Le Paraguay ne pénalise pas la discrimination

Le Paraguay ne pénalise pas la discrimination

Indigenous peoples from different parts of Paraguay living under the arches of Asuncion’s disused central railway station.

(Santi Carneri)

La discrimination à l’encontre des femmes, de la communauté LGBTI, des peuples indigènes et d’autres groupes persiste au Paraguay, et à la différence du reste de l’Amérique du Sud – à l’exception de la Guyane – aucune loi ne prévoit de poursuites contre le racisme, la ségrégation ou l’homophobie.

Bien qu’il soit entièrement enclavé, le Paraguay donne souvent l’impression d’être une île au milieu de l’océan, de par son insularité culturelle. Un pays qui parait par moments ne pas être affecté par les changements qui surviennent à ses alentours. La dernière décennie a vu tous les États du Cône sud adopter des législations progressistes dans le cadre de leur lutte contre la discrimination, à la seule exception du Paraguay.

Les politiciens de la gauche minoritaire et les organisations sociales dédiées à la défense des droits humains luttent depuis bientôt vingt ans pour l’approbation d’un projet de loi qui poursuivrait et pénaliserait toute forme de discrimination. Cependant, la classe politique majoritairement composée des deux grands partis conservateurs, les Colorados et les Libéraux, outre les Églises catholique et évangélique ne semblent pas prêtes à le permettre.

 

Des cas réels de discrimination

La dirigeante indigène du peuple Qom, Bernarda Pessoa, a failli accoucher de son premier enfant par terre, dans la salle d’attente d’un hôpital. Elle avait 18 ans et attendait depuis quatre heures qu’on s’occupe d’elle. Assise par terre, sans eau ni nourriture, avec pour seul bagage un drap de lit et des vêtements pour son bébé, elle fut ignorée durant des heures par les médecins et les personnels infirmiers qui n’ont même pas daigné lui adresser la parole.

La principale ballerine du Paraguay, Bárbara Medina, d’ascendance africaine, a subi tant de racisme quand elle étudiait au lycée, à Asunción, qu’elle se fâchait quand sa mère lui disait qu’elle était noire comme toute sa famille. Pour cette raison, elle a vécu cachée durant toute son adolescence, se sentant humiliée par les propos racistes dont elle était la cible dans la rue.

La chanteuse professionnelle paraguayenne Jennifer Hicks fut, quant à elle, harcelée par des musiciens d’Asunción durant des séances d’enregistrement ou des concerts et n’a jamais pu disposer du moindre recours pour les dénoncer ; quant à l’étudiante de biochimie Jessica Arce, son chef de service lui a un jour prodigué des conseils « pour être plus jolie et perdre du poids », avant de la licencier du laboratoire où elle travaillait.

Il s’agit là de quelques-uns des témoignages documentés dans le cadre de la campagne Yo no discrimino (Je ne discrimine pas) d’Amnesty International au Paraguay, qui vise à promouvoir l’adoption d’une loi interdisant la discrimination sous toutes ses formes.

 

Le projet de loi Julio Fretes

Ce projet de loi en défense de la société civile a été ainsi nommé en hommage à l’activiste Julio Fretes – décédé en 2009 – qui fut une figure de proue de la lutte pour les droits des personnes handicapées au Paraguay. Les dispositions du texte sont identiques aux législations déjà approuvées dans des pays comme le Chili, la Bolivie ou l’Argentine. Le projet de loi vise à réguler l’interdiction constitutionnelle de la discrimination qui, à l’heure actuelle, n’est étayée par aucune législation spécifique assortie de garanties. Ni plus, ni moins.

À titre d’exemple, la loi chilienne, approuvée en 2012, prévoit des poursuites pour toute discrimination commise par des agents de l’État ou des particuliers qui perturbe ou menace les droits fondamentaux des citoyens.

Les motifs établis pour lesquels une personne ne peut être détenue ou, par exemple, licenciée de son travail incluent « la race ou l’ethnie, la nationalité, la situation socioéconomique, la langue, l’idéologie ou l’opinion politique, la religion ou la croyance, l’affiliation syndicale, la participation à des organisations professionnelles ou l’absence de telles organisations, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’état civil, l’âge, la filiation, l’apparence physique, la maladie ou le handicap ».

