Le moment est-il venu pour le Brésil de démanteler sa police militaire violente et archaïque ?

 

La récente annonce de la mise sur pied par le gouvernement brésilien d’un commando d’élite spécial composé de 10.000 policiers antiémeute pour contrôler les manifestations et assurer le maintien de l’ordre public pendant la Coupe du monde 2014 a été accueillie avec la plus grande inquiétude.

Les souvenirs de la violence dont avaient été la cible les manifestants non armés et les journalistes au cours des mouvements protestataires massifs de l’année dernière restent fraichement gravés dans la mémoire collective des Brésiliens.

Si on ajoute à cela un contexte historique longuement marqué par les exécutions extrajudiciaires et le recours excessif à la violence par les policiers brésiliens (remontant à la dictature militaire entre 1964 et 1985), on comprend mieux pourquoi le débat sur l’urgence du démantèlement du bras militaire de la police militaire prend de l’ampleur.

« Les origines de la police militaire remontent à la monarchie. Comment puis-je admettre qu’un instrument conçu sous la monarchie continue d’être utilisé à l’heure actuelle pour traiter des enjeux sociaux  ? »

C’est la question que se pose Vanderlei Ribeiro, président de l’Association des employés de la police militaire et des corps de pompiers de Rio de Janeiro (Associação de Praças da Polícia Militar e Corpo de Bombeiros do Río de Janeiro, Aspra), qui représente les agents de rangs inférieurs au sein de la police militaire et du corps de pompiers de l’armée.

« Nous sommes en faveur de la démilitarisation de la police ».

Au Brésil, la police est divisée entre police civile et police militaire (Polícia Militar ou PM).

Chaque État dispose de ses propres unités de police civiles ou militaires : La PM est chargée des interventions directes en réponse au crime et du maintien de l’ordre public, alors que la police civile s’occupe des investigations et du travail médico-légal.

Les agents des forces de l’ordre n’inspirent, cependant, que très peu de confiance auprès du public.

Selon la dernière édition du rapport annuel sur la sécurité publique, l’Anuário Brasileiro de Segurança Pública, sur une population proche de 200 millions d’habitants, approximativement 70% ne font pas confiance à leurs 523.400 agents de police en service actif.

Pour comprendre pourquoi, il suffit d’examiner quelques-unes des données à notre disposition.

Entre 2001 et 2011, la police a commis 10.000 homicides rien que dans l’État de Rio de Janeiro, soi-disant lors d’affrontements. Experts et enquêtes médiatiques avertissent qu’il s’agissait probablement, dans la majorité des cas, d’exécutions sommaires.

Rien qu’en 2012, 1890 personnes ont trouvé la mort lors d’interventions policières au Brésil – soit cinq morts par jour en moyenne.

 

Meurtre et torture

Plusieurs cas de meurtres et de tortures ont également été mis en lumière l’année dernière. D’après des rapports de témoins, un jeune homme répondant au nom de Paulo Roberto Pinho Menezes, retrouvé mort dans la favela de Manguinhos le 17 octobre 2013, aurait été battu par la police jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Un ouvrier maçon nommé Amarildo de Souza a été torturé jusqu’à ce que mort s’ensuive par des policiers militaires dans la favela de Rocinha, à Rio de Janeiro.

Quelques semaines plus tôt, les 24 et 25 juin, au moins neuf personnes, dont un policier, ont été tuées lors d’une opération de la police à Maré, l’une de plus grandes favelas de la ville.

Les civils ne sont pas les seuls à être ciblés. Un incident récent a révélé le recours à la torture au sein-même de la police militaire.

Le 12 novembre 2013, dans un centre de formation de la police de Rio de Janeiro, un conscrit répondant au nom de Paulo Aparecido Santos de Lima a été pris d’un malaise lors d’un entrainement.

Les officiers chargés de l’entrainement avaient interdit aux recrues de boire de l’eau et les avaient obligés à s’asseoir et à ramper sur l’asphalte brûlant. À l’époque des faits, la température ressentie atteignait 50°C.

Lorsque Santos de Lima a perdu connaissance, avec des brûlures aux fesses et aux mains – rapporte un témoin au journal O Globo -, le supérieur s’est mis à hurler : « Lève-toi et arrête de faire la tapette ! ».

Un certificat médical délivré une semaine plus tard confirmait la mort cérébrale du jeune conscrit.

D’après Ribeiro, le traitement avilissant auquel ils sont soumis conditionne les policiers à agir de façon violente et illégale. « La police leur apprend à tuer. »

Les appels à la démilitarisation de la police se sont intensifiés en juin 2013 dans le contexte des manifestations massives qui se sont propagées à travers tout le Brésil.

