Les syndicats britanniques prônent le désinvestissement dans les énergies fossiles

En septembre 2017, le mouvement syndical britannique a pris la décision historique de soutenir une campagne visant à mettre fin aux investissements des caisses de retraite des travailleurs dans les combustibles fossiles, ce qui représente plusieurs millions de livres sterling.

Pendant les trois jours de la conférence annuelle de la Confédération des syndicats britanniques (TUC), les militants syndicaux ont discuté des principales questions à débattre. Même si la couverture médiatique de la conférence s’est essentiellement focalisée sur le Brexit et sur la rémunération dans le secteur public, qui ont fait les gros titres récemment, les représentants des plus grands syndicats du pays ont adopté une résolution ferme sur le changement climatique.

Suite aux inondations dévastatrices survenues au Royaume-Uni et face au projet du président Trump de se retirer de l’Accord de Paris sur le climat, la résolution préconise la renationalisation du « système énergétique truqué » du Royaume-Uni et son retour sous le contrôle démocratique. Elle recommande également un grand programme d’efficacité énergétique pour les foyers britanniques et les bâtiments publics, ainsi qu’une « transition juste » pour les travailleurs concernés par les changements du secteur de l’énergie.

La dernière partie de la résolution en six points prévoit « d’enquêter sur les risques à long terme des caisses de retraite qui investissent dans les combustibles fossiles, de promouvoir le désinvestissement et le réinvestissement alternatif dans l’économie durable ».

En utilisant l’expression « promouvoir le désinvestissement », le mouvement syndical britannique a officiellement approuvé le désinvestissement ou le retrait des actifs liés aux énergies fossiles placés dans des fonds d’investissement (en l’occurrence les caisses de retraite des travailleurs), afin de s’attaquer au changement climatique à la racine, c’est-à-dire au niveau des entreprises extractives elles-mêmes. Il s’agit depuis longtemps d’une question litigieuse, dans la mesure où les syndicats privilégient traditionnellement la tactique de « l’engagement », qui est l’antithèse du désinvestissement.

En résumé, si l’on pense que le pouvoir des citoyens peut changer le comportement des entreprises en travaillant avec elles – par exemple en posant des questions aux assemblées générales annuelles, en encourageant le militantisme des actionnaires, etc. – l’engagement est effectivement la solution. Or, les campagnes de désinvestissement ont tendance à laisser entendre que les entreprises et les industries sont irrécupérables. Il n’y a plus de liens, plus d’investissements, et les entreprises deviennent de véritables parias sociaux. C’est du même ordre que l’industrie du tabac et l’apartheid sud-africain.

D’un point de vue économique, le vote de la TUC sur le désinvestissement fut crucial. Les pensions des travailleurs britanniques s’élèvent aujourd’hui à plusieurs milliers de milliards GBP, dont environ £16 milliards (20.94 milliards USD) sont investis dans les combustibles fossiles.

La disposition de la TUC relative au désinvestissement revêt par ailleurs une importance historique. Tout d’abord, c’est la première fois au monde qu’une confédération syndicale nationale approuve le désinvestissement. Ensuite, et c’est encore plus significatif, dans un pays qui n’en a toujours pas fini avec la lutte amère menée par les mineurs contre la violence des années Thatcher, les combustibles fossiles sont désormais perçus comme tellement néfastes à l’avenir de l’humanité que les caisses de retraite des travailleurs devraient les éviter à tout prix.

Aux États-Unis, le mouvement syndical est allé un peu plus loin : deux grandes caisses de retraite californiennes se sont complètement retirées de l’industrie du charbon.

Cependant, dans les deux pays, les syndicats sont divisés au sujet du désinvestissement. Les travailleurs des industries concernées craignent pour leurs revenus, ce qui est compréhensible. En attendant, les écologistes attirent l’attention sur la longue liste de faits qui prouvent que les entreprises de combustibles fossiles sont non seulement restées indifférentes au problème du changement climatique mais ont en outre activement empêché toute action efficace.

Désinvestissement : un phénomène récent

Le mouvement syndical remonte au début de la révolution industrielle, et il semble d’autant plus important de souligner que le désinvestissement dans les énergies fossiles a vu le jour il y a moins d’une décennie. Le phénomène a vraiment commencé à prendre de l’ampleur après l’article écrit en 2012 par l’écologiste américain Bill McKibben dans le magazine influent Rolling Stone, « Global Warming’s Terrifying New Math » (Les nouveaux chiffres terrifiants du réchauffement climatique).

