Les travailleurs des médias camerounais confrontés à une répression de plus en plus violente

Les travailleurs des médias camerounais confrontés à une répression de plus en plus violente

L’équipe de la rédaction du principal quotidien du Cameroun en langue anglaise, The Guardian Post, travaillant sur le tirage du lendemain au siège du journal, à Yaoundé, le 30 mars 2023. The Guardian Post a subi au moins deux suspensions de deux mois chacune, imposées par le Conseil national de la communication, dont les membres sont tous nommés par le président Paul Biya.

(Amindeh Blaise Atabong)

En 2019, Paul Chouta a été détenu pendant deux ans à la prison centrale de Kondengui, à Yaoundé, la capitale du Cameroun, en attendant son verdict ; il s’agit d’un pénitencier de haute sécurité connu pour sa surpopulation carcérale et ses mauvaises conditions sanitaires. Paul Chouta a finalement été condamné à 23 mois d’emprisonnement pour diffamation mais les défenseurs des droits dénoncent une violation du droit à un procès équitable.

Paul Chouta, reporter de 31 ans et administrateur de la plateforme d’informations de Facebook Le TGV de l’info, est critique à l’égard du gouvernement de Paul Biya et vit désormais constamment dans la peur. Ce n’est pas seulement le stress post-traumatique dû à son incarcération qui provoque cette panique, mais surtout de ne pas savoir quand il sera de nouveau enlevé et quel sort lui sera réservé, suite à quatre attaques de ce type perpétrées par des hommes non identifiés depuis 2017.

La dernière fois qu’il a été kidnappé, ses ravisseurs l’ont poussé dans un pick-up noir et l’ont conduit dans un endroit isolé à la périphérie de Yaoundé, lui assénant des coups de poing à maintes reprises tout au long du trajet d’une douzaine de kilomètres. Les assaillants ont horriblement défiguré Paul Chouta, l’ont torturé à coups de pierre et de bâtons et l’ont abandonné nu, le laissant pour mort. C’est un miracle qu’il ait survécu à une telle violence.

D’autres journalistes, en revanche, n’ont pas pu échapper à leurs ravisseurs. En janvier, la découverte dans les environs de Yaoundé du cadavre mutilé du présentateur de radio Martinez Zogo, qui avait disparu depuis cinq jours, a suscité l’indignation générale. Martinez Zogo critiquait ouvertement la corruption institutionnalisée et avait fait part à l’antenne, avant sa disparition, des soupçons de détournement de fonds publics qui pesaient sur Jean-Pierre Amougou Belinga, un magnat des affaires et des médias qui entretenait des liens étroits avec le gouvernement.

Alors que la tension était encore à son comble après l’enlèvement et l’assassinat de Martinez Zogo, un autre présentateur de radio, Jean-Jacques Ola Bébé, a été retrouvé mort à proximité de son domicile, à Yaoundé, portant des signes de blessures par balle. Jean-Jacques Ola Bébé était un proche associé de Martinez Zogo et réclamait justice pour son collègue assassiné.

Ces deux homicides donnent du Cameroun la triste image du pays qui détient le record mondial du nombre de décès de professionnels des médias cette année. Avant cela, deux journalistes avaient perdu la vie dans l’exercice de leurs fonctions ces quinze dernières années au Cameroun.

Le porte-parole des Nations Unies pour les droits de l’homme, Seif Magango, a déclaré : « Nous sommes profondément préoccupés par la sécurité des journalistes au Cameroun », dans la mesure où trois autres journalistes camerounais ont signalé avoir reçu, pendant le seul mois de janvier, des menaces crédibles de la part d’inconnus.

Ces derniers temps, au Cameroun, la répression à l’encontre des journalistes a pris une tournure alarmante. Paul Chouta, qui en a directement fait l’expérience, explique à Equal Times  : « Ils ont créé un environnement de terreur dans lequel ils ont décidé de tuer les journalistes et les lanceurs d’alerte qui veulent dire la vérité, dans un contexte où le vice l’emporte sur les valeurs sociétales. »

Un des paysages médiatiques les plus dangereux d’Afrique

Le Cameroun est doté d’un paysage médiatique très varié, qui compte plus de 650 journaux enregistrés, quelque 200 stations de radio locales et commerciales, et une centaine de chaînes de télévision, pour 26 millions d’habitants.

