Le futur vaccin contre la Covid-19 devrait être un « bien public mondial » géré par l’ONU

Le futur vaccin contre la Covid-19 devrait être un « bien public mondial » géré par l'ONU

« Le vaccin peut être un bien public mondial, cela ne veut pas dire qu’il va être gratuit, mais devrait être vendus à des prix abordables, au moins pendant la période de pandémie », selon la virologue Marie-Paule Kieny. Sur la photo, des doses de vaccins contre la polio, lors d’une campagne de vaccination menée par l’OMS au Soudan du sud en 2014.

(UN Photo/JC McIlwaine)

Dans le contexte de la crise du coronavirus, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont l’Assemblée annuelle s’est virtuellement réunie les 18 et 19 mai 2020, a déclaré que le futur vaccin contre cette pandémie devrait être un « bien public mondial », suite à l’initiative d’une douzaine de pays. Le président chinois Xi Jinpin est allé dans ce sens promettant que la Chine verserait un don de 2 milliards de dollars, consacré aux différents aspects de la lutte contre le coronavirus.

Le 4 juin 2020, António Guterres, le Secrétaire général de l’ONU, a réaffirmé lui- aussi à l’ouverture du Sommet virtuel de l’Alliance pour le vaccin (Gavi), qui a réuni plus de 50 pays et plus de 35 chefs d’État et de gouvernement, que le futur vaccin contre la Covid-19 devra être « un vaccin pour les peuples », accessible à tous. À ce sommet, des donateurs, publics ou privés, ont fait des promesses de dons se montant au total à environ 8 milliards d’euros, dans le but d’intensifier la vaccination contre les principales maladies. Cette opinion est aussi partagée par plusieurs experts de la santé. Ainsi, le microbiologiste belge Peter Piot, nommé auprès de la Commission européenne comme expert pour la recherche dans la lutte contre la Covid-19, dans une interview pour le journal Le Monde, insiste sur l’importance d’un « accès équitable » au vaccin. Il critique, à l’inverse, le « nationalisme vaccinal » de Donald Trump.

En effet, après l’annonce répétée du président américain Donald Trump, les États-Unis se retirent effectivement de l’OMS depuis le 7 juillet 2020, ce qui est un coup dur pour cette institution internationale, la privant d’environ 20 % de son budget. (Ce n’est cependant pas la première fois que les États-Unis retirent leur financement à l’OMS, l’ayant déjà fait en 1985 sous Ronald Reagan, nda). Le président américain adopte ainsi une position unilatéraliste et privilégie une conception mercantile de la santé.

Ainsi, cette question soulève celle, plus large, qui demande si la connaissance scientifique doit être traitée comme un « bien public mondial », ou si elle peut être une valeur marchande comme une autre. Depuis longtemps, l’ONU et ses agences défendent la première option.

À travers les frontières, les générations et les groupes de population

Rappelons, que dans le cadre de la mondialisation, la notion de « biens publics mondiaux » est devenue centrale. Elle est issue de la transposition sur le plan mondial de la notion de « bien public », consacrée par le prix Nobel d’économie Paul Samuelson, dans son article The Pure Theory of Public Expenditure (1954). Comme l’explique à Equal Times l’universitaire et consultante allemande Inge Kaul, qui a été la première directrice du Bureau du Rapport sur le développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), il s’agit de biens à la fois « non-rivaux » (l’utilisation de ce bien ne réduit pas la consommation ou la jouissance par d’autres usagers) et « non-excluables » (on ne peut exclure personne de la consommation de ce bien, notamment en faisant payer son usage).

