Le Train maya, le mégaprojet qui menace les écosystèmes de la péninsule du Yucatán

Le Train maya, le mégaprojet qui menace les écosystèmes de la péninsule du Yucatán

Un groupe de défenseurs de l’environnement manifeste contre l’« écocide » provoqué par la construction du Train maya. Playa del Carmen, Mexique, 6 mars 2022.

(Natalia Pescador/Eyepix/NurPhoto via AFP)

Le Train maya, une ligne de chemin de fer destinée au transport de passagers et de marchandises qui longera la péninsule du Yucatán, est l’héritage que le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, rêve de laisser derrière lui.

Il s’agit d’un mégaprojet d’infrastructure de grande envergure. Plus de 1.550 kilomètres de voies ferrées traversant cinq États du sud-est du pays : Chiapas, Tabasco, Campeche, Yucatán et Quintana Roo. Par ailleurs, 21 stations, 14 arrêts et un investissement de près de 200 milliards de pesos mexicains (environ 9,8 milliards de dollars US, 8,73 milliards d’euros).

M. López Obrador a demandé l’accélération de la cadence des travaux. Il souhaite inaugurer le train en décembre 2023, soit près d’un an avant la fin de son mandat, et qu’il devienne l’héritage principal de son administration en matière d’infrastructures ; au même titre que le nouvel aéroport international de Mexico.

Le président est convaincu que le train permettra de solder la « dette historique » qui, selon lui, existe avec le sud-est du pays, une zone accusant un retard de développement économique par rapport aux États industrialisés du centre et du nord du Mexique.

Tout le monde ne partage cependant pas son enthousiasme. Les communautés indigènes et les organisations environnementales s’insurgent contre le projet en raison de ses conséquences environnementales catastrophiques dans une zone d’une grande biodiversité et d’une grande importance pour la conservation de la forêt tropicale maya.

Le tracé de la ligne ferroviaire traverse la réserve de biosphère de Calakmul, qui abrite la deuxième plus grande étendue de forêts tropicales des Amériques, et huit autres zones naturelles importantes, telles que les réserves de Sian Ka’an et de Yum Balam, toutes deux situées dans l’État de Quintana Roo.

D’aucuns craignent également que des sites archéologiques soient endommagés et doutent de la conformité du projet avec la législation environnementale. Les études d’impact sur l’environnement n’ont pas été rendues publiques et, dans les cas où celles-ci sont connues, ont été présentées alors que les travaux avaient déjà commencé.

Rejet par les communautés mayas

L’un des paradoxes de ce mégaprojet est que, bien qu’il soit affublé du mot « Maya », il est rejeté par une grande partie des communautés indigènes qui habitent la péninsule du Yucatán.

« Depuis le début, nous déclarons que ce projet ne nous représente pas ; c’est un projet contre les populations mayas. Nous ne pouvons pas accepter quelque chose qui vient porter atteinte à nos vies », affirme Pedro Uc, membre de l’Assemblée des défenseurs du territoire maya Múuch’ Xíinbal, à Equal Times.

L’assemblée, fondée en 2018, regroupe quelque 25 communautés mayas qui se sont organisées pour lutter contre les mégaprojets dans la péninsule du Yucatán et a introduit plusieurs procédures d’amparo [procédure juridique mexicaine visant simultanément à contester les agissements des pouvoirs publics portant atteinte aux droits individuels et à dénoncer l’inconstitutionnalité des lois en vigueur, ndt] en vue d’arrêter la construction du Train maya, bien que la plupart aient été déboutées par les tribunaux.

D’après M. Uc, le train est un « attentat » contre l’environnement et l’identité maya. « En détruisant le territoire, on détruit une façon de penser, de voir, de vivre et d’expliquer la réalité qui fait partie intégrante de notre identité en tant que peuples mayas », explique-t-il.

Il critique également le fait que le projet a été réalisé en se détournant des communautés indigènes qui habitent la région, et ce, malgré la consultation indigène qui a eu lieu à la fin de l’année 2019 (une consultation qui a été remise en question par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, HCDH).

