Le secteur public européen peut aider à améliorer les conditions de travail de l’industrie électronique chinoise

 

La Chine, en particulier la ville de Shenzhen, dans la province de Guangzhou, est désormais connue pour être l’atelier du monde.

Des milliers d’usines, qui emploient des millions d’ouvriers, produisent toutes sortes d’objets à un rythme incroyablement rapide.

Le secteur de l’électronique, un des moteurs de l’économie chinoise, est l’une des industries qui se développent le plus vite dans le monde, avec une croissance annuelle de 7% prévue entre 2013 et 2015.

Ce secteur se caractérise par l’externalisation, dans le cadre de laquelle les marques engagent des fabricants, comme Foxconn, qui emploie à lui seul autour de 1,4 million de travailleurs.

En dépit de l’image propre et moderne que véhicule cette industrie, les conditions de travail y sont souvent déplorables et les employés ont peu de possibilités, voire pas du tout, de s’organiser pour améliorer leur sort.

Au cours de la dernière décennie, des organisations de la société civile, des syndicats et des travailleurs ont réalisé des campagnes en faveur des droits du travail dans la chaîne d’approvisionnement électronique mondiale et ont appelé cette industrie à faire preuve de responsabilité d’entreprise.

Rapports de recherche, campagnes adressées aux consommateurs, dialogue avec les entreprises, pressions exercées pour améliorer la réglementation et la syndicalisation, sont autant de stratégies mises en œuvre pour sensibiliser et exiger de meilleures conditions de travail pour les personnes qui fabriquent des produits dans le secteur des technologies de l’information et de la communication.

Une étude récente publiée par un groupe d’organisations non gouvernementales européennes (SETEM, Danwatch, Centrum CSR, People & Planet, Südwind et Weed), avec la collaboration de China Labor Watch, a observé de près les conditions de travail de quatre usines de fabrication de pièces électroniques qui fournissent quelques-unes des plus grandes marques internationales.

Cette étude s’intéresse particulièrement à l’entreprise américaine Dell, qui occupe une place essentielle sur le marché, du fait qu’elle fournit le secteur public européen et qu’il s’agit d’une des entreprises des technologies de l’information et de la communication à avoir été montrées du doigt par des ONG pour avoir violé les droits du travail et réalisé peu d’efforts pour améliorer les conditions de travail.

En 2013, des chercheurs de China Labor Watch ont mené secrètement leur enquête dans deux usines dans lesquelles ils travaillaient, Mingshuo et Hipro Electronics.

Ils ont rassemblé de la documentation à partir d’interviews informelles, de documents écrits – des bulletins de salaire, par exemple –, de séquences filmées en caméra cachée et de leur expérience personnelle en tant qu’ouvriers dans ces usines.

En septembre 2013, des chercheurs de DanWatch ont enquêté dans deux autres usines, en interrogeant des ouvriers devant l’entreprise et en analysant des documents écrits.

Les résultats de l’étude révèlent principalement que, même si la durée de travail hebdomadaire est officiellement de 40 heures, les employés de l’usine travaillent généralement entre 60 et 74 heures par semaine.

Ce chiffre équivaut à 136 heures supplémentaires, ce qui dépasse largement la limite légale chinoise de 36 heures supplémentaires par mois.

Pour la plupart des travailleurs, les heures supplémentaires sont obligatoires, et une infraction à cet égard peut entraîner le licenciement.

Il convient par ailleurs de préciser que le salaire minimum d’une semaine de 40 heures ne suffit pas pour subvenir aux besoins de la vie courante.

De plus, lors des phases d’assemblage et de soudure des circuits imprimés, les employés sont exposés à des émanations irritantes, sans avoir de protection adaptée.

L’environnement de travail est également difficile au plan psychologique et les travailleurs font souvent l’objet d’agressions verbales, bien que cela soit interdit par le code de conduite de Dell et par les normes du Code de conduite de l’industrie électronique (EICC).

Dans son code de conduite, Dell déclare qu’elle soutient et qu’elle respecte les principes stipulés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Dell est membre de l’EICC, qui forme une coalition d’entreprises du secteur de l’électronique qui obéissent à un code de conduite commun et partagent des outils visant à promouvoir la responsabilité sociale et environnementale dans la chaîne d’approvisionnement de l’électronique.

En toute logique, Dell approuve ces normes. L’entreprise affirme également qu’elle respecte la législation locale en matière de droits et de conditions de travail, et qu’elle considère que tous ses fournisseurs ont la responsabilité de respecter aussi les normes du travail, notamment les conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Bien que Dell n’effectue pas de contrôles sans préavis, elle constate malgré tout d’importantes infractions à ses propres normes.

Par exemple, dans son dernier rapport sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE), Dell déclare qu’une durée excessive des heures de travail a été signalée dans 61,7% des contrôles et que 18,1% des employés ayant fait l’objet de l’étude travaillent dans des conditions dangereuses.

Comme le montrent ces exemples, des approches telles que le contrôle des entreprises ou les initiatives du type de l’EICC ne réussissent pas à résoudre le problème des salaires de misère et des atteintes aux droits humains dans l’industrie de l’électronique.

Des entreprises autorisent des violations généralisées pour proposer des produits bon marché et dégager d’importants bénéfices, et les codes de conduite des sociétés et les contrôles sociaux manquent de transparence et d’efficacité.