Des législations écrites selon les mêmes termes ont été établies en Uruguay (2004), au Pérou (2006), au Venezuela (2011), en Colombie (2011) et en Équateur.

Nonobstant, l’Église catholique paraguayenne a réussi à asseoir au sein de l’opinion publique l’idée que ce type de législation porte atteinte à leurs croyances.

De fait, alors que le projet de loi était débattu, la Conférence épiscopale paraguayenne (CEP) a diffusé des communiqués appelant à « la conscience humaine et chrétienne » des législateurs, pour qu’ils exercent leur vote « en défense de la famille et du mariage entre un homme et une femme ».

Cependant, quand il s’était adressé à la presse devant les portes du Congrès la dernière fois que le projet de loi fut débattu en 2015, le sénateur Carlos Filizzoladu, du parti progressiste Frente Guasú (FG), avait défendu le texte en ces termes : « Les gens affirment que la proposition porte sur le mariage pour tous ou l’avortement or pas un seul des articles de cette loi ne mentionne ces thèmes. Il y est uniquement question de non-discrimination. Le projet de loi prévoit des peines pouvant aller d’amendes jusqu’à deux années de prison pour toute personne commettant une atteinte à la dignité de personnes sur la base de leur différence. »

« En réalité, tout ce que cette loi fait c’est de réglementer l’article 46 de la Constitution nationale interdisant la discrimination sous toutes ses formes. Le Paraguay s’est engagé en faveur de la non-discrimination dans le cadre de forums internationaux et auprès des Nations unies. La loi qualifie ce qui constitue une discrimination », a indiqué le politicien.

Peu enclin à promouvoir cette loi, ni quoi que ce soit qui ait de près ou de loin un rapport avec la notion de « genre », le pouvoir exécutif adopte une posture digne de l’Église catholique.

Il en va de même du président Horacio Cartes, un magnat du tabac qui est arrivé au pouvoir en 2013 avec le Partido Colorado, la même formation politique qui a gouverné le pays sous la dictature (1954-1989) et durant la majeure partie de l’actuelle démocratie (1992-2008).

Ses opinions sur l’égalité de droits en matière de mariage ont même retenu l’attention du New York Times, quand il a comparé les personnes homosexuelles à des « singes » et associé les couples du même sexe à « la fin du monde ». Dans une interview radiodiffusée en plein durant la campagne électorale, il a déclaré textuellement qu’il se « tirerait une balle dans les couilles » si son fils était homosexuel.

 

2017. L’année du changement

C’est au Réseau contre toute forme de discrimination (Red Contra Toda Forma de Discriminación) que l’on doit, en dépit de tous les obstacles tendus par les conservateurs, l’instauration au sein de la société paraguayenne du terme « discrimination », a expliqué un des membres du réseau, l’avocate et militante féministe Mirta Moragas lors d’un entretien avec Equal Times.

« Depuis 2014, les gens emploient le terme discrimination, dans les dénonciations qu’on voit tous les jours, sur les réseaux sociaux, dans les médias, ils disent discrimination. Ils ne disent plus « ils m’ont marginalisée », « ils m’ont maltraitée » ; mais bien : « ils m’ont discriminée ». Et je pense qu’il s’agit d’une bataille culturelle symbolique », a-t-elle ajouté.

Le Réseau, composé de 28 organisations et de particuliers, espère que le débat sera rouvert au Congrès en 2017 et que le projet de loi sera cette fois approuvé, d’autant qu’il a obtenu deux avis favorables au Sénat : L’un de la Commission des droits de l’homme et l’autre de la Commission sur l’égalité et le genre.

« Le fait de ne toujours pas disposer d’une loi interdisant la discrimination sous toutes ses formes est une honte pour un pays en plein 21e siècle. Nous avons progressé dans d’autres domaines mais clairement pas dans celui-ci », a affirmé le maire d’Asunción, Mario Ferreiro, en décembre, quand il reçut une distinction du Réseau pour son soutien à la cause lors d’un meeting à « La Serafina », siège de l’organisation féministe Aireana.

 

This article has been translated from Spanish.