Les demandeurs d’asile africains à Malte font face à un avenir incertain

« Je ne suis pas venu ici pour m’enrichir ou pour l’argent... parce que quand vous êtes en sécurité, votre vie est en sécurité, » déclare Sarjo Cham, âgé de 24 ans, en réexaminant son long voyage depuis l’Afrique de l’Ouest jusqu’à Malte pendant une courte pause entre son travail et ses études à temps partiel dans une école supérieure locale. Parlant l’anglais couramment et étudiant pour une licence en marketing, il est mieux loti que la plupart des demandeurs d’asile déboutés à Malte et pourtant son insécurité juridique, le traitement discriminatoire et les nombreuses microagressions dont il fait l’objet empêchent Sarjo de pouvoir aller de l’avant dans sa vie.

Fait assez singulier dans l’Union européenne, Malte permet à toute personne ayant suivi la procédure de demande d’asile d’y travailler, et ce, même si sa demande a été rejetée. Sa couverture de soins de santé pour tous et la gratuité de l’enseignement public jusqu’à l’âge de 16 ans contribuent à atténuer certains des problèmes auxquels les demandeurs d’asile sont confrontés ailleurs. Pendant un an (ce qui est généralement suffisant pour le traitement de leur dossier), les demandeurs d’asile ont la possibilité de vivre dans des logements institutionnels. Ils sont ensuite contraints de se débrouiller seuls sur le difficile marché maltais de la location immobilière où seules les personnes titulaires du statut de réfugié pouvant prétendre à un logement social ou à des subventions de loyer.

La recherche d’emploi se révèle également difficile et nombreux sont ceux qui acceptent des offres d’emploi informelles.

Malgré le rejet de sa demande d’asile, Sarjo, par exemple, peut travailler à Malte tant qu’il aura un employeur disposé à demander un visa de travail en son nom. Cependant, il s’agit d’une procédure qui doit être répétée tous les trois mois en attendant que le migrant parte volontairement ou qu’il soit expulsé.

L’expulsion est cependant improbable pour les centaines de demandeurs d’asile déboutés, et ce, en raison de l’absence de relations diplomatiques entre Malte et les pays d’Afrique subsaharienne et du manque de coopération de la part des administrations locales. Bien que le plus grand nombre de demandes d’asile à Malte émanent de citoyens de Syrie, de Libye, de somalie, d’Érythrée et d’Irak, de nombreux demandeurs d’asile sont originaires de pays dont les citoyens ne sont pas considérés comme ayant besoin de protection, en particulier en Afrique subsaharienne.

Pas de retraite ni de droits au chômage

D’après les données les plus récentes récoltées en 2016, Malte a reçu 1928 demandeurs de protection internationale et 243 demandeurs d’asile ont été déboutés ; toutefois, seules 14 personnes ont été expulsées. En 2008, pas moins de 1281 demandeurs ont reçu une décision négative. Cela signifie qu’ils sont sous le coup d’un ordre de rapatriement et peuvent être renvoyés à tout moment. Il est possible d’interjeter appel, mais une fois cette possibilité épuisée, comme dans le cas de Sarjo, la décision est définitive.

Les demandeurs d’asile déboutés doivent s’acquitter de frais d’inscription hors UE pour leurs études et il y a peu de chance que leur situation se régularise, et ce, même après plusieurs années passées à vivre, à travailler et à payer des impôts à Malte. Selon JobsPlus, l’agence nationale pour l’emploi, 173 réfugiés, 1020 bénéficiaires d’autres formes de protection et 638 demandeurs d’asile travaillaient légalement en décembre 2016.

Les sentiments qu’éprouve Sarjo au sujet de sa vie dans l’archipel méditerranéen sont aussi tempérés que la brise hivernale qui souffle dans la station balnéaire où il vit et travaille.

En 2012, il s’enfuit de sa Guinée-Bissau natale, un pays dont l’indice de développement humain et le PIB figurent parmi les plus faibles au monde, alors que le pays était secoué par un coup d’État militaire, que la Constitution était suspendue et que de puissants narcotrafiquants latino-américains jouissaient d’impunité. Il rejoignit l’Europe en traversant une Libye déchirée par la guerre avant d’arriver enfin à Malte en 2013.

Or, malgré le fait qu’il travaille et paie des impôts à Malte, Sarjo n’accumule pas de prestations de retraite ou de chômage. Sans papiers officiels, il n’a pas le droit d’ouvrir un compte en banque et donc, après déduction fiscale, il est payé en espèces. Et bien que disposant de l’argent suffisant pour subvenir à ses besoins, Sarjo est dans l’impossibilité de mener une vie sociale à part entière.