McKibben partait d’un postulat simple : l’humanité a décidé qu’une hausse de deux degrés était le niveau maximum de réchauffement climatique que le monde pouvait supporter. Les entreprises extractives possèdent des réserves de combustibles fossiles capables de multiplier ce seuil par trois ou quatre, au bas mot. C’est pourquoi ces réserves – de charbon, de gaz et de pétrole – doivent rester sous terre.

L’équation simple de McKibben promettait également de sérieux tracas financiers si rien ne changeait. Si nous devons laisser ces combustibles dans le sol, cela signifie selon lui que ces entreprises et leurs réserves ont été largement surévaluées. Empruntant une expression du groupe de réflexion britannique Carbon Tracker Initiative, McKibben a évoqué une potentielle « bulle de carbone » d’actifs immobilisés – c’est-à-dire des actifs futurs existant dans notre système financier mais inutilisables si l’on veut que l’humanité survive.

« On peut avoir un bon bilan financier en ce qui concerne les combustibles fossiles, ou une planète relativement saine – mais maintenant que nous connaissons les chiffres, il semble qu’on ne puisse pas avoir les deux », écrivait-il dans son article.

Son hypothèse s’est répandue comme une traînée de poudre, et McKibben a fait le tour des États-Unis pour promouvoir la tactique fondamentale du désinvestissement en désignant l’industrie des combustibles fossiles comme l’ennemi public mondial numéro un. Des campagnes élaborées par des citoyens ordinaires ont été organisées partout dans le monde et le mouvement a remporté ses premières victoires dans les universités, les églises et les conseils locaux, qui plaidaient en faveur d’une planète sans énergie fossile.

Copenhague, Stockholm, Oslo, Washington, Berlin, Sydney et l’Irlande ont pris des engagements pour renoncer aux énergies fossiles. Copenhague, en particulier, est un parfait exemple, car la ville suspend ses investissements dans toute entreprise dont plus de 5 % des revenus sont issus de la prospection, de l’extraction ou du raffinage des combustibles fossiles.

Caisses de retraite : ennuyeux mais important

Le désinvestissement des caisses de retraites des travailleurs, avec leurs participations collectives qui se chiffrent en milliards dans les combustibles fossiles, demeure une opération délicate.

Aux États-Unis, les syndicats ont participé à des campagnes de désengagement de deux grandes caisses de retraite du secteur public, California Public Employees’ Retirement System (CalPERS), une des plus grandes caisses de retraite du monde, et California State Teachers’ Retirement System (CalSTRS). Suite à la décision de désinvestissement de la part de California Faculty Association (CFA) et de la fédération d’enseignants California Federation of Teachers (CFT) en 2015, un projet de loi du sénat californien a été adopté pour autoriser CalPERS et CalSTRS à se retirer de l’industrie du charbon.

Depuis le mois d’août dernier, ces deux caisses de retraite ont confirmé qu’elles ne détenaient plus de parts dans l’industrie du charbon.

CalPERS a reçu à la fois des louanges et des critiques acerbes pour sa position contre le charbon, les critiques venant plutôt des responsables politiques de droite, des observateurs libertaires et des syndicats des raffineries de pétrole et de gaz, des plates-formes pétrolières et des usines pétrochimiques.

Les militants européens ont également progressé sur la question des retraites, a déclaré Melanie Mattauch, de l’organisation internationale de protection de l’environnement 350.org, à Equal Times.

« Grâce à la campagne contre les énergies fossiles, les caisses de retraite d’Europe, des États-Unis et d’Australie discutent sérieusement du modèle commercial non éthique des entreprises de combustibles fossiles. La décision de l’UE prise l’an passé a marqué une étape décisive pour obliger les caisses de retraite professionnelles de l’UE, qui représentent 75 millions de citoyens, à tenir compte des considérations environnementales et des risques liés au changement climatique dans leurs décisions d’investissement ».

À Londres, deux conseils de district (Southwark et Waltham Forest) ont pris l’engagement de céder leurs caisses de retraite pesant presque 2 milliards GBP (2,65 milliards USD) à un système de gestion mixte.

Les membres syndicaux ont un rôle à jouer

Certes, on peut se demander comment la politique de désinvestissement de la TUC va se concrétiser sur le terrain au Royaume-Uni, mais les membres de nombreux syndicats différents mènent déjà des campagnes de désinvestissement dans l’ensemble du pays.

