Les Afghanes brisent les barrières avec une chaîne de télévision exclusivement féminine

Les Afghanes brisent les barrières avec une chaîne de télévision exclusivement féminine

Karishma Naaz présente son émission de musique en direct Gamak, sur Zan TV Kaboul, le 28 mai 2017.

(Shadi Saif Khan)
Actualité

Il y a moins de deux décennies, il n’existait aucun média privé en Afghanistan. Aujourd’hui, quelque 76 chaînes de télévision et plus de 100 stations de radio émettent dans le pays.

Parmi elles, Zan TV – qui en dari signifie « La TV des femmes » - une plateforme médiatique unique gérée quasi-entièrement par des femmes, pour les femmes.

Flanquée derrière des rangées de hautes barrières et de murs de sécurité dans le cœur du quartier de Shahr-e-Nau, à Kaboul, cette chaîne de télévision numérique satellitaire fait figure d’exception dans ce pays musulman conservateur qui peine à se relever après plus d’une décennie d’insurrection extrémiste sanglante.

Vêtue d’un costume traditionnel, rayonnante, la jeune présentatrice Karishma Naaz prépare sa très populaire émission de variété musicale Gamak. « Nous avons préparé un programme très spécial pour l’Aïd-al-Fitr [la fête religieuse musulmane qui marque la rupture du jeûne du Ramadan]. Pour cette occasion, nous accueillerons des appels en direct de téléspectateurs et inviterons aussi des artistes et musiciens sur le plateau », a-t-elle indiqué lors d’un entretien avec Equal Times à la fin du mois de mai.

L’émission de Karishma s’inscrit dans le cadre de la stratégie inclusive de la chaîne visant à attirer un public composé de toutes les sections de la société afghane, y compris les jeunes et les moins jeunes, les hommes et les femmes. La musique reste l’une des formes de divertissement les plus populaires en Afghanistan, avec l’émergence de nombreux orchestres at artistes solo depuis la chute du régime taliban en 2001.

Zan TV propose un large éventail d’émissions au cours de ses 18 heures de programmation quotidiennes, des infos à l’actualité, des émissions de cuisine aux affaires religieuses, des débats télévisés aux émissions sportives – avec ceci de différent que les protagonistes sont toujours des femmes.

Zan TV a commencé à émettre le samedi 3 juin 2017, à l’issue d’une période d’essai de trois mois. Elle a commencé avec des moyens relativement modestes, consistant d’un bloc de commande caméra, de deux studios et d’un bureau principal chargé du support technique.

Cette entreprise s’est donné pour mission d’apporter un changement fondamental dans la vie des femmes afghanes, affirme le fondateur de Zan TV, le jeune homme d’affaires Hamid Samar.

« Il s’agit d’une chaîne de télévision consacrée aux femmes et dirigée par des femmes. La plupart des émissions traitent de problèmes auxquels s’affrontent les femmes dans la société afghane », indique-t-il. « Nous fondons de grands espoirs sur ce projet car au cours des 16 dernières années, le rôle des femmes dans les médias n’a pas été évident. Les gens se sont servis de noms de femmes mais n’ont rien fait. Zan TV va enfin fournir aux femmes une plateforme pour mettre en valeur leurs talents », explique-t-il.

« Les femmes sont puissantes »

Bien qu’elle n’ait intégré l’industrie qu’il y a quelques mois, Zan TV compte d’ores et déjà plus de 100.000 abonnés sur Facebook. Zan TV projette aussi de former de jeunes talents féminins aux aspects techniques et éditoriaux de la télévision pour qu’un jour les femmes constituent la totalité des effectifs de Zan TV.

Membre clé de l’équipe de Zan TV, Mehria Afzali, une jeune journaliste pleine de promesse, est déterminée à entrer dans l’histoire de l’industrie. « Certains hommes pensent que les femmes sont uniquement là pour procréer et s’occuper du ménage, ou pour assouvir leurs besoins sexuels, or rien n’est moins vrai. Les femmes peuvent être puissantes et travailler dans les médias. Nous allons leur montrer le pouvoir que nous avons », affirme-t-elle avec emphase.

Toujours est-il qu’après quatre décennies de violence intense, l’Afghanistan reste un des pays les plus meurtriers du monde – surtout pour les femmes. Bien que les Talibans ne soient plus au pouvoir, leurs combattants restent actifs dans certaines parties du pays et la répression brutale à l’égard des femmes constitue une caractéristique centrale de leur règne de la terreur. Par ailleurs, partout en Afghanistan, outre les préoccupations sécuritaires, l’accès aux soins de santé, à l’éducation et aux possibilités d’emploi reste restreint pour les femmes afghanes.

