Les journalistes afghans luttent pour la liberté des médias malgré un attentat terroriste

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Les médias afghans restent sous le choc de l’attentat terroriste sanglant dans lequel sept journalistes ont été massacrés par des militants talibans à Kaboul.

Le 20 janvier 2016, une camionnette appartenant au plus grand réseau de télévision du pays, Tolo TV, ramenait des employés chez eux après le travail quand un kamikaze au volant d’une voiture bourrée d’explosifs a percuté leur véhicule de plein fouet.

Sept employés de la firme privée MOBY, propriétaire de la chaîne Tolo TV, de même qu’un policier ont été tués. L’attentat a eu lieu à proximité de l’ambassade russe. 25 civiles ont également été blessés.

Les Talibans ont très vite revendiqué la responsabilité du massacre, se targuant de « remplir leur promesse de cibler Tolo TV, le plus grand réseau de télévision du pays, pour promouvoir l’obscénité, l’irréligiosité, la culture occidentale et la nudité », selon un communiqué diffusé au lendemain de l’attentat par sa branche média.

Ils ont, par ailleurs, décrit Tolo TV comme un « objectif militaire » légitime.

En octobre dernier, les Talibans ont menacé des journalistes de Tolo TV et 1TV, autre chaîne de télévision populaire, pour avoir diffusé des allégations de violations des droits humains par des combattants talibans lors de la bataille de Kunduz – ville du nord du pays brièvement capturée par des combattants talibans en 2015.

Mariam Ibrahimi, âgée d’une vingtaine d’années, se trouvait parmi les victimes de l’attentat contre le minibus le 20 janvier. Deux autres femmes ont également été tuées.

Lors d’un entretien avec Equal Times, des amis et des proches ont décrit madame Ibrahimi, qui travaillait dans le département des doublages mais était aussi une militante pour la paix, comme une jeune femme promise à un bel avenir. « Pour le restant de nos jours nous ne pourrons jamais l’oublier », a dit son ami Roshan Mohseni.

Mehri Azizi est une autre jeune femme qui a perdu la vie dans l’attentat. Âgée de seulement 22 ans, elle travaillait dans le département de graphisme et était sur le point de célébrer ses fiançailles quelques jours plus tard.

Les autres employés de Tolo TV qui ont perdu la vie aux côtés d’un policier dont l’identité n’a pas encore été révélée s’appelaient Mohammad Jawad Hussaini, Zainab Mirzaee, Mohammad Hussain, Mohammad Ali Mohammadi et Hussain Amiri.

Mais malgré le deuil national et la condamnation internationale, les Talibans restent impénitents. « Les condamnations de l’ambassade des États-Unis, d’Ashraf Ghani [président], d’Abdullah [chef de l’exécutif], de Dostum [vice-président] et d’autres figures et organisations « insignifiantes » ne pourront jamais venir à bout de notre détermination, tout comme la propagande et les avertissements diffusés par les médias ne pourront nous écarter du droit chemin », a affirmé le porte-parole des Talibans, Zabihullah Mujahid, dans un communiqué adressé aux médias suite à l’attentat.

 

Menaces constantes

L’Afghanistan a longtemps été l’un des pays les plus dangereux du monde pour l’exercice du métier de journaliste. Outre les menaces et la violence qu’ils subissent de la part des Talibans, les journalistes sont aussi à la merci d’autorités et de chefs de guerre corrompus.

Mais malgré les menaces incessantes, la détermination des journalistes afghans ne semble pas près de fléchir. Pour Hussain Rasuli, un jeune journaliste entré dans la profession il y a près de trois ans, renoncer n’est pas une option.

« Face à autant de pressions et de menaces tout au long de notre existence, nous sommes amenés à partager ces défis en tant qu’amis et collègues. Nous restons dévoués à notre profession car nous voulons que les choses changent », a-t-il dit.

Il y a un peu plus d’une décennie, le pays était uniquement desservi par la chaîne officielle de l’État, Radio Television Afghanistan. Aujourd’hui, l’Afghanistan compte au moins 54 chaînes de télévision et plus de 160 stations de radio. Après avoir attendu aussi longtemps pour la pluralité des médias, le peuple afghan est déterminé à ne pas la lâcher.

La très énergique société civile et les nombreux syndicats et associations de journalistes sont décidés à relever le défi que représente la défense de la liberté d’expression et la liberté de presse dans ce pays dévasté par la guerre.

Human Rights Watch (HRW) a dénoncé sans ambages la tragédie du 20 janvier comme une atrocité destinée à affaiblir la liberté des médias naissante en Afghanistan.

« Le ciblage de journalistes reflète une stratégie perverse qui vise à faire de la liberté des médias une victime du conflit en cours », a remarqué Patricia Grossman, chercheuse principale sur l’Afghanistan auprès d’HRW.

« Les journalistes et autres civils ne deviennent pas des objectifs militaires pour le simple fait d’être désignés comme tels, et des attaques délibérées contre eux constituent un crime de guerre », a-t-elle indiqué, déplorant les menaces et les violences croissantes émanant d’acteurs étatiques et non étatiques au cours des dernières années.

Seddiqullah Tauhidi, directeur de la principale organisation de défense des médias du pays Nai (acronyme pour soutien aux médias libres en Afghanistan) a indiqué lors d’un entretien avec Equal Times que les médias indépendants en Afghanistan sous soumis à de terribles pressions sociales, économiques et politiques.

« À travers de telles attaques, les Talibans veulent effrayer et empêcher les journalistes de rapporter la vérité et d’exposer leur barbarie. Mais ça, ils peuvent toujours espérer », dit-il.

Déplorant le manque de protection et les salaires médiocres offerts aux journalistes afghans, il tient aussi le gouvernement responsable pour manquer de garantir la sécurité des médias figurant sur la liste des cibles des Talibans.

L’Afghanistan Journalists’ Federation (AJF) a désigné la journée du 20 janvier comme le « mercredi noir » ou « Black Wednesday » en anglais. « Ça a été un incident horrible dans l’histoire de notre pays et nous devons nous unir contre de tels actes violents inhumains contre des civils en élaborant une stratégie nationale en réponse à de tels défis », a déclaré le président de l’AJF, Rahimullah Samandar.