Les réformes américaines en matière d’immigration comportent des failles antisyndicales

 

Des dizaines de milliers d’immigrés et de militants en faveur des droits des immigrés, venant de syndicats, d’églises, d’universités et de communautés de tout le pays, ont manifesté le 10 avril en faveur des réformes aux lois américaines sur l’immigration.

Ce jour là, un groupe de législateurs du Sénat américain annonçait des propositions de réformes toutefois bien en deçà de ce qui avait été revendiqué, tout en proposant simultanément d’autres amendements qui pourraient rendre la politique migratoire américaine bien plus dure à l’égard des immigrés et des travailleurs.

À San Diego (Californie), neuf militants ont conclu une grève de la faim de six jours devant l’hôtel Hilton Mission Valley ; ils protestaient contre le licenciement de 14 travailleuses de l’hôtel.

En mars, l’entreprise avait dit à ces femmes qu’elle avait utilisé la base de données gouvernementale E-Verify afin de déterminer leur statut au regard de la législation sur l’immigration, et qu’elle les licenciait car elles n’étaient pas en règle.

« La direction dit qu’elle est obligée de le faire à cause du système E-Verify, même si bon nombre de ces travailleuses travaillent ici depuis des années », dit Sara Garcia, gréviste de la faim et membre active de House of Organized Neighbors, organisation communautaire locale.

« Mais ils ont commencé à licencier lorsque les travailleuses se sont mises à organiser un syndicat. »

« Beaucoup d’entreprises font la même chose », explique Leticia Nava, licenciée.

« C’est comme ça qu’on m’a renvoyée il y a deux ans. Et maintenant mes enfants sont angoissés parce qu’ils se rendent compte que c’est de plus en plus dur pour moi.

L’impact sur nous n’a pas à voir uniquement avec l’argent, la situation affecte tous les aspects de ma vie. »

Sara Garcia et Leticia Nava accusent l’entreprise d’avoir exploité le système de contrôle de l’immigration sur le lieu de travail, une base de données appelée E-Verify, pour prendre des représailles contre 14 femmes qui soutenaient le syndicat.

Mais elles disent aussi que le système E-Verify est utilisé bien au-delà, pour licencier des travailleurs même lorsqu’aucune initiative de syndicalisation n’a lieu.

Elles s’accordent à dire que la réforme en matière d’immigration devrait prévoir l’abandon du système E-Verify.

Régularisation

Les travailleurs du Hilton et ceux qui les soutiennent, ainsi que le syndicat qui les aide, UniteHere, pensent tous que la réforme de l’immigration devrait également comporter un processus de régularisation qui permettrait à 11 ou 12 millions de travailleurs sans papiers qui vivent aux États-Unis de régulariser leur situation rapidement et facilement.

Cette revendication était portée par tous les participants aux manifestations du pays le 10 avril, des 30 000 personnes rassemblées devant le Capitole à Washington aux milliers de manifestants qui ont défilé dans les rues de San Francisco.

Elle était exprimée par les concierges et les gardes de sécurité de Silicon Valley, tout comme par les enseignants et les écoliers du primaire à Berkeley (Californie).

Cependant, le Congrès prévoit à la fois de restreindre le processus de régularisation proposé, et d’en faire payer le prix à travers une plus grande sévérité des mesures de lutte contre l’immigration qui font déjà partie de la législation américaine, dont le système E-Verify.

Le lendemain des manifestations, le groupe des huit sénateurs qui rédigent la proposition de loi annonçaient que ce système serait étendu et rendu obligatoire pour tous les employeurs.

Le programme de régularisation proposé par les sénateurs prévoit l’octroi d’un statut provisoire à tous les clandestins pendant dix ans avant qu’ils ne soient en mesure de demander leur carte de séjour permanente.

Ils seraient ensuite de tenus de conserver le statut de résident pendant trois ans encore avant de pouvoir demander leur naturalisation et de jouir des droits politiques fondamentaux.

