Les journalistes thaïlandais soumis à une pression croissante

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Depuis le coup d’État militaire de mai dernier, les indices de liberté de presse en Thaïlande sont en chute libre. Le leader de la junte, Prayuth Chan-ocha, a provoqué un tollé international le 25 mars 2015 lorsqu’il a déclaré avec désinvolture qu’il « exécuterait probablement » les journalistes qui « ne rendaient pas compte de la vérité ».

La déclaration, que la Fédération internationale des journalistes et le Syndicat national thaïlandais des journalistes (NUJT) ont qualifié de « déplorable », est une illustration claire de la répression débridée déployée par le pouvoir militaire contre la dissidence et la liberté d’expression.

Plus récemment, Prayuth a déclaré devant la presse : « Je les ferai taire [les médias] s’ils ne disent rien de bon…. Je n’ai fermé aucune publication jusqu’à présent mais s’il vous plait, présentez bien les choses. S’ils n’ont rien de bon à dire, je devrai le faire. »

La levée de la loi martiale le 1er avril 2015, près d’un an après le putsch qui a destitué le Premier ministre Yingluck Shinawatra, le 22 mai 2014, a peu fait pour désamorcer les tensions : Les critiques affirment que la nouvelle constitution provisoire attribuera à l’armée des pouvoirs illimités et lui permettra d’interdire toute publication jugée « nuisible à la paix et à la stabilité nationale ».

Sur place, la Thai Journalists Association (TJA), le National Press Council of Thailand, la Thai Broadcasting Journalists Association (TBJA) et le News Broadcasting Council of Thailand ont émis un communiqué conjoint où ils font part de leur profonde préoccupation et invitent la junte militaire à « établir des règles, des lignes directrices et des procédures clairement définies à l’intention des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions ».

Mais déjà avant le coup d’État, les journalistes en Thaïlande étaient sur la corde raide, pris entre les puissants milieux d’affaires et un paysage politique complexe fait de populistes, de royalistes et de militaires.

Le gouvernement élu qui a précédé le coup d’État était, lui-même, déjà en train de museler les médias de l’opposition ; en effet, un rapport publié par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) signalait que la justification officielle avancée pour les restrictions à la presse était que des médias partisans peuvent inciter à la violence.

Dans un entretien avec Equal Times, Shawn Crispin, représentant principal du CPJ pour le Sud-est asiatique, a déclaré : « l’offensive contre la liberté de presse en Thaïlande a coïncidé avec l’élection de l’ancien Premier ministre, Thaksin Shinawatra [le frère de Yingluck], qui a usé de pressions et de menaces sans précédents contre les médias durant ses six années au pouvoir [2001-2006]… Cette tendance s’est poursuivie au cours des administrations pro et contre Thaksin qui se sont succédé au pouvoir. »

La Loi sur les crimes informatiques (Computer Crimes Act) de 2007 a, par exemple, permis de délivrer des peines de prison pour la divulgation d’informations qui menaçaient la sécurité nationale ou pouvaient être considérées comme un affront à la monarchie.

La CPJ a aussi réuni des preuves documentées de cas d’incarcérations de journalistes et d’au moins quatre meurtres de reporters entre 2010 et 2012.

Le président du NUJT, Sumeth Somkanae déplore, cependant, le fait que les organes de presse nationaux ne soient pas consultés plus systématiquement lors des enquêtes internationales sur la liberté de presse.

« Au niveau international, l’attention tend à être centrée sur les cas de lèse majesté. S’il est vrai que des sites web sont fermés s’ils insultent la famille royale, ils le sont tout autant, et régulièrement, pour diffusion de contenus sexuellement explicites ou illégaux », ajoute-t-il, laissant sous-entendre que plus d’attention devrait accordée au niveau international aux pressions exercées par les milieux officiels et les milieux d’affaires contre les journalistes en Thaïlande.

Et Crispin d’ajouter que le Premier ministre déchu Thakshin Shinawatra et les gouvernements qui lui ont succédé se sont montrés « particulièrement abusifs », se servant de la publicité faite aux entreprises de l’État pour s’assurer la complicité des médias.

Alors que les associations de journalistes protègent des professionnels établis des médias, qui subissent principalement des menaces de responsables locaux, tout paraîtrait indiquer que les médias semi-professionnels et les bloggeurs soient les principales cibles des sanctions punitives imposées par le gouvernement central.

 

La course aux obstacles juridiques

Chutima Sidasathian, reporter au journal local de langue anglaise Phuketwan a appris, à ses dépens, les limites auxquels sont tenus les médias.

Elle fut incarcérée pour son travail d’investigation sur le lien entre la marine thaïlandaise et le trafic de boat people Rohingya. Bien qu’elle fût subséquemment libérée sous caution, Chutima est désormais poursuivie en justice.

« Je m’apitoie sur mon sort mais je considère qu’il est de mon devoir de me battre pour mon pays », dit-elle. « Je dis à mes collègues, hé, vous êtes des journalistes. Vous devez faire preuve de courage. »

La TJA cite toute une litanie de cas similaires d’intimidation de journalistes, comme celui d’un explosif lancé dans une rédaction ou d’un incendie criminel contre la voiture d’un journaliste – des délits pour lesquels personne n’a été condamné jusqu’à présent.

« Malheureusement, les procédures judiciaires en Thaïlande sont plutôt lentes », signale Pramed Lekpetch, vice-président de la TJA, « mais au moins, la TJA peut fournir un soutien juridique et donner de la visibilité aux journalistes affectés ».

Rangsee Limpichotikul, un reporter du Daily News qui a écrit de nombreux articles sur le cas d’un activiste Karen porté disparu depuis l’année dernière se dit inquiet pour sa propre sécurité.

« Je dois changer de voiture à chaque fois que je vais rencontrer mes sources, pour être sûr de ne pas être suivi », explique-t-il à Equal Times.

Selon Niramol Prasansuk, directrice de la TBJA, les menaces téléphoniques, les poursuites ou les brimades à l’encontre de patrons de médias sont les principaux types de pressions subies par les journalistes qui couvrent la corruption, les droits humains et les questions environnementales.

« Le journalisme d’investigation est coûteux et risqué », dit-elle, mais son association soutient les reporters d’investigation en leur fournissant l’arme imparable de la publicité – prix, déclarations de soutien et possibilités de réseautage.

Autre grande préoccupation du moment, l’autocensure croissante et le parti-pris politique chez les journalistes locaux, dont certains ne travaillent pas en tant que journalistes à temps complet et peuvent recourir à des sources douteuses.

Un rapport de la Southeast Asian Press Alliance explique que beaucoup de journalistes sont pris dans l’étau de la polarisation politique, entre le gouvernement et l’opposition.

Le président du NUJT estime, pour sa part, que la lenteur des processus de syndicalisation, entravés par les patrons du secteur des médias, est un autre obstacle majeur à la liberté de presse.

Pour l’heure, les associations peuvent uniquement offrir leurs services aux journalistes établis, travaillant à plein-temps, et sont encore en train de plancher sur un cadre qui leur permette de venir en aide aux journalistes freelance et aux journalistes moins reconnus.

 

Le reportage et les déplacements de Daiva Repeckaite en Thaïlande étaient parrainés par Minority Realities in the News, un programme financé par l’UE. .