UE: Les droits de l’homme sacrifiés sur l’autel de l’austérité?

UE: Les droits de l'homme sacrifiés sur l'autel de l'austérité?

Graffiti illustrating one of the priorities of the Juncker Commission: a deeper and fairer economic and monetary union.

(EC-Audiovisual Service)

Du point de vue des droits de l’homme, l’évaluation de la réponse des institutions et des États membres de l’Union européenne à la crise de la dette souveraine constituait le thème principal de ma récente visite aux institutions de l’UE en ma qualité d’expert indépendant des Nations Unies. Ma position sur ce sujet est disponible dans un rapport soumis au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en mars 2017.

Dans ce rapport, je soutiens que la Commission européenne a l’obligation légale de veiller à ce que tous les protocoles d’accord qu’elle signe soient conformes à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux et au droit international relatif aux droits de l’homme obligatoires pour ses États membres. Cela inclut le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ratifié par tous les États de l’UE.

Même si, dans leur ensemble, les États membres de l’UE ont augmenté leurs dépenses de protection sociale en réponse à la crise financière, Chypre, la Grèce, l’Irlande, l’Espagne et le Portugal ont été contraints d’appliquer des réductions draconiennes dans les dépenses de divers niveaux, y compris l’éducation, les soins de santé, les prestations sociales pour les familles et les enfants, ainsi que les personnes handicapées. Les fonds consacrés à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale ont également été rabotés. Il est tragique que les pays les plus touchés par la crise financière aient connu certaines des réductions de dépenses les plus importantes dans divers domaines de la protection sociale.

Assurer la stabilité financière et contrôler la dette publique sont des tâches importantes, il n’y a aucun doute à avoir en la matière.

Toutefois, je suis profondément préoccupé par le changement de paradigme qui s’est installé dans l’UE au cours de ces dernières années. Une approche précédemment équilibrée qui veillait à assurer la stabilité économique, l’égalité et la cohésion sociale tend à présent à être sapée en faveur d’un recentrage sur la discipline budgétaire et la compétitivité.

Malheureusement, les politiques d’austérité ont trop souvent été accompagnées d’une érosion des droits économiques, sociaux et culturels. Simultanément, les inégalités de revenus et de richesses ont augmenté au sein de l’UE et de leurs États membres. La consolidation fiscale et les politiques de réformes structurelles mises en œuvre à Chypre, en Grèce, en Irlande, au Portugal et en Espagne ont aggravé la récession économique et contribué à faire augmenter encore le chômage et la pauvreté. Les réductions douloureuses infligées aux dépenses publiques en matière de protection sociale, de soins de santé et d’éducation nous amènent à nous demander si l’on a suffisamment réfléchi à protéger les groupes vulnérables des effets de la crise.

Dans le rapport, je souligne divers efforts déployés par la Commission européenne en vue d’atténuer les conséquences de la crise économique et financière. Parmi ces efforts, je souligne notamment l’Initiative pour l’emploi des jeunes afin de répondre au problème du chômage des jeunes, qui a été approuvé par le Conseil européen en 2013. Je me réfère également à la recommandation intitulée Investir dans l’enfance pour briser le cercle vicieux de l’inégalité publiée par la Commission européenne au cours de la même année. Par ailleurs, je salue les efforts considérables consentis par l’UE pour intégrer une approche fondée sur les droits de l’homme dans ses activités de coopération au développement et ses politiques extérieures, tel qu’énoncé dans son Plan d’action en faveur des droits de l’homme et de la démocratie.

Toutefois, il existe une nécessité de renforcer la cohérence des politiques dans le domaine des politiques externes et internes des droits de l’homme de l’UE. Aucun argument crédible ne peut être avancé pour soutenir que ce qui est réalisable en externe en faveur des titulaires de droits à l’extérieur de l’Union européenne ne peut l’être en interne en faveur de ses propres citoyens et résidents. Une approche fondée sur les droits de l’homme devrait donc également guider les recommandations spécifiques pour chaque pays et informer les prêts accordés à ses propres États membres par les institutions européennes.

Je me réjouis que la Commission européenne ait publié en avril 2017 sa vision finale d’un Socle européen de droits sociaux. À mon avis, le résultat a certainement profité d’un processus consultatif et implique une formulation axée davantage sur les droits que ce que les premiers documents de travail du personnel laissaient présager.