 

« Politiques défectueuses »

Le président de l’AFL-CIO, Richard L. Trumka, a critiqué la notion d’obstacles et de longues périodes d’attente, avertissant que « les familles, y compris les frères et sœurs et les enfants des immigrés, n’ont pas à payer le prix de nos politiques défectueuses. »

Et pourtant, c’est une plus grande modification encore de la politique d’immigration qui se prépare.

Les sénateurs ont porté atteinte au système même du regroupement familial. Ils ont annoncé la fin de la préférence jusqu’ici accordée aux frères et aux sœurs des immigrés, et que leur proposition de loi créerait un nouveau programme dans le but d’accorder 138 000 visas par an à des personnes ayant les compétences professionnelles recherchées par les employeurs aux États-Unis.

Les propositions des sénateurs prévoient encore d’autres régimes de recrutement direct de main-d’œuvre étrangère.

Il existe aujourd’hui trois principaux programmes de visa pour les travailleurs étrangers, nommés H1B, H2A et H2B, qui permettent aux employeurs de recruter environ 250 000 travailleurs étrangers chaque année et de les faire venir avec des visas qui ne leur permettent de rester que s’ils ont un emploi.

En parallèle aux délibérations des sénateurs, l’AFL-CIO et la chambre de commerce américaine ont annoncé un accord sur un nouveau programme de ce type, octroyant des visas de type W.

Ce programme permettrait aux employeurs d’embaucher des travailleurs en vue de combler des pénuries de main-d’œuvre recensées par une nouvelle agence fédérale, en les recrutant localement pour commencer, et d’aligner les salaires des travailleurs étrangers sur le barème salarial existant dans l’entreprise ou bien sur le niveau de salaire qui prévaut dans le secteur dans lesquels ils travailleront.

Les travailleurs seraient en mesure de changer d’emploi ou de demander le statut de résident au bout d’une année.

Offre de main-d’œuvre

En concluant un accord sur un nouveau programme concernant les travailleurs étrangers, l’on se rallierait les sénateurs et représentants proches des employeurs.

Au cours de leur mobilisation dans le pays tout entier, l’AFL-CIO et d’autres groupes de lobbying basés à Washington ont annoncé que leur priorité centrale était « le chemin vers la naturalisation » – c’est-à-dire un programme de régularisation pour les sans-papier.

Selon les dires de Richard L. Trumka lors de la manifestation d’ouverture d’un des rassemblements du 10 avril, «Il n’y a absolument aucune distinction entre les travailleurs nés dans ce pays et ceux qui y sont venus pour se construire une vie meilleure.

Nous sommes tous dans la même galère, chacun d’entre nous qui travaille pour gagner sa vie. Nous progressons ou nous sombrons ensemble. »

Cependant, d’autres organisations ont critiqué les aspects de la proposition des sénateurs qui visent à accroître l’application de restrictions à l’immigration et à étendre les programmes d’offre de main-d’œuvre.

Larry Cohen, président de Communications Workers of America (CWA), prévient que « le CWA surveillera tout amendement proposé aux programmes de visas comme le H-1B, que les entreprises apprécient mais qui ont coûté des dizaines de milliers d’emplois aux techniciens et à d’autres travailleurs des États-Unis. »

Mae Ngai, professeur à l’université Columbia et ancienne organisatrice syndicale, a signalé dans le New York Times que « depuis le programme agricole Bracero des années 1940 et 1950 jusqu’au visa temporaire H-2 pour travailleurs non qualifiés en vigueur aujourd’hui, tous ces systèmes sont notoirement propices aux abus par les employeurs. »

La révérende mère Deborah Lee de la Coalition interconfessionnelle pour les droits des immigrés à Oakland (Californie), a prédit que les syndicats et les organisations qui militent en faveur des droits des immigrés risquent de finir divisés quant au soutien à apporter ou pas aux propositions de réforme du Congrès.

« Beaucoup de familles souffrent aujourd’hui des conséquences de précédents accords sur l’immigration qui prévoyaient une régularisation en échange de davantage de mesures coercitives.

Nous devons réfléchir à long terme — les accords d’aujourd’hui vont-ils créer plus de problèmes aux familles à l’avenir ? »