« Nous avons participé à ce processus en qualité d’observateurs et nous avons constaté à quel point celui-ci était fallacieux et de la propagande qui a été déployée autour du train. Peu de personnes y ont participé et le scrutin n’a aucune légitimité, car il contenait une liste d’avantages que le projet apporterait, mais aucune mention de l’existence d’un impact négatif », explique l’activiste, qui assure avoir reçu des menaces de mort pour son opposition au train.

Les communautés mayas se sentent trahies par M. López Obrador, à qui elles avaient passé le témoin lors de son investiture en 2018 : elles ont à présent l’impression de subir un retour de bâton de la part des autorités.

M. Uc souligne que les communautés mayas ne s’opposent pas au développement et au progrès de la société. « Nous ne souhaitons pas revenir au port du pagne et des plumes », déclare-t-il. Mais la communauté ne peut pas non plus rester les bras croisés face à une initiative qui attaque son territoire avec férocité. « Un tel projet implique nécessairement l’écrasement de nos communautés afin que d’autres formes et d’autres intérêts finissent par occuper cette zone », souligne-t-il.

Quid du droit de l’environnement

Depuis que le président a annoncé la construction du Train maya en décembre 2018, de nombreuses allégations d’irrégularités administratives ont émergé.

Xavier Martínez, directeur opérationnel du Centre mexicain du droit de l’environnement (CEMDA), déclare à Equal Times que le risque environnemental du projet est « absolument incertain », car les autorités n’ont pas présenté d’évaluation complète. Au lieu de présenter une étude d’impact environnemental (EIE) pour la construction de l’ensemble de la voie ferrée, le Fonds national du tourisme (Fonatur), qui est responsable des travaux du train, a divisé le projet en sept sections. Cette segmentation a entraîné une dispersion des démarches bureaucratiques, étant donné que chaque section exige sa propre étude d’impact environnemental, et a fermé la porte à la possibilité de mesurer les « impacts cumulatifs ou synergiques » que génèrent de tels mégaprojets sur les écosystèmes, explique le responsable du CEMDA.

La segmentation a également donné lieu à des violations du cadre juridique, notamment le fait que les travaux aient débuté sur plusieurs tronçons avant que les études d’impact environnemental n’aient été approuvées par le ministère de l’Environnement.

Cette opacité a également été encouragée par M. López Obrador, qui, en novembre 2021, a déclaré que les principaux projets d’infrastructure promus par le gouvernement relevaient de la « sécurité nationale ».

Cette mesure controversée permet aux autorités d’accélérer certaines procédures, oblige à accorder les permis et les licences dans un délai de cinq jours et permet la prolongation des permis de construire provisoires afin que les travaux sur les projets prioritaires de l’exécutif ne soient pas paralysés.

Le CEMDA a introduit trois procédures d’amparo contre le train, mais n’a obtenu jusqu’à présent qu’une petite victoire dans l’une d’entre elles, une mesure de précaution qui a forcé l’arrêt des travaux sur un petit tronçon de 235 kilomètres entre les villes d’Escárcega et de Calkiní, dans l’État de Campeche.

Mais les revers judiciaires continuent et le dernier en date est la requête du Fonatur pour que toutes les procédures d’amparo contre le Train maya soient concentrées dans un seul tribunal. La Cour suprême a donné son feu vert à cette requête et toutes les procédures d’amparo sont désormais entre les mains d’un magistrat du Yucatán. « Imaginez la pression que subira ce tribunal. Dorénavant, nous ne bénéficierons plus d’une diversité de sentences ou d’arguments », déplore Xavier Martínez.

Risque archéologique

À la fin du mois de février de cette année, l’auditeur supérieur de la fédération (ASF), un organe spécialisé de la Chambre des députés qui contrôle l’utilisation des ressources publiques, a publié un rapport accablant sur le Train maya.

