Le pari de Maduro : tout ou rien

Depuis ses débuts, le chavisme a su s’accommoder avec aisance de la théorie mathématique des jeux électoraux dans le but de générer une surreprésentation qui, dans de nombreux cas, a été hégémonique. Ainsi, en 1999, il remportait 125 des 131 députés constituants (élections du 25 juillet pour une Assemblée nationale constituante), avec à peine 65 % des voix, alors que l’opposition créditée de 22,1 % des voix n’obtenait que 6 députés constituants.

Par la suite, il a usé de diverses méthodes pour obtenir le même effet lors des élections suivantes. Une modification des circonscriptions électorales (aussi appelé « Gerrymandering » ou « charcutage des circonscriptions électorales », c.-à-d. un redécoupage visant à favoriser un parti) combinée à des mécanismes de contrôle des électeurs (missions) et l’utilisation indiscriminée de fonds publics pour financer les campagnes électorales leur ont donné des résultats gagnants à presque tous les coups, avec une surreprésentation du vainqueur.

Le prix élevé du pétrole, qui avait accompagné la gestion du président Chávez depuis 2004 jusqu’à sa mort, lui avait permis de créer des mécanismes de subventions directes et indirectes qui procuraient un sentiment de bien-être.

La chute des prix du pétrole entamée en 2011 leva le coin du voile sur la catastrophe économique qui s’était produite. Ainsi, la balance des paiements vénézuélienne était composée, pour 1999, à 76,33 % de pétrole et à 23,67 % d’autres exportations. Lorsque le prix du pétrole commença à baisser, la balance des paiements était constituée à 96 % de pétrole. Avec une concentration sans précédent dans ce produit depuis les années 1940.

À cela s’ajoute une chute spectaculaire de la production pétrolière, en partie causée par le manque d’investissements et par l’incompétence. La production pétrolière a baissé d’un volume de 2,3 millions de barils par jour en 2003 à environ 2 millions de barils par jour, selon l’OPEP et l’Agence mondiale de l’énergie.

Cette baisse s’accompagne en outre d’une détérioration et d’un arrêt de nombreuses installations qui font partie des principaux centres de raffinage du Venezuela. En raison de cette paralysie, le Venezuela se trouve dans l’incapacité de produire de l’essence, 95 octanes. D’où les importations massives d’essence qui ont dû avoir lieu depuis plusieurs années.

C’est donc dans ces conditions que se sont déroulées les élections législatives de 2015. Les règles de la surreprésentation du vainqueur qui avaient permis au chavisme d’exercer son pouvoir de manière hégémonique depuis 1999 ont cette fois-ci joué en faveur de l’opposition.

C’est à ce moment que le Gouvernement de Nicolás Maduro commence sa course folle vers l’élimination de l’Assemblée nationale, d’une part, et la suspension de tout processus électoral, d’autre part.

Pour ce faire, il peut compter sur le soutien de la Cour suprême de justice, du Conseil national électoral et d’autres organes publics, qui ont été nominés (dans la plupart des cas sans toutefois se conformer aux conditions subjectives et objectives en matière de nominations) parmi les partisans les plus fervents.

La suppression progressive de l’Assemblée nationale est censée se faire par le biais de plus de 60 décisions rendues par la Cour suprême de justice depuis décembre 2015, et qui constituent un coup d’État continu contre la séparation des pouvoirs et contre le pouvoir législatif.

Mais pour la communauté internationale, ce sont les arrêts 155 et 156 qui suspendent tous les pouvoirs constitutionnels de l’Assemblée nationale (pouvoirs assumés par la Cour suprême de justice et que celle-ci peut déléguer au Président de la République) qui ont été interprétés comme un coup d’État flagrant. Ces deux arrêts ont été « maquillés », mais leurs fonds restent le même.

