Le gouvernement portugais veut un nouvel aéroport ; les écologistes veulent la justice climatique

Le gouvernement portugais veut un nouvel aéroport ; les écologistes veulent la justice climatique

On 22 May, activists block a main road in protest against the construction of a new airport in Lisbon.

(Marta Vidal)

Du haut d’un trépied en bois dressé sur une voie d’accès principale de l’aéroport de Lisbonne, une jeune militante lève le poing en brandissant un drapeau rose représentant un avion en flammes.

« La justice climatique maintenant ! », peut-on lire sur une grande banderole accrochée à une passerelle qui surplombe la route bloquée. Vidées de leur flot habituel de trafic, les routes résonnent à la clameur des tambours et des chants provenant d’une foule de plusieurs centaines de manifestants rassemblés par un après-midi de mai. Sur les drapeaux et les pancartes qu’ils brandissent, on peut lire : « Moins d’avions », « Plus de trains » et « Transition juste ».

Les protestataires dénonçaient la construction projetée par le gouvernement portugais d’un deuxième aéroport à Lisbonne. Cette action de désobéissance civile était organisée par le groupe de justice climatique Climáximo avec le soutien d’autres organisations environnementales. Les manifestants réclamaient une réduction du trafic aérien, le développement des chemins de fer et une transition juste pour les travailleurs du secteur de l’aviation.

« Nous disposons de très peu de temps pour éviter le chaos climatique, et les institutions du système échouent lamentablement », ont déclaré les organisateurs dans un communiqué.

La construction d’un nouvel aéroport à Lisbonne est à l’étude depuis des décennies. En 2018, le gouvernement a annoncé des plans pour la construction d’un nouvel aérodrome à Montijo, sur la rive sud du Tage, à environ 30 kilomètres du centre-ville.

Le projet a subi un revers en mars dernier, lorsque le régulateur aérien du Portugal a refusé de procéder à l’évaluation des plans du chantier, du fait de l’opposition de certaines municipalités locales. Les manifestants sont néanmoins descendus dans la rue pour exprimer leur opposition au nouvel aéroport et à toute forme d’expansion aéroportuaire susceptible d’accroître les émissions liées au trafic aérien.

Assis en tailleur au milieu de la route, les mains liées à celles d’autres militants arrimés à un tuyau pour rendre leur dispersion plus difficile, João Sousa, 19 ans, faisait partie d’une chaîne humaine qui a bloqué durant environ une heure un rond-point et deux routes aux abords de l’aéroport de Lisbonne.

« Moins d’aviation, plus d’imagination ! », entonnait-il, tandis que la police évacuait de force les militants enchaînés. Emmené dans un fourgon de police sans fenêtre, il faisait partie des 26 manifestants arrêtés ce jour-là pour « désobéissance aux ordres de dispersion » et « mise en danger de la sécurité routière ». Un mois plus tard, ils n’ont toujours pas été formellement inculpés.

Un mégaprojet en rupture avec l’ambition climatique du Portugal

Ce n’est pas la première fois que des militants pour la justice climatique font l’objet de poursuites pénales pour s’être opposés à la construction d’un nouvel aéroport à Lisbonne. En avril 2019, un groupe de militants du collectif pour la décroissance de l’aviation Aterra, membre du réseau international Stay Grounded, a interrompu un discours du Premier ministre António Costa dans le but de sensibiliser le public aux préjudices que causerait un nouvel aéroport.

Francisco Pedro s’est approché de la tribune et a calmement tenté de s’emparer du micro du Premier ministre, tandis que d’autres militants lançaient des avions en papier. Il a été brutalement éconduit par les services de sécurité et accusé de désobéissance qualifiée, ainsi que de « trouble à l’ordre et à la tranquillité publics ».

