Les élèves philippins sont des rouages essentiels de la machine éducative privée

Opinions

En septembre 2015, alors que les Nations Unies convenaient que l’éducation primaire et secondaire devait être gratuite, les Philippines prenaient la direction opposée en externalisant l’enseignement secondaire à des sociétés à but lucratif.

« Payer pour apprendre » semble être leur postulat.

Dans une étude commissionnée par l’Internationale de l’Éducation, le chercheur Curtis Riep montre comment les autorités vendent le droit à l’éducation, livrant les espoirs des adolescents philippins à la merci du marché.

Dans les nations les plus pauvres, l’éducation dite « low cost » coûte de plus en plus cher pour celles et ceux qui ne peuvent pas se l’offrir. Les responsables philippins expliquent que les coffres de l’État ne sont pas assez remplis pour soutenir un système d’enseignement secondaire gratuit de qualité. Selon l’enquête, rien ne justifie cette affirmation.

Aux Philippines, 40 % des écoles secondaires, soit 5130 établissements sont privatisés. Ces écoles exigent des frais d’inscription qu’elles prétendent bas, mais qui restent trop élevés pour la plupart des élèves des foyers à faible revenu. Les frais annuels s’élevant souvent à plus de 500 dollars US, ces établissements sont inaccessibles pour la majorité des enfants des familles pauvres qui, pour la plupart, vivent avec à peine un dollar par jour.

Dans son étude, Curtis Riep explique clairement que la décision du gouvernement de sous-traiter son enseignement secondaire aux plus offrants relève plus d’une décision stratégique que d’une obligation financière. Le choix d’écoles « low cost » à but lucratif semble s’inscrire dans un plan économique destiné à former des consommateurs plutôt que des citoyens et à garantir la souplesse du futur salariat pour répondre aux besoins du marché en main-d’œuvre peu onéreuse.

Depuis 2009, les fonds alloués par le gouvernement au financement des chaînes d’écoles privées n’ont cessé d’augmenter pour atteindre 31 milliards de pesos philippins – soit près de 700 millions de dollars US –, qui, selon Curtis Riep, auraient pu permettre l’ouverture de 60.000 salles de classe supplémentaires et l’accueil quelque trois millions d’élèves.

Pearson Plc et le groupe Ayala, qui soutiennent les Centres d’éducation privée à prix abordable (APEC pour Affordable Private Education Center), figurent au nombre des bénéficiaires de l’aide financière des autorités dénoncés dans l’étude. Le groupe Ayala, qui contrôle une multitude de sociétés aux Philippines et dans le monde entier, a la mainmise sur le programme de ses écoles « low cost » à but lucratif et peut ainsi former des travailleurs disposant des compétences adaptées à ses besoins en main-d’œuvre.

Ayant la réputation d’appliquer le concept de rétro-ingénierie aux programmes de ses écoles, les APEC s’emploient à créer une génération de travailleurs « avec des compétences, des valeurs et des connaissances qui pourront être employées sur le marché mondial du travail ». Les esprits libres n’ont pas leur place dans les APEC.

 

Dépenses en hausse

À la fin de 2016, les écoles APEC misent sur l’accueil de 4000 élèves, ou « clients » comme elles les appellent, dans au moins 50 établissements au cours des trois prochaines années. Rien qu’à Manille, le nombre d’écoles « low cost » à but lucratif devrait doubler et atteindre 24 établissements à la fin de cette année.

Le gouvernement philippin a récemment annoncé qu’au moins 5800 écoles dans tout le pays proposeront désormais un enseignement pour les deux dernières années du secondaire (enseignement secondaire du deuxième cycle). C’est une étape importante pour le pays et ses enfants. Toutefois, si l’on veut pleinement tirer profit ces deux années, les autorités philippines doivent consacrer davantage de moyens à l’éducation.

Au niveau mondial, il est recommandé que les gouvernements investissent six pour cent de leur PIB et 20 % du budget national à l’enseignement. Les Philippines sont toujours loin de cet objectif, consacrant moins de trois pour cent à l’éducation.

Alors que le gouvernement prétend déjà ne pas disposer des capacités financières pour l’enseignement secondaire, comment prévoit-il de financer deux niveaux supplémentaires d’éducation obligatoire ? Le travail de Curtis Riep montre précisément comment il y parvient en recourant au secteur privé.

Même si le président philippin, Benigno S. Aquino III, explique qu’il faut prévoir deux années supplémentaires d’éducation pour préparer plus de jeunes à des emplois de haut niveau, il convient de garder à l’esprit le nombre d’employeurs reliés au réseau des sociétés du groupe Ayala.

Il existe un consensus international pour dénoncer l’éducation à but lucratif. « Faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons suivent, sur un pied d’égalité, un cycle complet d’enseignement primaire et secondaire gratuit et de qualité » est l’un des principaux objectifs de développement durable établis par l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre.

Pourtant, au lieu de bénéficier d’une éducation gratuite de qualité, les jeunes philippins doivent payer pour une version au rabais. L’enseignement privé « low cost » a un prix que les Philippines, ses adolescents et son avenir ne peuvent se permettre. Il est temps que le gouvernement philippin entende raison.