Les travailleurs migrants d’Asie du Sud face à une crise de l’emploi dans leur pays et à l’étranger

News

En février 2020, PK Valsala, une femme célibataire de 45 ans originaire de l’État du Kerala en Inde du Sud, s’est rendue à Oman pour commencer un travail de domestique. Son employeur omanais l’a envoyée en Iran pour y modifier son visa touristique en visa de travail. Elle a atterri le 22 février, son retour à Oman étant programmé quatre jours plus tard.

« Je pensais pouvoir changer mon visa et retourner à Oman au cours de la semaine suivante », explique-t-elle. Mais le coronavirus a frappé. « Dès le lendemain, Oman a fermé ses frontières aériennes, l’Iran a suivi ».

Au départ, elle ne s’est pas trop alarmée : « Mon employeur m’a contactée pour me dire de ne pas m’inquiéter. Il a envoyé un peu d’argent à l’hôtel où je logeais, suffisamment pour couvrir mes dépenses durant deux semaines. Il m’a expliqué que tout irait bien par la suite. » Ce ne fut pas le cas.

PK Valsala s’est retrouvée bloquée pendant 142 jours sur l’île de Kish, une station touristique populaire du golfe Persique. Elle a dû se battre pour se nourrir et a même été expulsée de l’hôtel où elle séjournait, elle et son employeur n’ayant plus les moyens de payer les notes.

Toutefois, quelques organisations basées à Oman lui ont apporté leur soutien et elle a finalement pu être rapatriée en Inde au mois de juillet, en même temps que 700 pêcheurs indiens également bloqués sur la côte iranienne à bord d’un navire de la marine indienne.

À son retour en Inde, PK Valsala, qui avait travaillé auparavant en Arabie saoudite et au Koweït, pensait pouvoir retourner à Oman pour travailler, mais son employeur n’a pas pu la reprendre à son service.

Avant le coronavirus, on estimait à 23 millions le nombre de travailleurs migrants dans la région du Golfe. Le double choc de la pandémie de coronavirus et de la chute des prix du pétrole a amené le FMI à prédire une contraction massive de 7,1 % en 2020 dans les économies du Bahreïn, du Koweït, du Qatar, d’Oman, d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis (également réunies sous le nom de Conseil de coopération du Golfe ou CCG).

Le travail de PK Valsala fait partie des huit millions d’emplois (soit 13,2 % des heures de travail) que l’Organisation internationale du Travail (OIT) estime avoir été perdus dans l’ensemble de la région arabe au cours du deuxième trimestre de 2020.

Concernant les travailleurs migrants qui ont réussi à rester dans le pays où ils résident et travaillent, l’Institut pour les droits de l’homme et les entreprises (Institute for Human Rights and Business) explique : « Un grand nombre de travailleurs migrants ont été confinés dans de mauvaises conditions, dans des dortoirs exigus. Ils ont perdu leurs emplois ou n’ont pas été payés, ils ont été forcés par leurs employeurs à prendre un congé sans solde ou à réduire leurs salaires, ou ont été rapatriés chez eux avec peu ou pas de possibilités de travailler. »

Diminution des flux migratoires

Pour ceux qui ont été contraints de rentrer dans leur pays ou qui n’ont pas eu la possibilité de le quitter pour commencer un nouvel emploi à l’étranger, la situation est variable. Il n’existe toujours pas de données concluantes concernant l’impact du coronavirus sur la migration de la main-d’œuvre en Asie du Sud (un des plus grands carrefours de la main-d’œuvre migrante dans le monde), mais les quelques statistiques disponibles brossent un tableau très sombre.

L’Inde et le Bangladesh, deux des plus importants pays expéditeurs de main-d’œuvre dans la région, ont connu une chute colossale des flux migratoires en 2020. Selon eMigrate, un réseau mis en place par le gouvernement indien pour garantir une migration équitable, 368.043 personnes ont émigré à l’étranger via ce canal en 2019, à peine 88.694 en 2020, soit une diminution de 75 %.

Dans le même temps, les données officielles du Bangladesh Bureau of Manpower Employment and Training (le bureau du Bangladesh pour l’emploi et la formation) indiquent une diminution de 74 % du flux migratoire en 2020 par rapport à 2019 (passant de 700.159 à 181.218 travailleurs migrants).