Dans un entretien avec Equal Times, M. Pedro, qui encourt jusqu’à deux ans de prison pour les chefs d’accusation portés contre lui, a déclaré : « Les personnes qui réclament justice sont poursuivies, tandis que les responsables de crimes d’écocide s’en tirent à bon compte. »

L’aviation figure actuellement au nombre des sources de gaz à effet de serre qui croissent le plus rapidement, avec un impact considérable en termes de réchauffement climatique. Les militants de la cause environnementale affirment que le nouveau projet aéroportuaire est en contradiction avec l’engagement de réduction des émissions du gouvernement visant la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Toujours selon les organisations environnementales, le nouvel aéroport représente une menace pour des centaines de milliers d’oiseaux migrateurs protégés, ainsi que leurs habitats, dans la réserve naturelle de l’estuaire du Tage, la zone humide la plus importante du Portugal.

Les défenseurs du projet, toutefois, font valoir que Lisbonne doit accroître sa capacité aéroportuaire afin de soutenir le développement économique du pays et la croissance continue de l’industrie touristique qui, avant la pandémie de Covid, représentait 15 % du PIB.

L’ANA, l’opérateur aéroportuaire privé portugais qui promeut et finance le nouvel aéroport, et qui est détenu par le groupe de construction français Vinci, a déclaré qu’il investirait 1,15 milliard d’euros dans l’expansion de l’aéroport actuel de Lisbonne et la construction d’un nouvel aéroport à Montijo.

M. Pedro fait remarquer que la base de l’activité de Vinci consiste à gérer des infrastructures privatisées qui dépendent de concessions garanties par le gouvernement. Il souligne que Vinci a été accusée de graves violations des droits des travailleurs au Qatar, ainsi que de la destruction d’écosystèmes. La société est aussi mise en cause dans des affaires de pots-de-vin et de corruption dans le cadre de la construction d’une nouvelle autoroute en Russie (des accusations qu’elle a systématiquement démenties).

« Alors que Vinci est responsable de très graves préjudices causés aux personnes, aux écosystèmes et à la planète entière, ce sont ces 26 jeunes militants qui écopent de poursuites pénales », fait-il remarquer.

« Les oiseaux ne sont pas stupides, mais nous non plus »

« Pour un jeune de 16 ans, il est naturel de revendiquer une décarbonation absolue », a écrit le secrétaire d’État adjoint Alberto Souto de Miranda dans un article d’opinion paru dans le quotidien portugais Público, où il réfute les critiques et défend l’expansion de la capacité aéroportuaire de Lisbonne.

Cependant, l’opposition au projet ne se limite pas à un groupuscule de jeunes idéalistes. Le projet a, en réalité, suscité une volée de critiques. En mars, plus de 40 scientifiques ont signé une lettre ouverte adressée au Premier ministre pour lui faire part de leurs inquiétudes quant à l’impact environnemental du projet et rappeler au gouvernement son engagement à protéger la biodiversité et à réduire les émissions de carbone dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe.

L’année dernière, huit organisations environnementales ont intenté une action en justice contre le gouvernement portugais pour tenter d’empêcher la construction de l’aéroport de Montijo au vu des dommages qu’il causerait au vaste estuaire du Tage. Des scientifiques et des organisations environnementales ont également déposé des plaintes en vertu de la Convention de Berne et de l’Accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie (AEWA) de l’ONU.

« Les autorités portugaises n’ont pas considéré que ce projet nuirait à l’intégrité de cette zone humide irremplaçable, ce qui constitue une violation manifeste des lois européennes et nationales sur la protection de la nature, qui ne peut rester impunie », a déclaré dans une lettre ouverte Soledad Gallego, l’avocate des organisations environnementales.

Ces organisations ont accusé le gouvernement de ne pas avoir procédé à une analyse crédible des impacts environnementaux. Le gouvernement propose de « déplacer » les oiseaux et de pallier l’impact négatif en récupérant des zones attenantes. « Les oiseaux ne sont pas stupides et il est probable qu’ils s’adapteront », déclarait M. Souto de Miranda dans son article publié dans Público.