« Tant que la violence policière se propage à travers les banlieues, les ghettos et les favelas, elle dérange peu de gens. C’est à partir du moment où elle gagne les manifestations qu’elle commence à interpeller l’opinion publique », relève Marcelo Freixo.

Député du parti de gauche Partido Socialismo e Liberdade (Parti socialisme et liberté) dans l’État de Rio de Janeiro, Marcelo Freixo est réputé pour son engagement parlementaire contre les milices policières qui contrôlent les quartiers et ont recours à l’extorsion contre les résidents.

La répression policière lors des manifestations a fait des victimes, comme dans le cas de Cleonice Vieira de Moraes, éboueuse, décédée le 21 juin 2013 dans la ville de Belém suite à l’inhalation de gaz lacrymogène.

À Rio de Janeiro, des professionnels du secteur de l’éducation en grève ont été durement réprimés.

« Des policiers ont violemment jeté à terre Ercio Novaes, un enseignant, avant de lui asséner des décharges électriques et de le rouer de coups de pied. Il avait déjà perdu connaissance mais les policiers continuaient à le tabasser et ont ensuite procédé à son arrestation », relate Marta Moraes, coordinatrice générale du Sindicato Estadual dos Profissionais de Educação do Río de Janeiro (SEPE).

 

Liberté de presse et violence policière

D’après un rapport du Syndicat des journalistes professionnels de la municipalité de Rio de Janeiro, au moins 49 journalistes ont été agressés entre mai et octobre 2013 alors qu’ils couvraient des manifestations publiques dans la ville.

« La liberté de la presse est rognée » observe Paula Máiran, présidente du syndicat, qui souligne que le rôle des journalistes en tant que témoins de violations des droits humains commises par l’État se voit compromis.

Une enquête de l’Associação Brasileira de Jornalismo Investigativo (Abraji) qui rapporte 102 cas d’agressions contre des reporters lors de manifestations depuis juin dans différentes parties du Brésil, attribue plus de 75% de ces attaques à des policiers.

L’incident le plus grave a impliqué le reporter-photographe Sérgio Silva qui a été atteint d’une balle de caoutchouc dans l’œil gauche lors d’une manifestation à Sao Paolo, le 13 juin dernier. Il a définitivement perdu l’usage de son œil gauche.

À la fin de 2012, le reporter André Caramante a fait l’objet de menaces de la part de Paulo Telhada, colonel retraité de la police militaire de Sao Paulo et à l’époque candidat et conseiller pour le Partido da Social Democracia Brasileira (PSDB).

Caramante s’est vu contraint de quitter le Brésil durant trois mois et, pendant ce temps, Telhada a été élu.

En mai 2013, le reporter-photographe Bira Figueiredo, qui vit à Maré, a été témoin d’une descente de la police militaire à son domicile. Il a aperçu des policiers jeter son équipement photographique dans les WC.

« À l’heure actuelle, il est extrêmement difficile de couvrir la sécurité publique », a confié à Equal Times Paula Máiran.

« Pas seulement en raison des menaces et de la réticence habituelle des sources officielles à procurer des informations en toute transparence mais aussi parce que les médias de masse pactisent notoirement avec le dispositif répressif en place, comme en attestent leurs lignes éditoriales, et se gardent de remettre en cause le modèle d’affrontement armé qui se solde par la mort en masse de civils dans les banlieues ».

Les mouvements sociaux, les syndicats et autres instances citoyennes avertissent que malgré un État de droit démocratique, des mesures propres à des États d’exception sont appliquées et que, plus que la police, c’est l’État qu’il faut démilitariser.

« L’histoire de notre république est profondément marquée par le militarisme », observe Freixo, « et l’État brésilien est absolument militarisé ».

Outre son important effet symbolique, les partisans de la démilitarisation soutiennent que celle-ci contribuera à réduire la violence policière en rompant avec la culture militaire qui veut qu’un ordre soit obéi, et jamais remis en cause.

D’après eux, elle renforcera dans le même temps le contrôle démocratique général sur l’institution en facilitant les procédures judiciaires contre des policiers devant des tribunaux civils.

« Je veux une police qui soit préparée professionnellement pour comprendre son rôle social et remplir sa mission pour la protection de la société », insiste Ribeiro.

« La réforme de la sécurité publique relève d’une nécessité et nous ne pouvons laisser passer ce grand moment d’euphorie populaire ».

 

Cet article a été traduit de l'anglais.