Le succès en demi-teinte des handicapés israéliens

En Israël, « cela faisait 16 ans que l’allocation d’invalidité n’avait pas été revalorisée » rappelle le député du parti de gauche Meretz, Ilan Gilon, lui-même atteint d’un handicap.

Jusqu’ici, les personnes handicapées recevaient en moyenne 2342 shekels (soit environ 566 euros). Une somme loin de pouvoir garantir leur indépendance financière.

« Une personne ayant un handicap complexe comme moi a besoin de plusieurs appareils de mobilité différents et mon assurance ne couvre pas l’achat de ceux que j’utilise. Il y a aussi 1600 shekels de médicaments par mois et d’autres traitements comme des massages » détaille Avital, atteinte du syndrome de la queue de cheval, une affection neurologique grave qui cause notamment des douleurs dorsales et une perte de sensibilité des jambes. « Et tout cela, c’est avant les factures et les courses… »

Alors, pour les personnes comme Avital, le 29 septembre 2017 est à marquer d’une pierre blanche. Le gouvernement israélien a accepté de s’asseoir à la table des négociations et de débloquer des fonds pour réparer cette injustice.

Au total, 4,2 milliards de shekels (un peu plus d’un milliard d’euros) ont été promis par l’État sur quatre ans. La revalorisation sera progressive.

En 2021, les personnes les plus sévèrement handicapées (à plus de 100 %) devraient ainsi voir leur allocation mensuelle atteindre 4500 shekels (soit environ 1088 euros). Les Israéliens reconnus handicapés à 100 %, et donc dans l’incapacité de travailler, verront leur allocation augmenter de 1250 shekels pour atteindre entre 3800 et 4050 shekels. Ceux reconnus handicapés de 60 à 70 % percevront eux entre 2100 et 2400 shekels.

Parallèlement, les personnes handicapées qui peuvent travailler seront autorisées à cumuler leur pension avec un salaire pouvant s’élever jusqu’à 4300 shekels, contre 2800 shekels aujourd’hui.

« C’est un accord historique qui apportera une amélioration spectaculaire de la situation des handicapés en Israël » s’est félicité le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou.

« Nous avons fait l’histoire sociale en Israël. Nous avons considérablement amélioré la situation économique de la population handicapée » a également salué Avi Nissenkorm, dirigeant du premier syndicat de travailleurs israélien Histadrut (gauche).

À la tête du groupe Lutte pour les handicapés, l’Israélienne Naomi Ravia estime, elle, que cet accord était « le meilleur résultat possible compte tenu des circonstances » économiques.

Cette réforme intervient en effet alors qu’Israël mène une politique de réduction des dépenses publiques depuis plusieurs décennies. L’État hébreu a enclenché un virage néolibéral dans les années ‘80 et opéré des coupes budgétaires dès le tournant des années 2000 suite à la récession due à la seconde Intifada.

« Entre 2002 et 2004, les dépenses de protection sociale ont été comprimées de 10 % alors que les conditions de versement des diverses allocations ont été sensiblement renforcées » confirme l’économiste Jacques Bendelac, dans la revue Confluences Méditerranée, Israël : l’enfermement.

En Israël, « le handicap est en soi une catégorie qui connaît des disparités » ajoute Michael Shalev, sociologue à l’Université hébraïque de Jérusalem. « Il existe une hiérarchie des droits et des avantages : l’incapacité militaire est au sommet, le handicap professionnel arrive en seconde position, et le handicap général est au bas de l’échelle ». Ce troisième groupe représente environ 243.000 personnes.

Une mobilisation spectaculaire

Si le gouvernement israélien s’est finalement décidé à s’attaquer à cette inégalité, c’est d’abord parce qu’il en avait fait la promesse depuis des années.

« Les membres de la coalition (gouvernementale) en ont eu marre d’avoir honte » de retarder cette mesure, analyse Ilan Gilon.

Mais c’est surtout la mobilisation active des handicapés israéliens qui a mis le gouvernement de Benjamin Netanyahou au pied du mur. Depuis deux ans et de façon intensive dans les mois qui ont précédé la conclusion de l’accord, les associations de défense des droits des handicapés israéliens ont organisé des blocages spectaculaires, dont celui d’une importante bretelle d’autoroute menant à Tel-Aviv le lendemain du nouvel an juif, le 24 septembre 2017.

Les images de ces hommes et ces femmes se battant pour leur dignité ont largement été relayées par les chaînes de télévision locales. Certains s’étaient allongés sur l’asphalte pour empêcher les voitures de circuler. D’autres avaient fini par être délogés de force par la police israélienne.

En juin 2017, lors d’une manifestation à Jérusalem, deux handicapés avaient même tenté de s’immoler par le feu, mettant en émoi l’opinion publique.

Face à cette publicité négative pour son image, le gouvernement israélien ne pouvait plus rester insensible au problème.

Pour autant, une quinzaine d’associations d’handicapés israéliens n’a pas abandonné la lutte. Elles jugent l’accord promis par l’État israélien « insuffisant ».

Car elles réclament que l’allocation mensuelle perçue par les handicapés soit revalorisée à hauteur du salaire moyen israélien, qui s’élève à 5300 shekels (environ 1280 euros).

« Pour recevoir le maximum en 2021, il faudra être reconnu invalide à plus de 100 % et d’ici là, le coût de la vie aura augmenté » explique Naor Lavie, porte-parole de l’association Les handicapés deviennent des panthères, à la tête de la mobilisation.

« Le gouvernement n’a pas précisé comment il compte financer l’augmentation après 2019 » ajoute-t-il.

Pour respecter ses objectifs en 2018, le gouvernement a demandé au ministère des Finances de débloquer une enveloppe d’1,3 milliard de shekels (environ 314 millions d’euros). Mais un quart de ce budget est encore à trouver.

Or, les alliés de Benjamin Netanyahou, le ministre de l’Éducation Naftali Bennet (chef du parti nationaliste HaBayit HaYehudi), le ministre de l’Intérieur Arye Dery (chef du parti religieux Shas), ainsi que le ministre de la Santé Yaakov Litzman (chef du parti Judaïsme unifié de la Torah), ont déjà annoncé qu’ils refuseraient de participer au financement de la mesure.

Ce mardi 31 octobre 2017, Les handicapés deviennent des panthères ont donc décidé de frapper fort. Ils sont parvenus à bloquer pendant plusieurs minutes la route menant à l’aéroport ultra-sécurisé de Tel-Aviv, avant d’être évacués par les forces de l’ordre.

Cette mobilisation inédite montre les limites du succès de la « start-up nation » israélienne : l’État hébreu reste le pays de l’OCDE dans lequel le taux de pauvreté est le plus élevé et où les inégalités sont les plus importantes.

« Nous n’acceptons pas l’idée que les handicapés doivent vivre dans la misère et la pauvreté » commente Naor Lavie.

« Nous lançons un signal au gouvernement et à son chef, Benjamin Netanyahou : s’ils n’acceptent pas des négociations immédiates avec nous, nous continuerons de bloquer des endroits stratégiques comme l’aéroport » prévient-il, persuadé que frapper l’État au portefeuille est la meilleure stratégie.