Socle européen des droits sociaux : une évaluation mixte

Les vingt principes du socle incluent le droit à « une éducation inclusive et de qualité », « des prestations de revenu minimum adéquat pour vivre dans la dignité à tous les stades de la vie », « accéder, à des prix abordables et dans des délais raisonnables, à des soins de santé préventifs et curatifs de qualité » et l’égalité entre les sexes. Ils reflètent également un effort complémentaire visant à suivre les tendances et performances du Socle européen des droits sociaux à l’aide d’un « tableau de bord social » à travers les pays de l’UE au moyen d’une série d’indicateurs. Cette initiative est la bienvenue. Cependant, il convient de veiller à ce que le contrôle et la reddition de comptes aillent au-delà d’une collecte de données sur un ensemble limité d’indicateurs. Il est également important d’étudier dans quelle mesure les considérations liées aux droits économiques et sociaux seront pleinement intégrées dans le « Semestre européen » consacré à la coordination des politiques économiques, dans les recommandations spécifiques par pays et les programmes d’aide financière soutenus par la Commission européenne.

En outre, j’aurais aimé y voir des références supplémentaires à des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier ceux qui sont contraignants pour tous les États membres de l’UE. Alors que la Charte sociale européenne est mentionnée dans la communication présentant le Socle des droits sociaux, on se demande pourquoi, par exemple, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de l’Organisation des Nations Unies, pacte contraignant pour tous les États membres de l’UE, n’est pas mentionné une seule fois dans le document.

Le Socle des droits sociaux ne devrait pas seulement être applicable aux États de la zone euro et à certains autres États de l’UE désireux d’y adhérer à titre volontaire ; le Socle devrait devenir une base commune pour tous les États membres de l’UE.

Les droits de l’homme, notamment les droits sociaux sont indivisibles ; il ne doit pas y avoir plusieurs vitesses de « mise en œuvre » pour les droits sociaux. Cela ne devrait certainement pas être le cas si l’on souhaite favoriser la cohésion sociale dans l’ensemble de l’UE.

Les vitesses variables pourraient fonctionner pour certains aspects de l’intégration économique, mais il convient de ne pas suivre ce chemin lorsqu’il s’agit d’obligations relatives aux droits de l’homme pour tous les États membres de l’UE.

Enfin, nous devons nous assurer que les droits sociaux sont applicables. Comme le mentionne la communication, le socle n’est pas directement applicable par les personnes vivant dans l’UE. Afin d’habiliter les personnes, la législation aux niveaux européen et national doit s’assurer que les individus ont accès à des recours efficaces.

Les programmes de réformes économiques devraient faire l’objet d’évaluations du point de vue de leur impact sur les droits de l’homme et les droits sociaux. Ces évaluations devraient être réalisées en concertation avec les détenteurs de droits affectés ainsi que la société civile. Il devrait s’agir de bien plus qu’un exercice consistant à cocher des cases. En outre, les évaluations des programmes passés de réformes devraient non seulement évaluer si celles-ci ont réussi à réduire le déficit budgétaire, restaurer la viabilité de la dette ou stimuler la croissance économique, mais si elles ont assuré une répartition équitable et égale du fardeau de l’ajustement au sein de la société.

Ce qui m’amène à un projet de suivi que le Conseil des droits de l’homme m’a demandé d’entreprendre : élaborer des lignes directrices sur la façon d’entreprendre des évaluations d’impact sur les droits de l’homme dans le cadre de politiques de réforme économique. Je voudrais inviter tout le monde, y compris la Commission européenne, les institutions financières internationales, les institutions nationales des droits de l’homme, les organisations de la société civile et les partenaires sociaux, à prendre part à ce processus. J’ai donc publié un appel public à contributions.

Selon moi, les évaluations d’impact sur les droits de l’homme doivent être menées avant que des mesures d’austérité, des réformes des régimes de pension ou du marché du travail ne soient considérées et élaborées. J’espère que ces lignes directrices finiront par donner de meilleurs outils aux gouvernements et aux institutions financières internationales pour réaliser ces évaluations à l’aune des normes internationales existantes en matière de droits de l’homme. Nous devons tirer les leçons des erreurs du passé. Je suis convaincu qu’il est possible de prévenir les souffrances dont beaucoup de personnes continuent de subir en Grèce. Une telle érosion des droits économiques, sociaux et culturels en Europe n’est pas nécessaire.