Les paysans de Sierra Leone en lutte contre l’accaparement de leurs terres par des multinationales

Un ex-député au parlement de Sierra Leone a parlé de sa détermination à mettre fin à ce qu’il nomme les « transactions en sous-main » passées entre les autorités et les exploitants multinationaux d’huile de palme dans son pays.

Malgré les amendes et les menaces de prison qui pèsent sur lui pour son rôle dans l’abattage de 40 palmiers à huile dans un acte de désobéissance civile en octobre 2013, Shiaka Sama affirme que les protestations se poursuivront jusqu’à ce que les propriétaires locaux n’obtiennent justice.

« Nous savons que les poursuites n’étaient rien qu’un prétexte pour arrêter et incarcérer, voire humilier les leaders de notre organisation », a déclaré Sama, le porte-parole de l’association des propriétaires affectés de Malen (Malen Affected Land Owners and Users Association, MALOA).

En février, Sama et cinq autres membres de MALOA ont été sommés par le Tribunal national de grande instance de payer des amendes de 210 millions de leones (approximativement 40.000 USD), sous peine d’incarcération de cinq à six mois. Étant considéré comme le dirigeant du groupe, Sama s’est aussi vu inculper du chef d’incitation.

Il a cependant rejeté tous ces chefs et interjeté appel devant le tribunal avec cinq des ses camarades du MALOA. « Nous voulons des investisseurs. Nous sommes confrontés à des gens qui accaparent toutes nos terres sans notre consentement. »

Face aux ravages provoqués par des années de guerre civile et le virus Ebola, le gouvernement de Sierra Leone est d’autant plus soucieux d’attirer des capitaux étrangers pour aider à reconstruire le pays. Selon les paysans, toutefois, une partie de cet investissement se décline sous forme d’expropriations forcées.

 

« Une longue liste de griefs »

En 2011, la société Socfin Agricultural Company Sierra Leone Ltd. (filiale de la Société financière des caoutchoucs (Socfin), multinationale basée au Luxembourg), a obtenu un bail d’exploitation de 50 ans sur 6.500 hectares de terres agricoles de qualité pour y installer des plantations de caoutchouc et de palmiers à huile. Ces terres se situent sur le territoire de la chefferie de Malen, dans le district de Pujehun, dans le sud du pays.

Selon des militants, l’accord a été conclu entre le chef suprême des Malen, Victor Brima Kebbie, des fonctionnaires du gouvernement et la Socfin, en l’absence d’une consultation appropriée avec les 30 communautés de la zone, qui compte près de 50.000 habitants.

« Dans le cadre de ce projet, les populations locales se sont vu promettre une pleine compensation pour les terres perdues, de même que des investissements dans le développement et l’emploi », selon l’Atlas mondial de la justice environnementale.

« Or à peine huit mois après la signature, les dirigeants locaux ont présenté aux autorités une longue liste de griefs mettant en cause la société. Parmi eux, l’absence d’une consultation appropriée, le manque de transparence, l’absence de compensation pour la perte de terres, de même que corruption, conditions de travail effroyables, pression et intimidation à signer des accords de concession. »

Les propriétaires affirment avoir reçu une somme dérisoire d’environ un million de leones (approximativement 177 USD) par hectare de terre acheté par Socfin. Ceci a subséquemment été confirmé par un représentant local de Socfin qui a informé les médias qu’une compensation d’approximativement 31 milliards de leones (5,5 millions USD) avait été versée à la population de Malen.

Les propriétaires disent avoir été contraints à soutenir une transaction dont ils ne comprenaient pas tous les tenants et aboutissants. Certains d’entre eux ont même affirmé que leur terrer avait été vendue à la Socfin alors qu’ils avaient personnellement signifié leur refus en ce sens.

Par ailleurs, Socfin qui exploite, à présent, approximativement 12.500 hectares de terres de qualité à Malen, tente de revendiquer des droits sur près de 18.481 hectares au total, ce qui représenterait plus de la moitié des terres de la chefferie.

Les propriétaires veulent une révision du contrait de bail aux fins de récupérer leurs terres et ont constitué l’association MALOA pour faire valoir leurs droits. Le gouvernement et les autorités locales ont jusqu’à présent ignoré les appels et les contestations des propriétaires, cependant que les membres de MALOA affirment avoir fait l’objet de harcèlement, de répression et d’arrestations.

Dans une lettre adressée au ministre des Affaires politiques et publiques datée du 22 juillet 2016, Sama a indiqué que la Socfin et les autorités de la chefferie continuent d’entretenir l’illusion que la population locale est satisfaite des activités de l’entreprise.

« À chaque fois que des fonctionnaires du gouvernement effectuent des visites à Malen, ils ont droit aux mêmes ritournelles exagérées et lustrées concernant les écoles, les sanitaires et autres projets entrepris par la société dans le cadre de ses engagements de responsabilités sociale », a confié Sama lors de son entretien avec Equal Times.

En réalité, précise Sama, Scofin SL n’a jamais rénové qu’un seul bâtiment d’école et l’argent affecté à la RSE est une paille par rapport à la valeur du bien perdu par les paysans.

« Jamais la vérité ne sera racontée quant aux circonstances dans lesquelles beaucoup de propriétaires ont perdu leurs terres et leurs plantations sans être compensés », dit-il.

