Les familles des mineurs abattus à Marikana ne renonceront pas à leur lutte pour la justice

Les familles des 34 mineurs en grève abattus par la police sud-africaine dans le pire massacre que le pays ait connu depuis Sharpeville intenteront des poursuites civiles et privées contre le géant minier du platine Lonmin, le vice-président de l’Afrique du Sud Cyril Ramaphosa et l’ancien ministre de la Police Nathi Mthethwa, a annoncé la Marikana Support Campaign (MSC).

«Alors que des consultations sont en cours entre les familles et leurs avocats pour parvenir à une décision définitive, ce qui est sûr c’est qu’il y aura des poursuites civiles et privées », a déclaré le cinéaste Rehad Desai, réalisateur du très acclamé documentaire Miners Shot Down [en français, mineurs abattus] et membre de la MSC.

L’annonce fut suivie de près de la nouvelle que les Economic Freedom Fighters (Combattants pour la liberté économique), le parti politique fondé par l’un des anciens piliers de l’ANC, Julius Malema, a engagé des poursuites au pénal contre les parties susmentionnées, de même que contre l’ancien ministre des Mines Susan Shabangu, le commissaire de la police nationale Riah Phiyega et le commissaire de police de la province du Nord-Ouest, aujourd’hui retraité, Zukiswa Mbombo.

Les chefs vont du complot en vue de commettre un meurtre à la tentative de meurtre et au meurtre.

Le 16 août 2012, 34 mineurs ont été abattus par les forces de sécurité à Marikana, près de la ville de Rustenburg, alors qu’ils participaient à un mouvement de grève qui revendiquait un salaire vital de 12.500 rands (approximativement 1500 USD).

Dans le courant du même mois, dix autres hommes ont été tués, dont trois par la police, à l’issue de violences liées à la grève.

Par ailleurs, plus de 70 autres personnes ont été blessées et un nombre important de mineurs arrêtés.

À l’époque des faits, Cyril Ramaphosa était directeur et l’un des principaux actionnaires chez Lonmin ; Nathi Mthethwa occupait, lui, les fonctions de ministre de la Police.

L’annonce de la MSC est intervenue après que la Farlam Commission, chargée de l’enquête sur le massacre, ait rendu publiques ses conclusions.

Les familles des mineurs abattus ont été amèrement déçues à la fois par sa conduite et par ses conclusions, ne serait-ce qu’en raison du non-respect du préavis d’au moins 48 heures antérieur à la sortie du rapport qui leur avait été promis.

De manière cruciale, en indiquant parmi ses conclusions qu’ « il aurait été impossible de désarmer et disperser les grévistes sans un effusion de sang considérable », le rapport exonère de fait Lonmin et les principaux acteurs de la chaîne de commandement de toute responsabilité dans le carnage.

Et quand bien même la Commission a recommandé une enquête judiciaire aux fins de déterminer la responsabilité individuelle des policiers dans les cas de mort d’homme, « le ton général du rapport tend résolument à diffamer les grévistes », estime la MSC.

D’autre part, la MSC a indiqué que les familles des mineurs se préparaient à intenter un procès pour diffamation contre le président Jacob Zuma, suite à sa déclaration que les mineurs avaient été tués pour empêcher que d’autres gens soient tués.

 

Une parodie de justice

La MSC a, par ailleurs, qualifié le rapport de profondément décevant, évoquant « une parodie des soi-disant processus de justice en Afrique du Sud », avec des conclusions qui sont en contradiction avec les preuves disponibles.

« L’ouverture d’une commission d’enquête constituait en soi un compromis maladroit dès lors que des arguments solides pesaient à l’encontre des parties impliquées, notamment Nathi Mthethwa, Cyril Ramaphosa, Susan Shabangu et les responsables de Lonmin », a déclaré Desai à Equal Times.

Jim Nichol, avocat basé à Londres qui représentait certaines des familles au sein de la Commission partageait l’indignation de la MSC concernant les conclusions du rapport.

« Partant des preuves présentées à la Commission, il était évident que la stratégie des mineurs était de négocier avec l’entreprise et que l’entreprise voulait briser la grève, ce dont [le juge] Farlam n’a pas tenu compte en raison de ses propres convictions politiques. »

Et de poursuivre : « La conclusion selon laquelle le massacre était le résultat d’une mauvaise gestion et d’une mauvaise communication entre les grévistes et Lonmin n’explique pas pourquoi le matin du 16 août, des hauts responsables de la police ont commandé quatre camions mortuaires et 4000 mitraillettes supplémentaires. »

Nichol a fait ces commentaires lors de son intervention à un séminaire concernant le rapport, organisé par l’Alternative Information and Development Centre.

Nichol a aussi fustigé le juge Ian Farlam pour avoir manqué de tenir compte des preuves accablantes d’ingérence politique par Ramaphosa et Mthethwa.

Les seules hautes personnalités impliquées dans l’enquête, dont le coût est estimé à 153 millions de rands (approximativement 12,3 millions USD), étaient Mbombo et Phiyega.

 

« Déplacées et fâcheuses »

Le rapport accuse les responsables de l’Association of Mineworkers and Construction Union (Amcu) de manquer d’exercer un contrôle effectif et de manquer de veiller à la conduite licite des grévistes – des accusations que l’Amcu a qualifiées de « déplacées et fâcheuses ».

Pour sa part, le porte-parole du National Union of Mineworkers, Livhuwani Mammburu, a indiqué que son organisation examinerait les conclusions attentivement, pour s’assurer qu’il n’y ait « pas d’autre Marikana ».

Il reste à Lonmin à répondre au rapport, qui a conclu que l’entreprise avait manqué d’apporter une solution effective à la flambée de violence en insistant que les travailleurs non grévistes continuent de travailler – sans toutefois leur offrir la moindre protection.

La Commission a aussi critiqué la société qui, de 1999 à 2012, a rapatrié des bénéfices estimés à au moins 400 millions de rands (environ 31,9 millions USD) annuellement vers les Bermudes, se soustrayant, par-là même, à l’impôt sur les sociétés en Afrique du Sud, pour la manière insatisfaisante dont elle a mis en œuvre ses obligations aux plans social et de l’emploi.

Selon un récent rapport de l’AIDC, Lonmin n’aurait construit que trois maisons modèles alors qu’elle se trouvait en obligation de construire 5500 maisons pour ses travailleurs au cours d’une période de cinq ans.