On considère généralement qu’il existe trois catégories de ces « biens publics mondiaux » (ou BPM) : les BPM naturels (comme l’eau, la qualité de l’air, la biodiversité, etc.), les BPM d’origine humaine (tels que les connaissances scientifiques ou l’héritage patrimonial) et les BPM résultant de politiques globales (la santé et la sécurité, le maintien de la paix, la stabilité politique et financière, etc.) Cependant, il n’existe pas de consensus établi sur l’étendue du champ recouvert pour ces biens et c’est sur ces aspects de définition que se jouent les débats sur ce qui est « public » et ce qui peut être privatisé. Cela peut être le cas, par exemple, pour l’accès à l’eau ou au patrimoine naturel touristique ou encore quand il s’agit de savoir si un bien d’importance pour l’humanité et le climat, comme la forêt amazonienne, devrait être géré par quelques pays seulement ou être placé sous un « statut international » spécial.

Le système de l’ONU a un rôle crucial à jouer dans la gouvernance des biens publics mondiaux. Bruce Jenks, ancien directeur du Bureau des ressources et des partenariats stratégiques du PNUD, estime même dans un article de 2012 de la Revue internationale de politique de développement que « la Charte des Nations unies elle-même fut élaborée comme un bien public mondial ». L’ONU a produit depuis les années 1990 de nombreuses réflexions sur le sujet. Inge Kaul a publié une étude pionnière en 1999, faisant suite au travail précurseur de Charles Kindleberger (1986). Elle y définit les biens publics mondiaux comme des biens « dont les bénéfices s’étendent à travers les frontières, les générations et les groupes de population ».

« Comme les biens publics mondiaux s’interpénètrent entre pays, l’ONU est une très bonne enceinte pour discuter des biens publics mondiaux. L’ONU a un rôle crucial à jouer. »

« Mais ce sont des enjeux très contestés. Il a été difficile de convaincre les chefs d’État et les PDG d’entreprises privées de l’importance des biens publics mondiaux », explique-t-elle à Equal Times.

Pour autant, Inge Kaul estime que « la connaissance scientifique n’est pas un bien public mondial. Elle est non-rivale, mais elle est excluable ». Elle estime néanmoins que « l’OMS doit faire du vaccin un bien public mondial », ce que l’organisation internationale pourrait faire par le vote d’une résolution et d’un financement dédié. « Mais il faut s’assurer qu’il y a assez d’argent pour acheter 8 milliards de vaccins, or je ne vois pas l’argent sur la table. Donc, à mon avis, cela ne va pas se faire. »

Équitable et abordable, plutôt que gratuit

L’accès au futur vaccin ne sera pas gratuit, mais équitable et abordable, et « disponible pour tous », indique l’ONU. Ainsi, lors de la 73e Assemblée mondiale de la santé, le 19 mai 2020, les 194 États membres de l’OMS ont voté une résolution demandant « l’accès universel, rapide et équitable et la juste distribution de tous les produits et de toutes les technologies de santé essentiels de qualité, sûrs, efficaces et abordables, (...), qui sont nécessaires à la riposte contre la pandémie de Covid-19, en en faisant une priorité mondiale, et l’élimination urgente des obstacles injustifiés à cet accès ». En outre, elle appelle ses membres à « mettre à disposition de l’OMS et des autres pays, selon qu’il conviendra, les connaissances, les enseignements tirés de l’expérience, les meilleures pratiques, les données, les supports et les produits nécessaires pour la riposte ».

L’OMS a ainsi réussi à arracher un consensus international (malgré la défection des États-Unis, mais qui ne sera peut-être que provisoire) pour favoriser au mieux une production rapide de médicaments et de vaccins et assurer leur distribution équitable à tous les peuples du monde. Les Nations unies se félicitent d’avoir pu lancer l’initiative ACT Accelerator (Access to COVID-19 Tools), un programme de collaboration mondiale de recherche, entre organisations internationales, institutions publiques et fondations privées.

« Le vaccin peut être un bien public mondial, cela ne veut pas dire qu’il va être gratuit » estime Marie-Paule Kieny, virologue, directrice de recherche à l’Inserm, ancienne Directrice générale adjointe de l’OMS, rencontrée par Equal Times.

« Mais ça veut dire que cela devrait inciter les producteurs à être modestes dans leurs demandes de retour sur investissement, sachant que les coûts de développement des vaccins ont essentiellement été payés par des fonds publics. Ces vaccins devraient être vendus à des prix abordables, au moins pendant la période de pandémie ».