Or, la liberté des médias et la sécurité des journalistes est en déclin au Cameroun depuis une décennie : du fait de la lutte que le gouvernement livre aux rebelles islamistes de Boko Haram au nord du pays, et à cause du conflit prolongé entre les forces gouvernementales francophones majoritaires et les séparatistes anglophones au sud-ouest et au nord-ouest, les journalistes se retrouvent entre plusieurs fronts.

Reporters sans frontières classe le Cameroun parmi les pays dont le paysage médiatique est l’un des plus dangereux du continent africain, en proie à l’hostilité et à la précarité ; en parallèle, le Comité pour la protection des journalistes (Committee to Protect Journalists, CPJ) a révélé que ce pays d’Afrique centrale, gouverné depuis 1982 par le président nonagénaire Paul Biya, était l’un des pays d’Afrique qui comptait le plus de journalistes en prison.

Les travailleurs des médias sont régulièrement attaqués, menacés, censurés et incarcérés pour divers motifs – opposition à l’État, délit de diffamation, informations fausses – quand ils ne font pas l’objet de représailles, comme le révèle le CPJ. Plusieurs journalistes ont été contraints à l’exil.

Cinq journalistes se trouvent actuellement dans la prison terriblement redoutée de Kondengui, et quatre d’entre eux – Tsi Conrad, Mancho Bibixy, Thomas Awah Junior et Kingsley Njoka – sont accusés d’avoir agi contre les intérêts de l’État dans le contexte du conflit en cours dans la zone anglophone.

Outre l’Égypte et l’Érythrée, le CPJ constate que c’est aujourd’hui le Cameroun qui emprisonne le plus longtemps les journalistes, comme en témoignent les longues périodes d’incarcération avant le procès, les détentions arbitraires lors desquelles les journalistes ne peuvent communiquer avec l’extérieur, et les condamnations par des tribunaux militaires, entre autres graves violations du droit à un procès équitable et à une procédure régulière.

Dans un cas précis, Samuel Wazizi, présentateur pour la chaîne de télévision privée Chillen Muzik and TV, a été arrêté en août 2019 dans la ville agitée de Buea, et maintenu au secret avant de mourir en détention – un décès que le gouvernement camerounais n’a reconnu qu’en juin 2020. Le président Biya aurait annoncé qu’il s’engageait personnellement à enquêter sur la mort de Samuel Wazizi, mais le meurtre du journaliste n’a pas été élucidé et son corps n’a toujours pas été remis à sa famille pour être enterré.

Avant le cas de Samuel Wazizi, le dernier journaliste disparu dans des conditions suspectes était rédacteur au Cameroun Express et s’appelait Bibi Ngota ; il est mort en 2010 à la prison de Kongengui, où il avait été emprisonné alors qu’il enquêtait sur des allégations de corruption du gouvernement.

Angela Quintal, la coordinatrice des programmes du CPJ en Afrique, confie à Equal Times que les lois du Cameroun sur les médias sont en partie responsables de cet environnement répressif pour les journalistes. Elle cite la promulgation de nouvelles lois qui ont été définies de manière si générale qu’elles permettent de réprimer la critique et la dissidence, et de mettre les journalistes en prison.

« À l’heure actuelle, quatre des cinq journalistes détenus à Kondengui sont emprisonnés en raison d’une loi antiterroriste promulguée en 2014. Le CPJ observe une augmentation des incarcérations et des agressions de journalistes depuis fin 2016 pour leur opposition à l’État », affirme-t-elle.

Angela Quintal signale à Equal Times que le CPJ réclame l’abolition du délit de diffamation et la réforme de la loi antiterroriste excessivement générale du Cameroun, qui est utilisée pour réprimer la dissidence et réduire la critique au silence. Madame Quintal a par ailleurs qualifié la censure et l’autocensure d’obstacles, en particulier dans les régions anglophones, où les journalistes sont pris entre les forces du gouvernement et les combattants séparatistes.

