Les travailleurs mineurs de Bolivie opposés à une interdiction du travail des enfants

Opinions

 

Un matin de décembre dernier, peu avant Noël, le président Evo Morales a convié une délégation de trente garçons et filles à déjeuner avec lui dans la salle à manger présidentielle, au Palacio Quemado. Ses invités représentaient l’Unatsbo, le syndicat des enfants et adolescents travailleurs de Bolivie.

La rencontre a eu lieu trois jours après la répression scandaleuse par la police d’une manifestation des enfants travailleurs contre un projet de loi qui vise à interdire le travail des enfants.

Le président, lui-même, fait partie d’une population fortement divisée sur cette question : De fait, le leader bolivien a commencé à travailler dès l’âge de six ans comme vendeur de glaces pour aider sa famille et bien qu’il soit contre l’exploitation, il estime que le fait de travailler dès l’enfance « créé une conscience sociale. »

À la tête de la délégation qui a déjeuné avec Evo se trouvait Henry Apaza, 13 ans, leader naturel du syndicat.

Henry est vendeur de cigarettes depuis l’âge de sept ans dans la ville satellite d’El Alto. Il est particulièrement doué pour les chiffres et est un des meilleurs élèves de son école, où il assiste aux cours du soir. Les petites sœurs d’Henry travaillent elles aussi : elles vendent des CD pour karaoké dans les mêmes rues animées de cette ville située à 4600 mètres d’altitude.

Henry est un des 848 000 enfants qui travaillent en Bolivie et un des quelque 14 millions de garçons et filles de 5 à 17 ans qui connaissent ce même sort en Amérique latine.

Approximativement 80 % des enfants boliviens travaillent dans l’agriculture, quasi-exclusivement avec leurs familles. Cette pratique s’inscrit dans une longue tradition qui inclut des tâches cruellement pénibles comme la cueillette de châtaignes et la récolte de canne à sucre, ou encore le travail des mines.

Une enquête a révélé que 93 % des enfants boliviens de 5 à 17 ans qui travaillent vont aussi à l’école, ce qui a pour effet de discréditer le principal argument brandi par les militants qui luttent pour l’abolition du travail des enfants car celui-ci pérenniserait la pauvreté et l’exclusion sociale.

« Mais que penser du rendement scolaire de ces enfants qui, en plus de travailler toute la journée, vont à l’école le soir ? », s’interroge Isabel Mesa, prestigieuse auteure bolivienne de littérature pour enfants, qui avertit que le seul fait d’aller à l’école n’est pas gage d’apprentissage.

Isabel Mesa sait qu’il est impossible de supprimer au moyen d’une loi une pratique qui perdure depuis des siècles. Elle reste, cependant, convaincue que « la Bolivie doit tabler sur l’éducation. »

Or malgré la croissance macroéconomique de ces dernières années et les politiques d’aide mises en œuvre par l’État, la Bolivie demeure en proie à un taux de pauvreté de 59 %, avec des pics dramatiques de jusqu’à 80 % dans des zones comme Potosí.

L’espérance de vie reste, quant à elle, extrêmement faible. Elle est de 65 ans pour les hommes et de 69 ans pour les femmes.

La pauvreté et l’ignorance constituent un cocktail létal et il reste beaucoup à faire avant que des enfants comme Henry puissent entièrement se consacrer aux activités qui correspondent à leur âge : aller à l’école, s’amuser avec les copains, se former en tant que personnes et citoyens.

« Ils ne peuvent priver de travail ceux qui comme nous doivent travailler en raison des circonstances de la vie », affirme Henry en adoptant subitement un ton d’adulte, scrutant le monde sous la visière de sa casquette.

Lui et ses camarades demandent que la nouvelle loi n’impose pas de limite d’âge pour la vente ambulante et le gardiennage de véhicules, et que l’âge minimum pour le travail soit de 12 ans, soit deux de moins que l’âge minimum prescrit par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) depuis 1973.

Le projet de réforme qui sera soumis au vote à l’assemblée bolivienne cette semaine fait surgir d’énormes contradictions : l’interdiction du travail des enfants pourrait aggraver la situation et donner un caractère clandestin à ces tâches. Même avec la meilleure volonté du monde, on risque à terme de fomenter l’exploitation, voire l’esclavage des enfants. Rien n’est plus éloigné du progrès. Rien n’est plus éloigné du développement.

 

Source : La Nacion 

 

This article has been translated from Spanish.