Elle observe que « certains producteurs montrent leur attachement à cette valeur de bien public mondial, certains groupes pharmaceutiques comme AstraZeneca ont annoncé qu’ils vont vendre presque à prix coûtant. D’autres se gardent de faire des annonces ». De la part des États comme la France, qui ont emboîté le pas, elle observe que « c’est aussi un intérêt personnel bien compris. Si ce virus circule largement et que les pays les plus pauvres n’ont pas accès au vaccin, on augmente les risques pour les pays plus riches. »

Débat idéologique

Cependant, la tâche de l’ONU et de l’OMS pour défendre la valeur universelle des connaissances scientifiques n’est pas rendue facile par une certaine opposition, portée notamment par certains esprits libéraux américains (comme la très conservatrice Heritage Foundation) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui avance que les connaissances scientifiques sont des objets de commerce, en vertu des accords sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC), adoptés en 1994 par l’OMC.

En application de cette conception mercantile, on a vu le nombre de brevets sur les découvertes scientifiques et technologiques connaître une augmentation exponentielle depuis une trentaine d’années. Ce qui aboutit de fait à l’augmentation de la « marchandisation de la connaissance » et a eu pour conséquence de restreindre les transferts de technologies et de connaissances. C’est ce qu’estime l’économiste français El Mouhoub Mouhoud, qui souligne que « l’appropriation des connaissances par les grands oligopoles pose des problèmes d’équité, notamment à l’égard des générations futures et des pays du Sud ». Il ajoute :

« Si l’on considère la connaissance comme un bien public mondial, elle doit circuler librement sur la planète, dans l’intérêt général ».

Marie-Paule Kieny a été en charge de la réponse de l’OMS à l’épidémie de grippe H1N1 en 2010 puis à l’épidémie d’Ebola à partir de 2014, elle relate : « au début de la pandémie de grippe H1N1, la question s’est posée de comment ouvrir l’accès au vaccin aux pays pauvres. L’OMS, par les négociations qu’elle a menées, avait permis une donation de 10 % de la production de vaccins par les producteurs de vaccins et par les pays acheteurs. En sera-t-il de même pour le vaccin contre la Covid-19 ? On pourrait demander à l’industrie pharmaceutique de donner un pourcentage de ces vaccins produits (10 % comme cela a été le cas pour le vaccin de la grippe H1N1) pour les pays à revenus limités ». En effet, en 2009-2010, le laboratoire GlaxoSmithKline a donné à l’OMS 50 millions de doses de vaccins contre la grippe H1N1.

On observe toutefois que malgré la bonne volonté de certains laboratoires, les réticences des firmes privées restent fortes. La Fédération internationale des grandes entreprises du secteur pharmaceutique (IFPMA) tente de freiner l’initiative mondiale ACT Accelerator lancée sous l’égide de l’OMS. Ce qui suscite des inquiétudes. Ancien dirigeant de l’OMS, le Colombien German Velasquez craint que le vaccin ne devienne une manne financière pour « Big Pharma » et qu’il ne soit accessible qu’aux riches. « Seules les personnes aisées pourront se faire vacciner. Au final, le public paiera deux fois : au moment de la subvention du vaccin et au moment de l’achat ».

Ainsi, il est crucial aujourd’hui de soutenir les institutions de l’ONU, notamment l’UNESCO, l’OMS et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) pour que s’impose la conception des connaissances scientifiques comme des biens publics mondiaux, et pour mettre un frein à la privatisation galopante du savoir. Il faut que les détenteurs privés de brevet reversent une partie de leurs gains à la collectivité internationale. « L’Unesco pourrait par exemple mettre en place une bibliothèque publique numérique mondiale pour lutter contre les pandémies », comme le suggère l’économiste El Mouhoub Mouhoud et l’OMS superviser plus étroitement encore la recherche scientifique de traitements et de vaccins contre les pandémies similaires.