L’ASF a tiré la sonnette d’alarme sur les risques archéologiques que pourrait entraîner la hâte avec laquelle les travaux sont exécutés. « En ce qui concerne la prospection archéologique, le groupe de vérification de l’ASF a identifié qu’il existe un risque lié au temps nécessaire pour développer les procédures associées à la conformité en matière de sauvetage archéologique », indique le rapport.

Ce sauvetage est entre les mains des archéologues de l’Institut national d’anthropologie et d’histoire du Mexique (INAH), qui parcourent les sentiers sur lesquels passeront les rails du Train maya, équipés de technologies de pointe.

Leur mission consiste à récupérer les vestiges, à les nettoyer et à les restaurer en laboratoire en vue de les étudier. Ils sont ensuite replacés à l’endroit où ils ont été découverts. Si cela s’avère impossible parce qu’ils se trouvent en plein milieu du tracé de la future ligne de train, ils sont relocalisés dans un autre secteur.

Rien que sur le premier tronçon du parcours du train, soit quelque 228 kilomètres entre l’ancienne cité maya de Palenque (Chiapas) et la ville d’Escárcega (Campeche), 2.482 vestiges immeubles, 80 sépultures, 60.000 fragments de céramique et 30 vases complets ont été identifiés, a signalé l’INAH en octobre 2021. L’étude des pièces découvertes fournira des détails sur l’occupation préhispanique de ces zones, depuis la période du Préclassique moyen (700 à 300 avant J.-C.) au Classique tardif (600 à 850 après J.-C.).

Soutien du secteur du tourisme

Ni les critiques des activistes et des écologistes ni les images de bulldozers rasant des hectares de jungle n’ont réussi à émouvoir l’administration du président mexicain, qui défend mordicus le Train maya. M. López Obrador suit le projet de près. Il survole certaines sections du chantier en hélicoptère toutes les quelques semaines et, en janvier dernier, il a remplacé le responsable de Fonatur par une personne de confiance, car il estimait que les travaux n’avançaient pas suffisamment vite.

Sur le site Web du Train maya, le Fonatur souligne que le développement n’a pas atteint la péninsule du Yucatán avec autant d’intensité que dans le nord et le centre du Mexique, en grande partie à cause du manque d’infrastructures de transport et de connectivité.

Les responsables du train affirment que la voie ferrée stimulera l’économie des cinq États et que le transport de marchandises donnera une forte impulsion aux secteurs de l’agriculture, des matériaux de construction et des carburants.

Les professionnels du tourisme se frottent également les mains à l’idée de voir arriver le Train maya. Les principales destinations touristiques du Mexique, telles que les ruines mayas de Chichén Itzá et les plages de Cancún et de la Riviera Maya, sont toutes situées dans la péninsule du Yucatán.

D’après les chiffres du ministère du Tourisme de Quintana Roo, l’État a accueilli 13,5 millions de touristes en 2021, principalement à Cancún (4,6 millions) et dans les localités de la Riviera Maya (5,6 millions). En 2019, avant la pandémie de Covid-19, le tourisme représentait 35 % du produit intérieur brut (PIB) de Quintana Roo et constituait également une activité importante dans d’autres États par lesquels passera le Train maya, comme le Chiapas (12,7 % du PIB) et le Yucatán (11,1 %).

Malgré cela, les hommes d’affaires pensent que le chemin de fer élargira l’offre dans une région qui a encore beaucoup à offrir aux visiteurs.

Iván Rodríguez Gasque, président de la Chambre nationale du commerce, des services et du tourisme de Mérida, dans l’État du Yucatán, explique à Equal Times que le Train maya renferme un « potentiel touristique incroyable » pour la région, mais il souligne également qu’il reste encore beaucoup de travail à faire, notamment en ce qui concerne les gares et les « pôles de développement » que les autorités ont prévu de construire autour d’elles.

Les promoteurs du projet espèrent qu’avec le soutien du secteur privé, les gares et les arrêts ferroviaires deviendront la pierre angulaire de nouveaux centres d’activité économique et commerciale, avec de nouveaux espaces verts, une offre locale de services et une augmentation de la valeur immobilière de la zone.

Cet article a été traduit de l'espagnol par Charles Katsidonis