Le Mexique résiste à se défaire des énergies fossiles

Le Mexique résiste à se défaire des énergies fossiles

The Mexican government’s actions have a direct impact on the commitments made to increase the presence of renewable sources in the energy mix and, ultimately, to decarbonise the country’s economy. This 2010 image, taken in the Gulf of Mexico, is of Centenario, a deep-water oil extraction platform operated by Petróleos Mexicanos (PEMEX).

(Prometeo Lucero)

La stratégie énergétique actuelle du président mexicain mise résolument sur de nouveaux projets d’hydrocarbures et la production d’énergie polluante, au détriment des sources renouvelables comme l’éolien et le photovoltaïque. Andrés Manuel Lopez Obrador s’est lancé dans une croisade contre les entreprises privées du secteur des énergies renouvelables, qu’il accuse de réaliser, en collusion avec les gouvernements antérieurs, des millions de bénéfices au détriment des deux principales entreprises publiques du secteur, à savoir la compagnie pétrolière Petróleos Mexicanos (Pemex) et la compagnie d’électricité CFE (Comisión Federal de Electricidad).

« Nous devons renforcer Pemex et Comisión Federal de Electricidad, les sauver, parce qu’ils étaient en train de les couler délibérément pour laisser le marché de l’énergie aux mains des entreprises privées, nationales et surtout étrangères », déclarait le président mexicain en février dernier.

M. Lopez Obrador estime que l’énergie propre est un « sophisme » dont les administrations précédentes se sont servies pour octroyer des subventions aux entreprises privées. Dans le même temps, ses actions ne montrent aucune préoccupation pour le changement climatique. À l’occasion du Sommet des dirigeants sur le changement climatique, fin avril, le leader mexicain a évité tout engagement en matière de réduction des émissions, préférant annoncer la découverte par Pemex de trois grands gisements pétroliers qui permettront au Mexique de subvenir à sa demande intérieure. Le président est convaincu que cela permettra de rompre avec la pratique actuelle consistant à exporter le brut lourd du Mexique pour le raffiner à l’étranger, principalement aux États-Unis, et à importer des carburants raffinés.

Énergies propres : coup de frein en plein élan

En matière de politique énergétique, les principales initiatives du président Lopez Obrador, élu en 2018 pour un mandat de six ans, ont inclus le renforcement de Pemex, qui s’est convertie ces dernières années en un puits sans fond, la construction d’une raffinerie de pétrole à Tabasco, État dont il est originaire, et la réforme du secteur de l’électricité visant à privilégier l’énergie produite par les centrales de la CFE, plus coûteuse et plus polluante que les énergies renouvelables.

La raffinerie de Dos Bocas, projet phare du président, bénéficie d’un investissement initial de 8,9 milliards dollars US (environ 7,34 milliards d’euros), cependant Pemex a prévenu que les travaux ont pris du retard – la raffinerie devait être opérationnelle en juin 2022 – et que 3,5 milliards dollars (environ 2,89 milliards d’euros) supplémentaires devront être investis en plus du budget prévu.

Selon Luis Zambrano, chercheur à l’Institut de biologie de l’Université autonome de Mexico (UNAM), le président Lopez Obrador mène une politique énergétique « nationaliste » basée sur les énergies fossiles, car sa façon de penser reste ancrée dans les années 1970, une époque glorieuse pour Pemex et l’industrie des hydrocarbures.

« Le monde est en train de se tourner vers de nouvelles formes de production d’énergie, pour des raisons évidentes de changement climatique, or le président est originaire de Tabasco, l’un des principaux États producteurs d’hydrocarbures du pays qui a bénéficié pendant de nombreuses décennies de la manne pétrolière et d’une culture politique héritée des années 1970 et 1980, où l’or noir constituait une pièce maîtresse de l’économie mexicaine », a expliqué M. Zambrano à Equal Times.

Les actions du gouvernement mexicain ont un impact direct sur les engagements pris pour accroître la présence des sources renouvelables dans le mix énergétique ou, comme objectif final, pour décarboniser l’économie du pays, la deuxième d’Amérique latine après le Brésil.

La Loi sur la transition énergétique a été promulguée en décembre 2015, sous le mandat du président Enrique Peña Nieto. L’initiative établissait une feuille de route assortie d’un objectif ambitieux : qu’à l’horizon 2024, 35 % de l’énergie produite et consommée dans le pays devrait provenir de sources propres, notamment de centrales hydroélectriques et nucléaires.

L’année dernière, 25,48 % de l’électricité au Mexique provenait d’énergies propres, mais cette tendance a été à la baisse depuis que Lopez Obrador est au pouvoir. L’idée d’atteindre 35 % dans trois ans est pure chimère, selon Daniel Chacón, directeur chargé de l’énergie auprès de l’Iniciativa Climática de México.

« Si vous ne disposez pas, au minimum, d’une électricité décarbonée, il sera très difficile de décarboner tout le reste. Les modifications proposées par le président Lopez Obrador à la loi sur l’industrie de l’électricité nous font reculer », a déclaré M. Chacón à Equal Times.

Selon une étude d’Iniciativa Climática de México, si la réforme proposée par le président, actuellement bloquée par les tribunaux, est mise en œuvre, en 2030, les énergies propres ne représenteront que 22 % du mix énergétique total.

Il semble tout aussi difficile pour le Mexique de respecter les engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris sur les changements climatiques, où il s’est engagé à réduire ses émissions de dioxyde de carbone de 22 % d’ici la fin de la décennie.