Mika Minio-Paluello, économiste spécialisée dans l’énergie et militante du groupe londonien de défense du climat Platform, et par ailleurs membre du deuxième plus grand syndicat britannique, Unison, explique à Equal Times que les membres des sections syndicales locales jouent un rôle essentiel pour mettre en place la politique approfondie de désinvestissement du syndicat au niveau interne – une véritable prouesse compte tenu du fait que Unison représente également des personnes qui travaillent dans le secteur du gaz ou pour d’importants revendeurs d’énergie.

Les membres de Unison et de GMB (autre syndicat général britannique) ont également participé à cette campagne fructueuse visant à inciter le district londonien de Southwark à se retirer des énergies fossiles.

« En réalité, les syndicats centraux n’ont pas besoin d’adopter de position officielle de désinvestissement pour encourager les membres à participer aux campagnes mais, en présentant des propositions lors des conférences nationales, un syndicat décide d’en faire une question nationale et lui alloue des ressources spécifiques », précise Minio-Paluello.

Sam Mason, responsable politique du syndicat britannique Public and Commercial Services Union (PCS), indique que le désinvestissement doit faire partie intégrante d’une action plus générale contre le changement climatique.

« C’est une campagne efficace à nos yeux, mais faisant partie d’un ensemble de choses qui vont nous aider à mettre fin à notre dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles et de ‘l’extractivisme’. Il subsiste une considérable nervosité au sujet des emplois, et l’on comprend aisément la profonde préoccupation des travailleurs de l’industrie des combustibles fossiles, en particulier dans le secteur du pétrole et du gaz.

« Par conséquent, nous devons vraiment travailler ensemble pour expliquer que nous avons besoin d’une ‘transition juste’, pas simplement d’un plan social pour les travailleurs, et il faut également lutter contre le risque financier des actifs immobilisés ».

Cette position est également celle de la secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI), Sharan Burrow.

« Une ‘transition juste’ doit comporter une forme de sécurité pour les travailleurs et les communautés, avec des délais précis dans l’engagement en faveur des emplois, avec des pensions et un investissement dans le savoir-faire et la réaffectation des travailleurs. Quand bien même une entreprise refuserait de suivre un plan de décarbonation et de maintien des emplois dans la perspective d’un impact à deux degrés, ou moins, elle fera de toute façon l’objet d’un désinvestissement ».

Un problème avec le capitalisme

Le principal problème des campagnes de désinvestissement des caisses de retraite réside toutefois dans la manière dont ces instruments financiers fonctionnent, au sein d’un système de capital qui non seulement exige une croissance maximale mais, en plus, légifère en ce sens.

Sean Sweeney, membre de l’initiative Trade Unions for Energy Democracy (Les syndicats pour la démocratie énergétique – TUED), qui ne cache pas son scepticisme à l’égard du désinvestissement, affirme que la stabilisation des conditions économiques suite à un krach oblige les gestionnaires de fonds à donner la priorité aux bénéfices générés à court terme par l’énergie fossile plutôt qu’à la survie à long terme, principalement en raison du fait qu’il n’y a pas beaucoup d’autres options.

Il remarque que les investissements dans le développement de l’énergie fossile a chuté de 200 milliards de dollars annuellement, surtout à cause de la surproduction dans le charbon, le pétrole et le gaz.

« Une fois que les inventaires seront épuisés, la valeur des actions qui ont été vendues à cause des efforts de désinvestissement vont augmenter, car la demande mondiale pour le pétrole et le gaz augmente chaque année. Je suis davantage préoccupé par le besoin de créer un mouvement de masse en soutien à l’investissement dans les énergies renouvellables. »

« Globalement, l’investissement dans le renouvellable est bien en-dessous de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques. Les fonds de pension investisseraient dans le renouvellable si les actions étaient détenues publiquement. Il faut saisir cette opportunité. Si Bill McKibben était gestionnaire de fonds, il aurait du mal à trouver dans quoi il réinvestirait son argent. »

McKibben dit lui-même que le désinvestissement n’est pas seulement un acte économique, mais aussi moral. Comme pour les campagnes contre le tabac et l’apartheid, le désinvestissement dans les combustibles fossiles revient à priver les entreprises extractives de leur acceptabilité et de leur légitimité sociale.

Dans son article polémique publié par Rolling Stone, McKibben n’a pas mâché ses mots : « Ce que tous ces chiffres sur le climat montrent de manière évidente et douloureuse, c’est que la planète a bel et bien un ennemi, qui est nettement plus décidé à agir que les gouvernements et les individus. Face à cela, nous devons considérer l’industrie des énergies fossiles sous un angle nouveau. Elle est devenue malveillante et dangereuse – plus que toute autre industrie existant sur Terre. C’est l’ennemi public numéro un de la survie de notre civilisation ici-bas ».