Les gouvernements, aussi bien dans les pays producteurs que dans les pays acheteurs, ont un rôle essentiel à jouer pour instaurer et faire respecter des lois qui protègent les travailleurs, et pour défendre une consommation éthique. Or, sous la pression des intérêts politiques et commerciaux, et malgré les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, ils n’y parviennent pas.

 

Le pouvoir du secteur public

Le secteur public est un énorme acheteur institutionnel de produits des technologies de l’information et de la communication.

Bon nombre des contrats sont colossaux, atteignant parfois plus d’un milliard d’euros.

Ils sont fréquemment signés avec les mêmes marques, lesquelles s’approvisionnent souvent dans les mêmes usines – et cela montre qu’une importante influence sur les fournisseurs est largement inexploitée.

De nombreux organismes du secteur public suivent des politiques de marchés publics socialement responsables, mais ils n’ont pas assez de connaissances, d’influence et de mécanismes juridiques à leur disposition pour exiger que les entreprises rendent des comptes et améliorent la situation des travailleurs.

Ils ne savent pas dans quelles usines leurs fournisseurs s’approvisionnent, et ils ne savent pas si les droits des travailleurs sont respectés et, quand bien même ils le sauraient, ils n’ont pas à leur disposition de clauses contractuelles ni de sanctions ayant un effet contraignant sur les entreprises.

Si les organismes du secteur public collaborent pour demander des comptes aux entreprises, ils n’en seront que plus forts.

Mais ils ont besoin de mieux connaître la situation pour pouvoir changer le cours des choses.

À l’heure actuelle, dans l’industrie de l’électronique, il n’existe pas de système de contrôle général, crédible et indépendant qui regroupe des travailleurs et des organisations de la société civile, dans les pays producteurs tels que la Chine pour pouvoir donner un aperçu précis de la réalité.

L’idéal serait de disposer d’une infrastructure internationale qui permette au secteur public, aux organisations syndicales des pays fabricants de produits électroniques et à d’autres organismes d’utiliser l’influence du secteur public pour améliorer les conditions de travail dans l’industrie électronique.

Au lieu de remporter des victoires isolées, il s’agit désormais de définir une infrastructure qui veillera à apporter des améliorations structurelles en changeant les « règles du jeu ».

 

Electronics Watch

Pour aller dans ce sens, les organisations à l’origine de l’étude, associées aux organisations de la société civile telles que SACOM en Chine, CEREAL au Mexique, Cividep en Inde, Workers Assistance Centre aux Philippines, et un Groupe consultatif d’experts formé d’ONG, d’universitaires et d’acteurs du secteur public, provenant aussi bien d’Europe que des pays producteurs, souhaitent mettre sur pied Electronics Watch, une organisation indépendante qui contrôle les conditions de travail dans l’industrie mondiale de l’électronique pour favoriser des achats publics socialement responsables en Europe.

Le succès de cette initiative dépend de la voix majoritaire des travailleurs et des organisations qui les représentent.

Electronics Watch réunira des acheteurs du secteur public affiliés et des organisations locales de surveillance pour obtenir des données récentes sur les fournisseurs, contrôler les conditions de travail au niveau local et proposer des solutions structurées pour remédier aux manquements.

D’après le programme et le code de conduite d’Electronics Watch, les contrôles doivent être réalisés par un tiers, à l’improviste, et les acheteurs doivent exiger de connaître les fournisseurs à tous les niveaux et de pouvoir accéder aux usines.

De grands acheteurs publics de l’administration et des universités, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne, en Autriche et en Pologne, ont fait part de leur enthousiasme à l’égard de cette initiative et ont accepté de participer au Groupe consultatif.

Electronics Watch vise à réunir un groupement de 60 organisations « affiliées » du secteur public à travers l’Europe.

Ces organisations spécifieront dans leurs contrats qu’elles exigent la divulgation du lieu d’implantation des usines, l’accès aux usines pour réaliser les contrôles d’Electronics Watch, le respect des normes liées au travail, l’application de sanctions pour manquement, et elles feront remonter ces exigences contractuelles aux producteurs de deuxième et troisième niveau.

Ensuite, le personnel de terrain d’Electronics Watch travaillera avec les réseaux des organisations partenaires pour recueillir des renseignements, organiser des formations et des enquêtes sur les droits des travailleurs et mettre en place des programmes d’amélioration au niveau de l’usine, consistant par exemple à superviser les élections des représentants sur le lieu de travail.

En outre, Electronics Watch souhaite travailler avec de grands acheteurs spécifiques, dans le cadre de contrats de l’ordre de 750 millions d’euros à 1 milliard d’euros, afin d’étudier les possibilités d’intégrer les réformes des chaînes d’approvisionnement dans ces grands contrats, par exemple en garantissant des délais de fabrication minimum (entre la commande et la livraison), ce qui apparaît comme l’un des principaux problèmes à résoudre pour assurer des conditions de travail décentes.

Electronics Watch cherche également à garantir les meilleurs prix pour les usines, en partageant le coût généré par cette amélioration entre la marque et l’acheteur principal, ce qui contribuera à créer de la demande en faveur de produits électroniques fabriqués de manière socialement responsable.

C’est un grand défi qui attend toutes les parties prenantes, en particulier dans le climat économique actuel.

Les limitations et les impératifs budgétaires sont dictés aux acheteurs publics par des instances supérieures afin qu’ils ne dépensent pas plus dans l’équipement informatique que ce qui est strictement nécessaire.

Mais avec des achats politiques, que cette initiative vise à instaurer en faisant participer les acteurs publics à la création même de l’organisation, il semble que cela soit possible.