Les sentences des tribunaux britanniques contre les émeutiers jugées « excessives »

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La justice britannique a été accusée de rendre des milliers de « sentences excessives et arbitraires » dans le climat d’ « hystérie collective » qui a suivi les émeutes de 2011.

Selon un rapport paru la semaine dernière, près de 6000 nouvelles infractions ont été commises par des Londoniens mis en accusation ou en garde pour leur rôle dans les émeutes de 2011, soulevant des critiques concernant le traitement et la réhabilitation des délinquants.

Des chercheurs de l’université de Manchester affirment que le système de justice pénale a « failli perdre le contrôle » en réponse aux pillages, aux incendies criminelles et à la violence qui ont embrasé plusieurs grandes villes anglaises comme Londres, Birmingham et Manchester.

Les émeutes de l’été 2011 ont éclaté à la suite d’une fusillade où la police a abattu Mark Duggan, 29 ans, résident de Tottenham, quartier du nord de Londres.

Les émeutes qui s’ensuivirent ont été décrites comme les pires de mémoire d’homme. Plus de 3000 personnes furent traduites en justice.

Le rapport intitulé The 2011 English ‘Riots’: Prosecutorial Zeal and Judicial Abandon (Les émeutes britanniques de 2011 ; Zèle procédurier et abandon judiciaire) analyse en détail comment les tribunaux ont abandonné les lignes directrices normales relatives à la détermination des peines.

« Normalement, les juges et les magistrats sont soumis à des directives très strictes. D’entrée de jeu dans cette affaire tout ça est passé à la trappe », a affirmé Dr Hannah Quirk, co-auteure de l’étude et maître de conférences en droit et justice pénaux à l’université de Manchester.

« Ils sortaient les chiffres de leur chapeau de magicien. Et certaines des sentences étaient réellement scandaleuses. »

Le rapport cite des exemples comme celui d’Ursula Nevin, mère de deux enfants condamnée à cinq mois de prison après avoir avoué avoir accepté une paire de shorts volée par une amie durant le pillage d’une boutique à Manchester. Sa peine a subséquemment été revue en appel à 75 heures de travaux d’intérêt communautaire.

Malgré son casier judiciaire vierge, Nicolas Robinson, un étudiant londonien de 23 ans, a été condamné à six mois de prison pour le vol d’un pack de bouteilles d’eau minérale d’une valeur de 3,50 livres (4,70€) durant une nuit d’émeutes dans le sud de Londres.

« Normalement, la police ne vous arrêterait pas pour une infraction de ce genre. Ils ne vous placeraient pas en garde à vue. Ils ne vous traduiraient pas en justice », a indiqué Hannah Quirk.

« Nous ne voulons certes pas excuser ce que les gens ont fait. Mais les sentences étaient manifestement disproportionnées. »

L’étude se base sur des données du ministère de la Justice britannique et des rapports de presse.

Approximativement deux tiers des personnes qui ont comparu devant les tribunaux pour des infractions liées aux émeutes se sont vu délivrer des peines de prison immédiates d’une durée moyenne de 17,1 mois, comparé à 3,7 mois seulement pour des cas similaires en 2010.

S’agissant des suspects traduits devant la Crown Court, tribunal chargé de juger les affaires pénales graves, plus de 80% d’entre eux ont écopé de peines de prison immédiates.

Ceci comparé à seulement un tiers pour des cas similaires en 2010 – la peine moyenne a, quant à elle, augmenté de 11,3 mois à un peu moins de 20 mois.

Les suspects étaient systématiquement accusés de cambriolage avec effraction, délit passible de peines beaucoup plus longues que le vol.

Deux personnes sur trois mises en accusation en rapport avec les émeutes ont été maintenues en détention provisoire jusqu’à leur procès alors que cela ne survenait que dans un cas sur dix pour des délits graves en 2010. Qui plus est, les délinquants juvéniles étaient systématiquement identifiés par leurs noms.

« Pratiquement tout le processus était un châtiment », a indiqué Hannah Quirk. « Ceux qui finissaient par écoper d’une sanction communautaire devaient passer une ou deux nuits en prison, une expérience terrifiante. Particulièrement à un moment comme celui-là, quand les prisons étaient bondées et les prévenus transférés aux quatre coins du Royaume-Uni.

« Il y aurait de toute évidence des préoccupations liées à leurs perspectives d’emploi pour l’avenir ; outre le risque qu’ils perdent la garde de leurs enfants. Tout travail de réinsertion s’avère impossible dans un tel climat.

« Nous avons dû payer pour l’incarcération de personnes qui n’auraient pas dû être incarcérées. Et il est d’autant plus probable que ces personnes continuent d’enfreindre la loi si à leur sortie de prison elles ont perdu leur emploi ou leur logement. »

 

Pas surprenant

L’avocat Franklin Sinclair dont le cabinet a défendu des criminels présumés suite aux émeutes de Manchester a affirmé ne pas être surpris par les conclusions de l’étude. Il a ajouté que les peines étaient excessivement sévères et que la libération sous caution était « simplement refusée pour toute personne, indépendamment des chefs d’accusation ».

« Il a été dérogé aux règles en invoquant que toutes les infractions étaient terriblement aggravées par le contexte des émeutes, outre la justification que des peines dissuasives étaient requises. Ce fut une période sombre pour l’équité du système judiciaire. »

Andrew Neilson, directeur des campagnes auprès de la Howard League for Penal Reform, a salué l’étude et convenu que la sévérité des sentences des tribunaux avait été disproportionnée.

« Au moment des émeutes il était difficile de ne pas voir que l’hystérie des rues était en train de se transmettre aux tribunaux.

« Nous savons que les prévenus avaient environ quatre fois plus de chances d’être envoyés en prison que ce qui serait normalement le cas pour des délits similaires et que la longueur des peines était grosso modo multipliée par deux.

« Remplir les prisons durant quelques semaines avec des personnes impliquées dans des émeutes, dont certaines n’avaient jamais été condamnées auparavant, était inutile et n’aide aucunement à déterminer les causes profondes des émeutes de 2011. »

Hannah Quirk a laissé sous-entendre que tant les politiciens que le Crown Prosecution Service, parquet indépendant du Royaume-Uni, ont influencé les tribunaux.

« Officiellement, il ne devrait pas y avoir d’osmose entre la sphère politique et la sphère judiciaire. Or tout parait indiquer qu’il y a eu une nette dérive en ce sens dès le tout début. »

Le ministre de la Justice britannique, Mike Penning, insiste cependant que les magistrats et les juges sont indépendants du gouvernement et décident des peines en se basant sur les circonstances individuelles de chaque cas.

« Les tribunaux, les services de probation, les équipes chargées de la délinquance juvénile et les services pénitentiaires ont travaillé sans relâche pour faire en sorte que les personnes qui ont attaqué leurs propres communautés durant les troubles soient promptement jugées.

« En rendant justice rapidement et fermement, ils ont joué un rôle crucial et empêché que les émeutes ne se propagent davantage. »