 

« La meilleure chose qui soit arrivée à Malen »

La version des faits offerte par les autorités et la Socfin est, cependant, radicalement différente.

Dans une lettre ouverte datée du 1er juillet 2016 adressée au président sierra-léonais, Ernest Bai Koroma, le directeur général de la Socfin SL, Philip Tonks, a rejeté catégoriquement les accusations d’appropriation, soutenant que : « Le processus d’acquisition a été mené par la Socfin, en négociation directe avec les dirigeants de la chefferie et les propriétaires, en conformité avec la loi nationale et en coordination avec le gouvernement. »

Le chef Kebbie considère MALOA comme étant une organisation illicite et refuse de parler à Sama, qui avait occupé le poste de député pour la 88e circonscription du district de Pujehun de 2007 à 2012.

« Socfin est la meilleure chose qui soit arrivée à Malen », affirme le chef Kebbie.

L’entreprise affirme avoir créé plus de 1000 emplois permanents et plus de 2500 emplois saisonniers à Malen et se targue en outre, parmi ses nombreuses autres initiatives de responsabilité sociale, de la construction et la rénovation d’écoles, de routes, de puits à eau et d’un centre médical.

Le chef Kebbie rejette les déclarations des propriétés lorsqu’ils affirment qu’ils ont été contraints par des menaces à renoncer à leurs terres et plantations et qu’ils n’ont toujours pas été adéquatement indemnisés.

Les habitants de Malen soutiennent, pour leur part, que la terre avait été venue dans le cadre d’un accord passé entre le chef Kebbie, l’ancien ministre de l’Agriculture, Sam Sesay – actuellement conseiller du président – et la société Socfin, sans qu’il ne fût procédé aux consultations requises avec la communauté. En dehors de la capitale Freetown, la terre appartient à des familles individuelles et un chef suprême n’a pas le droit de vendre leur terre.

Les autorités sierra-léonaises ne sont pas exonérées de poursuites judiciaires découlant de telles ventes illicites de terres. En février, un autre jugement du Tribunal de grande instance a appelé à la restitution de 1486 hectares de terres appartenant à plus de 70 familles dans la partie orientale du pays, lesquelles avaient été vendues à une société chinoise (Orient Agriculture Limited) en l’absence d’un consentement informé des personnes concernées.

Toutefois, le problème à Malen est plus prononcé vu le nombre énorme de familles impliquées, d’après Joseph Rahall, directeur exécutif de l’ONG locale Green Scenery.
Selon Rahall, les assignations en justice comme celles ciblées contre les Six de MALOA participent d’une « tentative de répression de la résistance de ces populations ».

 

Bras de fer avec les multinationales

Socfin, dont 38% du capital est contrôlé par la société française Bolloré, a tenté d’obtenir un financement de la Société financière internationale (SFI), branche de la Banque mondiale chargée des prêts au secteur privé – mais en vain.

« En 2015, la SFI et Socfin ont discuté d’un investissement possible dans des opérations de la société en Afrique de l’Ouest. Ces discussions ont été suspendues à la fin de l’année dernière », a indiqué Frank Ajilore, représentant de la SFI au Sierra Leone, dans un courriel adressé à Equal Times.

« Pour des raisons de confidentialité, la SFI ne révèle pas la motivation derrière sa décision », a-t-il indiqué dans un courriel subséquent. Rahall ajoute, néanmoins, qu’il soupçonne la SFI de ne pas avoir souhaité financer un investissement qui est taché de controverse, dès lors que cela reviendrait à soutenir de telles pratiques des affaires.

« Beaucoup de gens considèrent Socfin comme des esclavagistes, car ils affirment que Socfin s’est approprié la totalité de leurs terres. » Et étant donné qu’il n’y a plus de terre, la seule façon pour eux de gagner leur vie est de trouver une place dans la plantation Socfin. « Cependant, ces emplois ne sont pas à la hauteur de ce que ces gens gagneraient en cultivant leurs propres terres », dit Rahall.

« Dès le moment où les habitants de Malen ont commencé à résister ou à s’insurger contre toute cette entreprise, nous avons vu que la police a été une source constante d’intimidation pour les membres de la communauté. Ils étaient constamment en train d’arrêter et de traduire des gens en justice en recourant à toutes sortes de moyens », a affirmé Rahall.

Les militants ont, par le passé, eu recours à des approches pacifiques pour amener l’entreprise à la table de négociation.

« Je me suis rendu en France en octobre 2014 et j’ai eu des réunions avec Bolloré et Socfin », a indiqué Sama. « Malheureusement, Socfin Sierra Leone n’était pas présente et les autorités locales ont compromis cette réunion en affirmant que j’y étais allé pour représenter mes propres intérêts et pas ceux de la communauté. »

Socfin SL est au courant des problèmes à Malen et est extrêmement active sur les réseaux sociaux pour démentir toutes critiques. Bien que Socfin SL ait mis sur pied un comité des griefs, « celui-ci exclut les propriétaires affectés », explique Sama.

Selon Sama, le peuple de Malen entend résoudre le problème à travers des sessions de dialogue qui impliqueraient tout le monde et pas seulement des personnes triées sur le volet par le chef Kebbie.

En l’absence de négociations réelles, les activistes locaux craignent que de nouvelles protestations n’aient lieu, pouvant à terme entraîner un véritable conflit social.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.