« Ce n’était pas viable avant et ça l’est encore moins maintenant. À présent, nous avançons en sens inverse. Il s’agit d’accords sans mordant, et le fait que le Mexique s’y conforme ou non ne change pas grand-chose. Du reste, M. Lopez Obrador ne se soucie ni de l’environnement ni des interactions internationales », affirme M. Zambrano, de l’Institut de biologie de l’UNAM.

La réforme controversée de la loi sur l’électricité

La dernière bataille de M. Lopez Obrador pour remettre à flot la compagnie d’électricité publique prend la forme d’une réforme législative controversée approuvée et expédiée en un temps record au Congrès mexicain, où le parti du président, Morena, est majoritaire.

La réforme de la loi sur l’industrie de l’électricité est un choc pour le secteur de l’énergie dès lors qu’elle confère un rôle prépondérant à la CFE dans la production d’électricité, au détriment des entreprises privées d’énergie renouvelable qui se voient reléguées au second plan.

Le projet vise à enterrer la réforme de l’énergie mise en œuvre en 2013, qui a ouvert le marché de la production d’électricité à des entreprises privées d’énergie renouvelable, autorisant celles-ci à vendre de l’énergie à la CFE, qui a le monopole de la transmission et de la distribution. Cela s’est fait par le biais du mécanisme des enchères à long terme, dans le cadre duquel la CFE était obligée d’acheter l’énergie la moins chère pour le consommateur final, laquelle était souvent produite par des centrales éoliennes et solaires appartenant à des sociétés étrangères. La réforme de 2013 avait eu pour effet de reléguer la CFE et ses centrales électriques obsolètes et polluantes à un rôle de simple spectateur.

En février 2019, le gouvernement de M. Lopez Obrador a annulé la quatrième vente aux enchères d’électricité, voulant ainsi lancer un avertissement clair. Le couperet est, toutefois, tombé avec la loi adoptée en mars de cette année modifiant l’ordre de priorité dans la distribution d’énergie et accordant la préférence à celle produite par les centrales de la CFE.

L’intention du gouvernement est que les premières à transmettre leur énergie au système électrique soient les centrales hydroélectriques de la CFE, suivies de sa centrale nucléaire et de ses centrales géothermiques à cycle combiné et thermoélectriques. Au second rang des priorités figurent les petits producteurs d’électricité exploitant des centrales à cycle combiné, suivis des centrales éoliennes et photovoltaïques appartenant à des opérateurs privés.

« Alors que les centrales de la CFE commençaient à être mises au rancart sous l’effet des forces du marché, voilà que le gouvernement vient imposer l’intégration de ces centrales au système de distribution. Ils cherchent ainsi à changer les règles du jeu », explique Daniel Chacón de l’organisation à but non lucratif Iniciativa Climática de México.

Les réactions à l’initiative controversée du président Lopez Obrador ne se sont pas fait attendre. Des dizaines d’entreprises privées du secteur des énergies renouvelables ont introduit des recours contre la nouvelle loi, et plusieurs juges fédéraux ont prononcé des suspensions définitives juste après la publication de la loi au Journal officiel, le temps que le pouvoir judiciaire se prononce sur sa constitutionnalité.

Selon le PDG d’une société étrangère d’énergie solaire présente au Mexique, qui a demandé à garder l’anonymat, cette loi suppose un changement des règles du jeu en plein milieu de la partie. « Les banques ne veulent pas prêter de l’argent tant que ce problème ne sera pas résolu. Personne n’investit dans les énergies renouvelables en ce moment, il y a énormément d’incertitude », dit-il.

Et le PDG d’avertir que les petites et moyennes entreprises « ne vont plus perdre de temps » à essayer d’investir au Mexique et qu’elles dirigeront leurs efforts vers d’autres pays plus attractifs et offrant une plus grande sécurité politique et juridique, comme l’Espagne ou la Colombie, où les énergies renouvelables connaissent un essor considérable.

Les plaintes et les recours n’émanaient pas seulement du monde de l’entreprise. Début avril, un groupe de sénateurs de l’opposition a déposé un recours constitutionnel contre la réforme, au motif qu’elle enfreint le libre marché et les traités internationaux.

De même, la Chambre de commerce des États-Unis a averti que la réforme du président Lopez Obrador va à l’encontre de l’accord de libre-échange entre le Canada, le Mexique et les États-Unis (ACEUM), dans la mesure où celui-ci interdit aux gouvernements signataires de favoriser les entreprises publiques.

Les experts s’étonnent d’autant plus de l’obstination du président mexicain pour le pétrole et les énergies polluantes au regard de l’énorme potentiel que recèle le Mexique en matière d’énergies renouvelables. Jeffrey Sachs, professeur à l’université d’Harvard et président du Réseau des Nations Unies des solutions pour le développement durable, a récemment déclaré que le pays pourrait produire suffisamment d’énergie solaire pour couvrir sa propre consommation, ainsi que celle des États-Unis.

Les États du nord du pays présentent des conditions idéales pour les centrales solaires photovoltaïques en raison de leur ciel dégagé pratiquement toute l’année, alors que d’autres comme Oaxaca, Tamaulipas, Baja California et Coahuila bénéficient de courants éoliens qui en font des scénarios privilégiés pour les projets d’énergie éolienne.

Malgré cet ample éventail de possibilités, les perspectives pour le présent et l’avenir des énergies renouvelables au Mexique sont incertaines. Le président Lopez Obrador ne se laissera pas forcer la main et semble prêt à défendre Pemex et CFE advienne que pourra, brandissant la bannière d’un prétendu nationalisme énergétique qui repousse la décarbonation du pays et menace d’effacer d’un revers de main les efforts de ces dernières années.

This article has been translated from Spanish.