La suspension des élections constitue, pour sa part, la plus claire expression de peur ressentie par le régime face à la tenue d’élections libres. Tous les sondages d’opinion donnent au chavisme une intention de vote qui oscille entre 15 % et 20 %. Intentions de vote insuffisantes pour gagner une quelconque élection libre.

C’est pour cette raison que le référendum révocatoire qui devait avoir lieu en 2016 a été bloqué, au moyen du Conseil national électoral et des tribunaux. Mais c’est aussi pour cette raison que les élections des gouverneurs qui auraient dû avoir lieu à la fin de 2016 n’ont jamais été organisées et que les élections municipales, qui devraient se dérouler à la fin de l’année 2017, n’ont pas été convoquées.

Nouvelles règles du jeu, fraude constitutionnelle

En exigeant sans cesse la tenue d’élections libres et équitables, l’opposition majoritaire a permis d’exposer le visage le plus hideux du chavisme. La Table de l’unité démocratique (« Mesa de la Unidad Democrática », MUD) a eu un comportement unitaire impeccable et a mis en œuvre des tactiques de lutte non violente. Depuis le début du mois d’avril 2017, on observe un mouvement massif dans les rues, avec des marches, des manifestations et autres formes d’action non violente.

Face aux milliers de personnes descendues dans les rues, le régime n’a eu qu’une seule réponse : la répression violente. Cette répression s’effectue directement, d’une part, par le biais de la Garde nationale et de la Police nationale bolivarienne et indirectement, d’autre part, par le biais de l’utilisation de groupes paramilitaires armés par le Gouvernement depuis 2002, appelés « collectivos », qui exécutent le travail répressif, armes à feu au poing.

Le bilan à la fin mai 2017 était de 60 personnes assassinées, plus de 4000 blessés, environ 3000 personnes arrêtées, dont plus de 1600 sont toujours détenues.

Toutefois, étant donné les critiques publiques à propos de cette répression démesurée émises par la Procureur générale de la République, Luisa Ortega Díaz, qui a envoyé des instructions aux procureurs de n’accuser les personnes détenues qu’en présence de preuves réelles d’une quelconque infraction commise, le Gouvernement a changé de méthode en faisant juger les personnes détenues dans des tribunaux militaires. Jusqu’à présent, plus de 300 civils sont en cours de jugement expéditif et inconstitutionnel devant cette juridiction exceptionnelle.

Le fait est que le Gouvernement a décidé, à nouveau, de changer les règles du jeu. Et aussi de faire appel à la théorie des jeux électoraux pour opérer une fraude constitutionnelle.

Il s’agit donc de convoquer une Assemblée constituante sans référendum préalable pour réformer la Constitution, par une Assemblée constituante dont les délégués seraient élus, une partie de manière sectorielle (étudiants, travailleurs, communes, personnes handicapées, entre autres) et une autre partie par les municipalités, de manière paritaire, sans tenir compte de sa population.

Ces règles visent à permettre au Gouvernement de contrôler les postulats et les électeurs dans le but de parvenir à une représentation hégémonique.

Avec ce format électoral, on perd le principe de l’universalité du vote, le principe d’« une personne, un vote » ainsi que le principe de la majorité. Ainsi, les municipalités de 2000 habitants pourraient élire le même nombre de représentants qu’une municipalité qui compte des centaines de milliers de personnes. En optant pour le système d’élection sectorielle, sans qu’il ne soit possible de contrôler les listes électorales des personnes dans chaque secteur, le Gouvernement prétend contrôler l’identité des électeurs.

Le gouvernement joue à un jeu de « tout ou rien ». En réussissant à imposer cette Assemblée constituante et à la faire approuver sans référendum et, ce faisant, à intégrer un système d’organisation politique communiste qui change complètement le mode de nomination des autorités, il est très probable que le Venezuela entre dans une période de dictature ouverte, accompagnée d’une instabilité politique totale et d’un effondrement économique sans fond.

En d’autres termes, pour le chavisme, gagner dans ces conditions reviendrait à signer un arrêt de mort détourné.

This article has been translated from Spanish.