La Commission indépendante des droits de l’homme d’Afghanistan a relevé 2621 cas documentés de violence domestique rien qu’au cours des huit premiers mois de 2016, ce qui représente très probablement une sous-estimation de la réalité, compte tenu de la carence d’informations disponibles. Aussi s’avère-t-il d’autant plus difficile pour les jeunes talents féminins de sortir des quatre murs de leur foyer pour aller travailler dans l’industrie des médias.

Selon l’analyste politique afghan Ashiqullah Yaqub, Zan TV a le potentiel de produire des changements positifs dans la vie des femmes en Afghanistan.

« Voyez-vous, au cours des 15 dernières années, la communauté internationale et les agences humanitaires ont versé des millions et des milliards de dollars pour la reconstruction et le développement social en Afghanistan, cependant l’utilisation et l’octroi de ces fonds n’ont pas été à l’abri de la corruption. Il n’en reste pas moins qu’une chaîne de télévision pour et par les femmes est une idée tout-à-fait unique. À condition d’être correctement gérée, elle pourrait atteindre les points les plus reculés du pays. Elle peut certainement contribuer à sensibiliser l’opinion publique à la situation des femmes et à leurs droits », dit-il.

Promote : Une initiative en soutien à 75.000 femmes et jeunes filles

Un autre programme phare d’autonomisation des femmes actuellement en cours en Afghanistan est l’initiative Promote, de l’agence de coopération américaine USAID, qui a pour vocation de préparer 75.000 femmes afghanes à devenir des leaders dans leurs domaines de spécialisation au cours des cinq prochaines années.

Ce programme de 216 millions USD prétend renforcer le développement de l’Afghanistan en favorisant la participation des femmes à l’économie, en aidant les femmes à acquérir des compétences dans le commerce et le marketing, en soutenant les organisations des droits des femmes et en augmentant le nombre de femmes occupant des postes décisionnels au sein du gouvernement afghan.

« Des progrès énormes ont été accomplis au cours des 11 dernières années en matière de promotion des perspectives des femmes et des filles en Afghanistan », a indiqué Rajiv Shah, un ancien administrateur d’USAID dans un communiqué de presse sur Promote. « Bien qu’il y ait des défis à l’horizon, Promote souligne notre engagement à assurer que les femmes et les filles jouent un rôle majeur dans la définition de l’avenir politique et économique de l’Afghanistan. »

Zan TV espère aussi exercer un attrait sur la communauté de donateurs. « Nos efforts sont largement centrés sur la fourniture de formation technique et éditoriale aux femmes et aux filles, et ce dans le but d’atteindre notre objectif ultime qui est de nous doter d’un personnel à 100 féminin », affirme le fondateur de Zan TV, Hamid Samar.

Il reconnait que la chaîne est pour l’instant fortement tributaire des fonds d’aide mais tel est le cas de la majorité écrasante des chaînes de radio et de télévision en Afghanistan, attendu que l’économie locale n’est pas encore suffisamment robuste pour subventionner l’industrie des médias à l’aide des revenus de la publicité uniquement.

Cependant, la réaction extrêmement positive des femmes et des filles désireuses de travailler pour la chaîne, à laquelle viennent s’ajouter les commentaires positifs émanant, à la fois, de la communauté des donateurs et des téléspectateurs encourage le personnel de Zan TV à envisager le futur avec optimisme.

« Je sais que nous avons démarré [cette chaîne de TV] dans un contexte extrêmement difficile », affirme Samar. « Nous savons aussi que c’est difficile à gérer mais nous avons espoir que cette chaîne deviendra dans quelques années l’une des principales chaînes de télévision du pays. C’est la vision et la mission de Zan TV et chaque personne qui y travaille s’est fixé des objectifs pour avancer dans cette optique », dit-il.

Les défis restent, néanmoins, considérables. À quelques jours du lancement officiel de Zan TV, un attentat au camion piégé dans la capitale afghane a fait au moins 150 morts et plus de 400 blessés. Il s’agissait de l’attentat le plus meurtrier de l’histoire de Kaboul, qui visait l’enclave diplomatique située à moins d’un kilomètre des bureaux de Zan TV, soulignant une fois de plus le sinistre danger auquel les femmes et les filles sont exposées au quotidien dans leur lutte pour le progrès.

Cet article a été traduit de l'anglais.