avec le Belize et étaient bordées de mangroves débouchant sur des forêts vierges.

Un système unique de rivières souterraines acheminait de l’eau depuis la péninsule du Yucatan jusqu’à la mer des Caraïbes, où le deuxième récif de corail le plus long du monde longeait la côte sinueuse jusque dans les eaux du Belize, du Guatemala et du Honduras.

Depuis lors, l’histoire de la Riviera Maya est celle d’une croissance précipitée et chaotique.

Les statistiques du gouvernement mexicain révèlent que4,7 millions de touristes ont visité la région en 2016, ce qui correspond à peu près à la population de l’Irlande, et que les travailleurs migrants des zones les plus pauvres du Mexique ont rejoint la région en masse à la recherche de travail.

Les petites communautés autochtones mayas d’autrefois ont été remplacées par des complexes touristiques de 5000 chambres qui reçoivent des touristes du monde entier. La chute du prix des billets d’avion et l’augmentation du tourisme organisé font de l’aéroport de Cancún le deuxième aéroport le plus fréquenté du Mexique, et une vague de développement a entraîné une pression incroyable sur les communautés et l’environnement.

« La transformation qu’a subie la campagne a été tellement rapide et tellement violente qu’elle est difficile à saisir, » a déclaré Meade à Equal Times. « Il y a à peine 25 ans, l’autoroute Tulum-Cancún n’était qu’une route étroite et sans accotement. Les branches des arbres des deux côtés formaient un tunnel de végétation quand elles se rencontraient au milieu. »

Aujourd’hui, des milliers de véhicules empruntent chaque jour une double chaussée qui passe à travers la forêt et longe les parcs nationaux, déversant aussi bien des touristes que des travailleurs.

Dans un premier temps, le tsunami du développement s’est abattu sur Cancún, puis sur Playa del Carmen, détruisant les forêts et dévastant les mangroves au fur et à mesure qu’il avançait inexorablement le long de la côte. En 2006, Playa del Carmen était considérée comme l’une des villes à la croissance la plus rapide au monde.

Aujourd’hui, Tulum est au premier rang, une petite bourgade dont la population a triplé de 10.000 à 30.000 habitants entre 2008 et 2015, avec une prévision de croissance continue qui inquiète les environnementalistes.

Un cadre juridique défaillant

Meade est le directeur de Yaxché, Arbre de vie, une ONG qui fait partie du Réseau Tulum durable regroupant des organisations de la société civile œuvrant pour la protection de l’environnement.

Les problèmes discutés au cours de leurs réunions hebdomadaires sont terrifiants. Il s’agit notamment du développement incontrôlé qui détruit les forêts et les mangroves, des eaux usées non traitées qui polluent la nappe phréatique et la mer ainsi que des décharges illégales qui apparaissent en périphérie de la ville. Les problèmes sont immenses et pour les activistes il n’y a aucun doute quant aux responsabilités de ceux-ci.

« Ce chaos est le fruit d’un cadre juridique déficient, mais surtout du manque de capacités et de volonté politique de la part des autorités, » déclare Meade, ajoutant que des promoteurs immobiliers peu scrupuleux ont su tirer parti de la bureaucratie corrompue et inefficace du Mexique. Les environnementalistes affirment qu’ils se battent contre un gouvernement local corrompu qui vend des zones naturelles sensibles au plus offrant tout en exerçant peu de contrôle sur les migrants qui abattent la forêt pour y établir des habitations informelles sans accès à l’eau, aux égouts ou à la collecte des ordures.

En dépit de tentatives répétées, les autorités locales de Tulum n’ont pas répondu à une demande de commentaires pour cet article.

Javier Peralta, président de l’ONG locale Contraloría Ciudadana, a déclaré à Equal Times que la corruption empêche la loi d’agir et dissuade les gens de se faire entendre.

« Quintana Roo est l’un des États du Mexique disposant du plus grand nombre de lois environnementales, mais la législation n’est pas appliquée, » déclare-t-il. « Les gens demandent : “Pourquoi déposer une plainte s’ils ne vont rien faire de toute façon ?” C’est la triste réalité du Mexique. »

Ceux qui formulent leurs griefs sont souvent visés et les menaces et l’intimidation sont monnaie courante.