« La question de la surveillance, aussi bien physique que numérique, contribue à détériorer la situation de la presse, de même que les difficultés économiques, la viabilité financière des organes de presse du Cameroun et les conditions déplorables dans lesquelles les journalistes doivent travailler », indique Angela Quintal à Equal Times.

Elle ajoute que les tortures et l’assassinat odieux de Martinez Zogo ont amené la violence contre les journalistes dans le cœur politique du pays. « La violence perpétrée par les forces de sécurité à l’encontre des journalistes, et des civils en général, ainsi que la perversité et la cruauté qui ont été tolérées jusqu’à présent, est une source de préoccupation dans les régions du nord-ouest et du sud-ouest du pays depuis fin 2016, et elle est devenue encore plus inquiétante compte tenu des positions qui se durcissent des deux côtés… Le manque de responsabilité et l’impunité vis-à-vis de la violence contre les journalistes sont des raisons qui expliquent sa persistance actuelle », explique Angela Quintal.

Pas de solution facile

Le porte-parole du ministère de la Communication du Cameroun n’a pas souhaité répondre à nos questions. Mais le gouvernement maintient que le Cameroun est un État de droit qui garantit les libertés fondamentales, y compris la liberté de la presse, comme en atteste, aux dires du gouvernement, la multiplicité des organes médiatiques existant dans le pays, qu’il s’agisse de la presse écrite, de l’audiovisuel et de l’information en ligne.

Le Syndicat national des journalistes du Cameroun (SNJC) – le plus grand syndicat de journalistes du pays, affilié à la Fédération internationale des journalistes – n’est pas de cet avis. Le syndicat s’emploie à améliorer l’environnement de travail des professionnels des médias. Suite à l’assassinat de Martinez Zogo, le SNJC a appelé à un « mercredi noir » à travers le pays afin de demander justice pour le présentateur de radio assassiné et de plaider en faveur d’un meilleur environnement pour les travailleurs des médias.

Marion Obam, la présidente nationale du SNJC, fait remarquer à Equal Times que les journalistes et d’autres professionnels des médias sont si souvent pris pour cibles qu’il faut agir de toute urgence.

« Malgré l’impartialité de la constitution de notre pays à l’égard de la liberté d’expression, il subsiste une atmosphère générale de peur étant donné qu’une infraction de base, telle que la diffamation, est toujours considérée comme un délit pénal faisant potentiellement encourir à ses auteurs de longues peines d’emprisonnement et des amendes faramineuses », indique Marion Obam.

Elle souligne en outre que le SNJC réclame une meilleure législation des médias, notamment l’accès à une loi sur l’information pour faciliter le travail des journalistes qui cherchent à obtenir des renseignements auprès des agents publics, la décriminalisation des infractions dans le domaine des médias, et la mise en place d’un organisme de réglementation des médias réellement indépendant et d’une commission nationale de la carte de presse qui délivre des accréditations aux journalistes.

Un espoir est brièvement apparu en 2012, lorsque le gouvernement a organisé le Forum national de la communication pour réformer le paysage médiatique du pays. Le gouvernement a annoncé alors qu’il souhaitait engager des réformes sur la législation des médias et la création d’un organisme spécial pour les médias, entre autres. Pour autant, ces ambitions ne se sont pas encore concrétisées.

Tandis que les travailleurs des médias camerounais attendent des réformes durables, les actes de répression violente à l’encontre des journalistes ne cessent de s’aggraver. Jude Viban, le président national de la Cameroon Association of English-Speaking Journalists (Association camerounaise des journalistes anglophones, CAMASEJ), a déclaré : « L’impunité des crimes contre les journalistes et d’autres professionnels des médias, au Cameroun, est inacceptable et relève de la provocation. Il faut absolument y mettre fin. »

Cet article a été traduit de l'anglais.