Ce chef de cuisine et étudiant en marketing montre son unique pièce d’identité – un document de la police imprimé sur une feuille jaune qu’il a reçu lorsqu’il s’est enregistré pour la première fois comme demandeur d’asile à Malte. C’est ce document qu’il utilise lorsqu’il a affaire aux autorités maltaises. « Sans la carte d’identité maltaise, vous ne pouvez pas entrer dans les clubs. Parce que quand ils te voient, ils voient d’abord ta couleur [de peau]. Ils pensent : “Il pourrait s’agir d’un migrant, il pourrait être ceci, il pourrait être cela ; où est ta carte d’identité ?” C’est mieux si je ne m’approche pas. »

Détention automatique

À son arrivée à Malte il y a cinq ans, l’État appliquait toujours une politique de détention automatique des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile. De ce fait, Sarjo dut passer neuf mois en prison. Mais à la suite des changements de politique intervenus en 2014, la détention automatique fut entièrement supprimée en 2016 afin de se conformer aux directives de l’UE. Les demandeurs d’asile sont désormais placés dans des logements institutionnels et peuvent se déplacer librement à l’intérieur du pays.

« C’est utile pour persuader les [migrants] qu’ils doivent rentrer chez eux... c’est utile pour qu’ils contactent leurs proches et leur disent : “Écoutez, ne venez pas à Malte parce que c’est terrible ici”, » déclarait en 2009 un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères à Cetta Mainwaring, chercheuse de l’Université d’Oxford. Ce type d’attitude a contribué à façonner la perception populaire des migrants. Les migrants et les demandeurs d’asile sont généralement considérés comme une menace à la sécurité par le grand public, comme en témoignent les récentes tentatives du gouvernement actuel visant à autoriser les refoulements en mer.

Mainwaring et d’autres chercheurs ont rappelé que la plupart des migrants n’ont pas le privilège de pouvoir planifier et choisir l’itinéraire vers l’Europe. Même si Malte dispose désormais d’une politique d’intégration pour les migrants, les organismes chargés de l’égalité des chances mettent en garde contre les obstacles socio-économiques et la mauvaise intégration sociale qui continuent de faire du tort aux migrants et aux demandeurs d’asile, qui ne reçoivent aucune aide pour faire face au traumatisme causé par ce qui les a poussés à fuir leur pays d’origine ou à entreprendre leurs périlleux voyages vers la sécurité.

Une récente enquête menée auprès de 72 ménages de migrants par le Service jésuite des réfugiés et la Fondation Aditus a révélé qu’à peine un quart des chefs de ménage travaillaient à temps plein et que le revenu moyen des familles de l’échantillon était inférieur au seuil de pauvreté de Malte qui s’élève à 7672 euros (environ 9340 dollars US) par an. Près d’un tiers ne pouvaient pas se permettre de chauffer leur maison en hiver et la moitié se plaignait du manque d’espace dans leur logement. Les médias locaux ont fait état de migrants africains contraints de vivre dans des garages en raison de la discrimination raciale pratiquée par les propriétaires.

Régine Psaila, qui dirige Migrant Skills Register (Registre des compétences des migrants), un service de placement à but non lucratif ciblant les migrants africains, peine à garder le moral.

« Aujourd’hui, je peux dire que sur les 30 personnes que nous avons placées, il n’y en a plus que cinq qui sont encore employées. Les autres sont parties. C’est ça la vie des demandeurs d’asile à Malte. Ils ne restent pas très longtemps et il y a beaucoup de précarité. »

Sa base de données contient près de 300 candidats pleins d’espoir et de nombreux employeurs intéressés, mais le manque de confiance constitue un obstacle d’un côté comme de l’autre.

« Les employeurs vous disent qu’ils ne parlent pas la langue, qu’ils n’ont pas les compétences nécessaires ou encore qu’ils n’ont pas l’éthique professionnelle, qu’ils arrivent en retard, qu’ils ne se présentent pas au travail ou que vous ne pouvez pas compter sur eux. Les demandeurs d’emploi, eux, vous disent qu’ils ne sont pas rémunérés conformément à ce qui leur avait été indiqué ou qu’ils ont été rétrogradés. L’un est engagé comme plâtrier et on lui dit de transporter des pierres, de faire du sale boulot. On ne les respecte pas. » Pendant ce temps-là, le gouvernement prétend qu’il faudrait faire venir plus de 30.000 nouveaux travailleurs migrants depuis d’autres pays européens afin d’aider à combler les pénuries de main-d’œuvre de l’économie maltaise en plein essor.

On voit des hommes africains sur presque tous les chantiers de construction qui prolifèrent à Malte et l’industrie du tourisme recrute des femmes pour les travaux de nettoyage. On trouve également des migrants africains qui travaillent dans le secteur agricole, la collecte des ordures et d’autres emplois peu rémunérés et peu qualifiés. « Le peu d’argent qu’ils ont, ils en mettent toujours un peu de côté [pour les envois au pays], » observe Psaila. Sarjo se demande avec anxiété s’il ne vaudrait pas mieux qu’il rentre chez lui.

Au cours de son séjour à Malte, la démocratie a été restaurée en Guinée-Bissau et en Gambie, où vit la famille de Sarjo, la dictature de Yahya Jammeh a chuté. Mais un retour en arrière ne serait pas non plus évident pour Sarjo.

« Vous êtes dans une culture différente, vous êtes dans un environnement différent, de sorte que c’est la seule chose qui vous rattache à un système totalement différent de celui d’où vous venez. Mais lorsqu’ils vous refusent [le droit de rester] et continuent de vous maltraiter, vous êtes finalement forcés de battre en retraite et d’y retourner. Mais se réinsérer dans cette société-là, cela prend aussi du temps. »