« Le vieux monde est fini », selon le journaliste Paul Mason

« Le vieux monde est fini », selon le journaliste Paul Mason

British journalist Paul Mason believes that a ‘hard Brexit’ could destroy part of the UK economy.

(Global Justice Now/Wikimedia)
Q&A

Paul Mason est un chroniqueur, auteur (PostCapitalism: A Guide to our Future) et journaliste indépendant britannique. En février, il a démissionné de son poste de rédacteur économique de la chaîne publique britannique Channel 4 (seulement quatre mois avant le référendum sur le Brexit), pour se consacrer à un journalisme plus activiste, sans avoir à se plier aux règles d’impartialité que les animateurs de télévision doivent respecter au Royaume-Uni.

À l’occasion du Festival du Journalisme Internazionale a Ferrara, organisé du 30 septembre au 2 octobre 2016 à Ferrara, dans le nord de l’Italie, Paul Mason s’est entretenu avec Equal Times sur plusieurs sujets, notamment sur le plan du Royaume-Uni pour sortir de l’Union européenne (UE), sur son modèle de l’après-capitalisme et sur l’avenir des médias.

 

Que pensez-vous des négociations entre le Royaume-Uni et l’UE concernant la sortie du Royaume-Uni de l’UE et de la possibilité d’un « Brexit dur » ?

Personnellement, au début je pensais que je voulais un Brexit progressiste (une sortie de gauche), car après ce qui s’était passé en Grèce, j’étais convaincu qu’il était pratiquement impossible de réformer l’Europe. Mais au regard de la dynamique de la situation du Royaume-Uni, j’ai observé ce qui se passait pour constater que les forces qui voulaient sortir de l’UE étaient les pires.

Le parti travailliste britannique, Labour Party, voulait rester dans l’UE, les syndicats voulaient rester dans l’UE, les conservateurs qui voulaient en sortir souhaitaient le faire pour imposer un marché encore plus libre et des lois encore plus anti-environnementales. Il n’y avait donc plus qu’une seule solution.

Avec d’autres, nous avons essayé de convaincre les gens de rester dans l’UE en promouvant des réformes très rigoureuses, mais nous n’avons pas été aidés par le fait que Bruxelles et les 27 autres États membres de l’UE, notamment l’Allemagne, ne voulaient rien changer au modèle existant. À la fin de la journée, nous avons essayé de convaincre la classe ouvrière, qui sent sa situation économique menacée par la migration, qu’il existait une autre solution que le Brexit, mais nous n’y sommes pas parvenus.

Le Brexit va bel et bien avoir lieu et notre mission maintenant est de veiller à ce que cela se fasse avec le moins de dégâts possibles. Nous devons ainsi nous battre pour rester dans le marché unique, mais pour cela il faut théoriquement avoir une libre circulation. Nous n’aurons peut-être pas tout à fait une liberté de mouvement, mais quelque chose de très semblable.

Si nous y parvenons... ce serait une véritable réussite. Dans le cas contraire, c’est-à-dire un Brexit dur, avec la sortie de l’UE et la fin de la migration, l’économie mondiale sera perturbée et une partie de l’économie britannique pourrait être détruite.

 

Jeremy Corbyn a été réélu à la tête du Labour Party pour un deuxième mandat en septembre, cette fois face au candidat travailliste Owen Smith. Comment voyez-vous l’avenir du Labour Party, compte tenu du fossé qui se creuse entre la majorité des parlementaires travaillistes et les nouveaux membres du parti ?

Le parti a fondamentalement changé de caractère. Il incarne à présent, très clairement, et en grande partie, la vieille gauche sociale-démocrate, toutefois, parmi ses membres plus jeunes, se dessine une nouvelle gauche plus interconnectée et mondialiste. Avec ces deux gauches, nous sommes en mesure de vaincre la droite néolibérale du parti, à partir du moment où la démocratie est respectée.