« Les oiseaux ne sont pas stupides, mais nous non plus », rétorque José Alves, un biologiste qui a consacré les 15 dernières années aux études ornithologiques dans l’estuaire du Tage. Ses recherches ont permis d’établir que les oiseaux d’eau ne peuvent pas simplement être déplacés. Les études de M. Alves portent sur la barge à queue noire, une espèce menacée, qui se reproduit en Europe du Nord et fait escale dans l’estuaire du Tage chaque printemps pour se nourrir et se reposer pendant sa migration annuelle vers l’Afrique.

« Ces oiseaux sont extrêmement fidèles aux lieux qu’ils fréquentent. Nous suivions des oiseaux qui, chaque année, se rendaient toujours aux mêmes endroits entre le Portugal et les Pays-Bas, ou l’Islande », explique-t-il. Même si les oiseaux trouvaient d’autres endroits pour se reposer et se nourrir, ils entreraient en concurrence pour les ressources avec d’autres oiseaux. Il faudra du temps aux nouvelles générations pour s’adapter, mais les répercussions de l’aéroport se feront sentir immédiatement.

Selon M. Alves, l’aéroport constituerait une menace majeure pour la zone humide du Portugal la plus importante pour les oiseaux d’eau migrateurs. Le chercheur critique le fait que le gouvernement ait omis d’évaluer l’importance écologique de la zone et les menaces que représente le risque de collision entre les oiseaux et les avions, qui mettrait en danger les personnes, les oiseaux et les avions.

« Un grand débat doit être lancé sur la question de l’aéroport », a déclaré M. Alves à Equal Times, or, selon lui, le gouvernement est resté muet, et la lettre ouverte qu’il a publiée avec plus de 40 autres scientifiques est restée sans réponse.

Le nouvel aéroport pourrait également avoir des conséquences bien au-delà des frontières portugaises. En effet, inquiète de l’impact négatif que le projet est susceptible d’avoir sur les oiseaux qui se reproduisent aux Pays-Bas, l’ONG néerlandaise de protection de la nature Vogelbescherming a recueilli environ 40.000 signatures dans le cadre d’une pétition en ligne contre l’aéroport.

« La population de barges connaît un déclin considérable depuis des décennies », a déclaré Marc Scheurkogel, porte-parole de Vogelbescherming. Il précise que la barge à queue noire, l’oiseau national des Pays-Bas, est protégée par la législation européenne, au même titre que l’estuaire du Tage.

« Nous partageons la responsabilité [pour la protection] des oiseaux », dit-il. Pour les écologistes, les répercussions impliqueraient des préjudices irréversibles à la fois pour la nature, pour les êtres humains et pour le climat, dont les effets seraient ressentis partout en Europe.

Croissance et climat – faire les choses autrement

Malgré la réduction considérable des vols dans le monde entier résultant de la pandémie de Covid-19, le gouvernement portugais a réaffirmé son intention de poursuivre le projet d’aéroport du Tage.

En mars, le régulateur aérien du Portugal a débouté une demande d’évaluation introduite par l’ANA suite à l’opposition au projet de construction d’un nouvel aéroport à Montijo par deux municipalités locales qui ont invoqué des préoccupations environnementales. En vertu de la loi portugaise, le chantier ne peut être réalisé que si tous les gouvernements locaux donnent leur feu vert.

Pour contourner cet obstacle, le gouvernement a proposé de modifier la loi. Entre temps, il sera procédé à une évaluation environnementale de l’impact de l’aéroport de Montijo, ainsi que d’une deuxième option consistant à construire l’aéroport à Alcochete, une municipalité située plus au nord dans l’estuaire du Tage.

L’opérateur aéroportuaire portugais a soutenu que Montijo était la meilleure option et que l’extension de l’aéroport était « fondamentale pour le développement économique et la relance du secteur touristique ».

Toutefois, selon Luís Leitão, membre de la commission exécutive de la Confédération générale des travailleurs du Portugal (CGTP) et coordinateur des syndicats de Setúbal (région du projet de chantier aéroportuaire), la création d’emplois et l’action climatique ne sont pas mutuellement exclusives.