Dans une affaire emblématique, l’activiste Araceli Domínguez du Grupo Ecologista del Mayab (GEMA) avait été arrêtée en 2005 pour avoir protesté contre la construction de nouveaux hôtels et la crainte de telles détentions arbitraires subsiste encore à ce jour.

Face à la fragilité de l’État de droit et aux puissants groupes d’intérêts commerciaux prêts à exercer leur influence sur les autorités, les habitants hésitent à s’exprimer publiquement par crainte de représailles. En conséquence, les activistes cherchent à organiser un mouvement populaire plutôt qu’un mouvement avec des leaders de premier plan.

Le groupe s’emploie à promouvoir la sensibilisation aux enjeux environnementaux et à faire pression sur les autorités pour qu’elles réglementent les développements et appliquent la loi qui régit les projets existants. Des réussites notables ont été engrangées dans la région en matière de protection des mangroves de Tajamar ainsi que dans le ralentissement du développement à Xcacel et les activistes appliquent ce savoir-faire dans la région de Tulum.

Les projets de développement proposés doivent faire l’objet d’une étude d’impact environnemental et la loi impose des consultations publiques. Le problème de l’application de la législation demeure cependant.

La priorité des activistes est d’arrêter les nouveaux développements de grande ampleur. À l’heure actuelle, la Riviera Maya compte environ 50.000 chambres d’hôtel et il est prévu que ce chiffre soit multiplié par deux dans les prochaines années.

Conditions de travail précaires

Selon Meade, chaque chambre d’hôtel entraîne l’arrivée de 18 migrants dans la région en raison des possibilités d’emplois directes et indirectes. Si les projets se concrétisent, cela signifierait un afflux de 900.000 résidents permanents supplémentaires dans une région qui connaît déjà de graves problèmes liés à la gestion des déchets solides et liquides ainsi qu’à la destruction des forêts et des mangroves afin de construire des logements et des hôtels.

Les conditions de travail des travailleurs migrants employés dans la construction et l’hôtellerie sont également source de préoccupations. Conscient que d’aucuns craignent de perdre leur emploi s’ils s’expriment ouvertement, Peralta a mis en place une boîte aux lettres anonyme permettant à tous de signaler les abus au travail, et ce, en toute sécurité. Il a ainsi découvert que les travailleurs sont employés dans le cadre de contrats précaires et à court terme et que les heures supplémentaires non rémunérées constituent un motif de plainte fréquent.

« Les salaires sont bas et les contrats sont renouvelés tous les mois ou tous les trois mois, » déclare Peralta. « Les hôtels n’embauchent pas les travailleurs directement ; ils font appel à des entreprises de sous-traitance. Ces entreprises intermédiaires empêchent les travailleurs de former des syndicats ou de réclamer des protections. »

Bien qu’il soit difficile d’obtenir des informations sur les conditions de travail, les environnementalistes disposent de données.

Dans le but d’attirer l’attention des promoteurs immobiliers, des chercheurs tels que le Dr Miguel Rivas, activiste de Greenpeace Oceans et biologiste de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM), soulignent que le développement incontrôlé est en train de détériorer les atouts naturels qui font venir les visiteurs.

« À Tulum et sur la Riviera Maya en général, le modèle de croissance qui ne tient pas compte de la capacité de charge de la région suscite notre inquiétude, » écrit-il dans un courriel à Equal Times. « En détruisant les curiosités naturelles qu’elle essaie de promouvoir, la région tue la poule qui pond les œufs d’or. »

Le risque est que le recours à la planification à long terme n’ait aucun effet sur les investisseurs.

Selon Meade, la plupart des groupes hôteliers visent un retour sur investissement à deux à trois ans. « Du fait de cette réflexion à court terme, les investisseurs ne sont pas intéressés ou attachés à l’avenir de la destination, » déclare-t-il.

Peralta est tout aussi cinglant dans son évaluation des promoteurs immobiliers. « Ils se fichent de ce qui adviendra de l’endroit. Ils trouveront un nouvel endroit et le détruiront aussi, » déclare-t-il.

Comme Meade et la chercheuse Magali Daltabuit Godas l’écrivent dans leur livre Le mouvement environnemental à Quintana Roo : « La ville de Tulum est aujourd’hui une sorte de laboratoire social où se joue l’avenir des Caraïbes mexicaines en tant que projet durable. »