Ce que nous souhaitons [en tant que membres et partisans du Labour Party], c’est renforcer l’offre politique pour les personnes qui ont voté en faveur du Brexit. Nous devons leur faire comprendre que le véritable ennemi, c’est l’élite britannique, et que leur ami stratégique, c’est le travailleur migrant.

 

Quelles sont les possibilités de réussite des mouvements européens anti-austérité, au regard de ce qui s’est passé en Grèce avec Syriza, et que vous avez suivi en direct dans votre documentaire #ThisIsACoup, et des difficultés que connaît actuellement Podemos en Espagne ?

L’Union européenne doit être réformée ou disparaître. Le problème pour les partisans de gauche est le suivant : comment réunir les forces pour créer ce que [l’intellectuel communiste italien Antonio] Gramsci appelait « l’hégémonie » [ou la domination idéologique]. Syriza pensait l’avoir fait, et je suis d’avis que, dans des circonstances normales, il aurait pu le faire.

Syriza a remporté 45 % des scrutins, il a appelé à une réforme générale, il a mis la droite de côté et lui a fait perdre du pouvoir. Mais, bien sûr, la droite bénéficiait du soutien énorme de l’élite européenne et cette élite européenne a réussi à anéantir Syriza.

Avec Podemos, le débat porte actuellement sur comment le parti peut gagner du terrain. Selon moi, pour progresser, il faut réussir à capter le centre plutôt que de se consolider comme force de gauche. Podemos doit se projeter dans un mouvement de masse du même genre que celui de Corbyn, et essayer de s’en accommoder, sinon il restera à 20 % des votes.

 

Que pouvez-vous nous dire sur votre modèle de l’après-capitalisme et de l’espace qu’il pourrait occuper dans l’Europe actuelle « impossible à réformer » ?

Mon modèle de l’après-capitalisme est très simple : nous avons un État et un marché, et tous deux peuvent être, dans une certaine mesure, remplacés par un non-marché. [J’entends par là] un troisième secteur qui soit collaboratif et gratuit, dans lequel aucun argent ne circule. C’est ça une véritable économie de partage, pas celle d’Uber.

Les citoyens ont déjà commencé à créer cette économie. Il existe une multitude de projets où les espaces sont gratuits ou dans lesquels la nourriture est partagée. Je veux que le mouvement de masse les reconnaisse, les soutienne et dise : « si nous sommes incapables de résoudre quoi que ce soit avec des impôts et des emprunts, il y a des choses que nous pouvons régler en donnant plus d’autonomie aux communautés locales afin qu’elles puissent subvenir à leurs besoins ».

 

En tant que journaliste, quel rôle les médias peuvent-ils jouer, selon vous, en proposant une perspective progressiste, plus particulièrement au Royaume-Uni ?

Les gens ordinaires doivent coloniser les médias. Les médias sont très légitimes dans la quête de voix authentiques. Pendant le référendum sur le Brexit, des voix racistes et xénophobes ont reçu une certaine légitimité car les voix progressistes et anti-racistes sont restées relativement silencieuses. Je pense que nous [les progressistes] devons élever nos voix.

Nous devons également demander aux médias de refléter la réalité. Dans les années 1930, la plupart des médias avaient commencé à soutenir les politiques de droite alors que la tendance était au fascisme. Certains se sont rendu compte qu’ils allaient trop loin et se sont mis à défendre le libéralisme.

Souvenez-vous, c’était le journaliste du quotidien britannique Times, George Steer, qui couvrait les bombardements nazis sur Guernica, et c’était le journalisme dominant à l’époque. Le problème aujourd’hui, c’est qu’aucune section de l’élite n’a cessé d’être néolibérale. Nous avons besoin d’un nouveau genre de médias qui comprennent que le vieux monde est fini, que le néolibéralisme s’essouffle et que la mondialisation ne peut être sauvée que si nous renonçons à certaines grandes théories économiques néolibérales.