La situation économique à Oman a forcé PK Valsala à rechercher un emploi dans le Kerala, l’État indien dont elle est originaire. En septembre, elle a décroché un job de dix heures par jour lui rapportant 245 USD par mois, soit environ 100 USD de moins que ce qu’elle aurait gagné à Oman. À cela s’ajoute le fait que l’agence de recrutement lui réclame une commission de 40 USD par mois. PK Valsala confie à Equal Times : « L’agence nous exploite et n’autorise même pas les congés de maladie. D’autre part, en raison des restrictions dues à la Covid-19, il est plutôt risqué de se rendre dans des maisons que l’on ne connaît pas, d’y loger et d’y travailler. J’ai donc arrêté en novembre. »

Elle tente désespérément de retourner dans le Golfe. Comme elle le déplore : « Il n’y a pas beaucoup d’emplois là-bas en ce moment. Et quand il y en a, les salaires sont trop bas. On m’a proposé 320 USD dans le Golfe en février. Aujourd’hui, les agents me disent que je n’aurai que 200 USD. »

Moazzem Hossain est un travailleur de 33 ans qui a perdu son emploi de maçon en Arabie saoudite l’an dernier. Renvoyé au Bangladesh en raison de la crise économique, lui aussi tente de retourner dans le Golfe.

Il explique à Equal Times : « Je suis actuellement ouvrier dans le secteur de la construction à Dhaka. Je ne perçois que 170 USD par mois, avec lesquels je suis censé m’occuper des six membres de ma famille. Il est difficile de survivre. En Arabie saoudite, je pouvais gagner environ 350 USD par mois. »

« J’ai pris contact avec un agent à Dhaka, qui m’a dit que les offres d’emploi n’étaient pas suffisamment nombreuses dans le golfe Arabique en ce moment ». On lui réclame également des frais de recrutement plus élevés. « En 2017, j’ai payé 1.700 USD de frais de recrutement. Aujourd’hui, on m’en demande 2.000. » Mais Moazzem Hossain se déclare prêt à débourser davantage si cela lui permet de décrocher un job à l’étranger.

Créer un meilleur processus de recrutement

À la question de savoir si cette diminution des flux migratoires allait se poursuivre à l’avenir, Shabari Nair, spécialiste des migrations en Asie du Sud auprès de l’OIT, déclare qu’il est encore trop tôt pour l’affirmer. Bien qu’il souligne une reprise progressive du recrutement étranger dans certains pays, il explique : « Il serait préférable d’évaluer cette situation en fonction des demandes des pays recruteurs et des secteurs spécifiques qui recherchent ces travailleurs et les compétences qu’ils possèdent ».

Il espère que les gouvernements et les employeurs tireront parti des perturbations occasionnées par la pandémie pour améliorer le processus de recrutement des travailleurs migrants, afin de leur assurer une protection dès le départ. Shabari Nair prévoit également certains changements possibles dans les secteurs comptant le plus de postes vacants. « La demande en personnel pourrait être élevée dans le secteur des soins de santé », précise-t-il, ajoutant que les gouvernements qui expédient de la main-d’œuvre pourraient également commencer à envisager de nouveaux canaux migratoires en Afrique et en Europe.

Comme pour de nombreux pays à revenu faible ou moyen, les fonds transférés par les travailleurs migrants jouent un rôle déterminant dans les pays d’Asie du Sud : ils sont estimés à 3 % du PIB en Inde, à 27 % au Népal.

Selon les prévisions, le ralentissement économique dû à la pandémie pourrait avoir un impact massif sur l’argent envoyé dans leur pays par les migrants travaillant l’étranger. Un rapport de la Banque mondiale publié en octobre 2020 prévoit, en effet, que ces transferts de fonds en Asie du Sud passeront de 135 milliards USD en 2020 à 120 milliards USD en 2021.

Shabari Nair précise cependant que l’impact de la Covid-19 sur l’envoi de fonds à l’échelle mondiale n’est toujours pas clair, certains pays d’Asie du Sud signalant des transferts encore plus importants que d’habitude.

Shakirul Islam, président fondateur du programme Ovibashi Karmi Unnayan, une organisation communautaire de migrants basée à Dhaka, au Bangladesh, se montre prudent, lui aussi, lorsqu’il s’agit d’évaluer la situation. Il explique à Equal Times que, selon la recherche menée par son organisation auprès des migrants potentiels ou des travailleurs rentrés au pays (forcés de rentrer en raison de la pandémie), 72 % d’entre eux (n=398) attendent toujours une amélioration de la situation avant de repartir à l’étranger.

Mais il s’agit d’une bombe à retardement économique, prévient-il : « Pour l’instant, ces travailleurs ne trouvent aucun emploi convenable. Si la situation ne s’améliore pas cette année, tous ces migrants devront faire face à une situation très difficile. N’oublions jamais qu’il n’y a pas d’emplois dans leur pays en ce moment. S’ils ne peuvent pas travailler dans les pays d’accueil, alors tout deviendra pour eux un problème. »