« Les préoccupations environnementales ne sont pas incompatibles avec un emploi équitable », a-t-il déclaré à Equal Times. « Le développement des chemins de fer et l’investissement dans des systèmes d’économie circulaire et dans les transports publics pourrait contribuer à la création d’emplois verts. »

Pour M. Leitão, la dépendance excessive du Portugal au tourisme s’est avérée insoutenable pendant la pandémie. « Il est important d’investir dans la production locale et l’autonomie, et pas seulement dans le tourisme », dit-il.

Avant même que les arrivées de touristes étrangers ne chutent de 92 % à la suite des mesures de confinement liées à la Covid-19, le militant pour la justice climatique Francisco Pedro était convaincu que le tourisme de masse était nuisible et non durable.

« Les profits générés par le tourisme ne suffisent pas à compenser les préjudices causés par la pollution, le réchauffement climatique et la crise du logement », affirme-t-il. Pour M. Pedro, la lutte pour la justice climatique implique de reconnaître que la croissance débridée conduit à l’exploitation et à la destruction de l’environnement, et qu’il s’agit d’un modèle qui doit être remis en question.

Privilégier le bien-être social et écologique exige, selon lui, de pouvoir imaginer de faire les choses autrement. « Nous pouvons faire appel à notre imagination et à notre créativité pour changer la manière dont nous nous organisons, pour lutter pour le bien de tous. »

Générations futures

Deux exemples montrent que les plans d’expansion des aéroports ne sont pas une fatalité. Le premier concerne le projet de construction par Vinci d’un grand aéroport dans le village de Notre-Dame-des-Landes, non loin de la ville française de Nantes. Les habitants, les agriculteurs et les défenseurs de l’environnement se sont opposés à ce plan qui menaçait, lui aussi, une zone humide protégée. Au fur et à mesure que les activistes s’installaient et mettaient en place des collectifs autonomes en opposition au projet de Vinci, le village s’est converti en un symbole de résistance. En 2018, le gouvernement français a annoncé l’abandon du projet de construction du nouvel aéroport.

« L’exemple de Notre-Dame-des-Landes est une réelle source d’inspiration ; qu’un collectif de personnes puisse ainsi se mobiliser pour bloquer un projet qui avait été décidé par l’un des groupes économiques les plus puissants et l’un des gouvernements les plus puissants d’Europe », a indiqué Pedro. « Ils ont réussi à empêcher ce qui paraissait inévitable et ont ainsi montré qu’il existe une réelle possibilité de vivre mieux, de gérer les terres collectivement et de protéger l’environnement. Cela ouvre un horizon de possibilités. »

Autre exemple plus récent, la décision d’un tribunal britannique, en 2020, de déclarerillégaux et contraires aux engagements climatiques du Royaume-Uni les plans de construction d’une troisième piste à l’aéroport d’Heathrow, à Londres. Le jugement a été rendu au motif que la politique d’expansion d’un aéroport est incompatible avec les engagements pris par le gouvernement dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat.

Le biologiste José Alves y voit un précédent édifiant. Selon lui, le projet d’aéroport au Portugal témoigne non seulement d’un mépris pour les lois sur la conservation et les accords internationaux, mais aussi d’une rupture flagrante avec les engagements pris publiquement de s’orienter vers un avenir plus durable et décarboné.

« En tant que société civile, nous voulons avoir voix au chapitre, décider de ce que nous laisserons aux générations futures », explique-t-il à Equal Times, ajoutant que les jeunes qui descendent dans la rue donnent un coup de fouet à la lutte pour la justice environnementale.

João Sousa, 19 ans, affirme qu’il ne se laissera pas intimider par les poursuites pénales engagées contre les militants. Quelques jours après la manifestation pour la réduction du trafic aérien, il a participé à une marche pour la protection d’un bois, près de chez lui, à Carcavelos, à l’embouchure du Tage.

« Ma génération risque de subir les conséquences du chaos climatique », dit l’étudiant. « Mais au moins, je pourrai regarder en arrière et me dire que je ne suis pas resté les bras croisés. Que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour l’empêcher. »