Le combat des mères pour le droit des enfants nés hors mariage en Égypte

Le combat des mères pour le droit des enfants nés hors mariage en Égypte

Samah Abdel Salam has been waging a legal battle for over a year to have her daughter Diala recognised by her father and to be able to register her birth. This photo was taken on 22 August 2018 in a café in central Cairo.

(Hossam Rabie)

Les yeux pleins de détermination et d’inquiétude, Samah Abdel Salam, journaliste de 36 ans au quotidien public al-Ahram, explique au juge du tribunal de la famille, au Nouveau Caire le 15 juillet, comment elle s’enferme depuis plus d’un an chez elle pour échapper aux regards des gens. À son bras gauche, sa fille, Diala, fruit de sa relation hors mariage avec un célèbre artiste égyptien.

Son visage caché derrière l’épaule de sa mère, Diala regarde apeurée les caméras qui la braquent. À trois ans, cette petite fille n’a pas d’acte de naissance et n’a pas encore rencontré son père biologique. Cela fait plus de 15 mois que Samah Abdel Salam se bat pour que le juge force son ancien conjoint à reconnaître sa fille ou, du moins, à faire un test d’ADN.

Après de multiples tentatives visant à établir une paternité de sa petite fille, Samah Abdel Salam a subi à nouveau la déception. Le juge a décidé de reporter au 19 novembre le verdict et de renvoyer l’affaire à l’investigation du parquet.

« Le code de statut personnel en Égypte est régi par une loi religieuse rigide qui ne reconnait pas de relations sexuelles hors du cadre officiel du mariage » indique Taha Aboul Nasser, avocat aux affaires conjugales. Il ne force pas même l’homme à faire de tests ADN pour des affaires de filiation.

L’enfant né de telles relations se trouve sans état civil et dépourvu des services de bases, puisque la mère ne peut pas lui transmettre son nom. La femme quant à elle, assume seule la responsabilité de l’enfant, et est souvent traitée en paria dans une société réputée par son conservatisme.

Tout a commencé en mai 2017, lorsque Mme Abdel Salam a publié sur sa page Facebook, une photo de sa fille, en écrivant : « Diala dans l’exposition de son père ». Son ancien compagnon Adel Al-Siwi, un peintre très célèbre, a démenti toute relation avec elle. Cette dernière a recouru à la justice pour établir une reconnaissance de la paternité de sa fille, mais sa première plainte a été rejetée par le tribunal de la famille. La journaliste s’est pourvue en appel. Cette affaire a commencé alors à déclencher une vive polémique en Égypte.

Les affaires de filiation paternelle attirent l’attention des médias égyptiens, seulement lorsqu’elles concernent une personnalité publique. L’an dernier, une affaire similaire a également eu un grand retentissement, lorsqu’une actrice a saisi la justice pour que ses jumeaux soient reconnus par leur père, un célèbre acteur.

75 000 cas de filiation paternelle devant les tribunaux

Les tribunaux de la famille en Égypte ont été créés en 2004 pour traiter d’affaires civiles d’après le « Code du statut personnel » égyptien. Bien que différents des tribunaux islamiques, existants dans d’autres pays musulmans, ils prennent aussi comme référence la loi islamique, aussi appelée Charia. Ces tribunaux traitent des affaires relatives à la filiation paternelle, la reconnaissance du mariage et à la garde des enfants.

Le cas de Mme Abdel Salam n’est qu’un parmi des milliers d’autres examinés aujourd’hui par les tribunaux. L’agence publique de mobilisation et des statistiques, CAPMAS, dans un rapport publié en 2016 a dénombré 75.000 affaires liées à la filiation paternelle. Le rapport justifie particulièrement ces chiffres par les longues procédures devant les tribunaux, ainsi que par la hausse des cas de « mariages secrets », c’est-à-dire des unions – souvent réprouvées par les familles –, qui même si elles ont été effectuées en présence de témoins et avec un document signé, n’ont pas de valeur pour l’Etat civil.

D’après le rapport, le mariage secret avait atteint 88.000 cas en 2014, soit 9 % des unions en Égypte cette année-là. Depuis la révolution de 2011, il y a eu nette hausse des affaires de filiation paternelle, selon Moataz al-Dakar, avocat aux affaires familiales, qui s’explique par une certaine libération d’une partie de la jeune génération

La loi sur la filiation est basée sur un principe islamique selon lequel « l’enfant (reconnu) est celui qui est issu du mariage ». Depuis la réforme du « Code du statut personnel » en 2008, la femme a le droit d’enregistrer son enfant à condition d’avoir un acte du mariage officiel. Jusqu’alors, la loi n’accordait même pas aux femmes mariées, le droit d’aller enregistrer leur enfant.

Pour les cas d’enfants nés hors mariage, en déposant une plainte, la loi donne à la femme le droit de l’enregistrer avec un nom temporaire, choisi par le fonctionnaire responsable d’octroyer les actes de naissance. Pour cette plainte, la femme doit prouver tout d’abord l’existence d’une relation sexuelle avec l’homme qu’elle poursuit. Le juge doit trancher en s’appuyant sur des documents réels (un document écrit par le couple, une correspondance entre eux …) et des témoignages qui attestent de l’existence de cette relation. Dans ces affaires, l’homme n’est pas forcé à effectuer un test ADN. « Les contentieux de la filiation dure souvent plus de trois ans. La femme se trouve dans un labyrinthe judiciaire douloureux et compliqué » dit Me al-Dakar.

« Au-delà de ce blocage juridique, l’essence de cette loi est évidente: Punir et humilier les femmes » dit Intsar al-Saeid, présidente du Centre pour le développement et la loi au Caire. « L’Etat voit d’un mauvais œil cette femme qui a une relation sexuelle hors mariage. Cette loi a clairement pour but de maitriser et de réguler le comportement de la femme » précise-t-elle.

Le centre de Mme al-Saeid défend cette année cinq femmes qui sont allées en justice pour régler un problème de filiation. Parmi elles, deux ont des actes de mariage officiels, mais leur mari refuse de reconnaitre l’enfant, celui-ci étant de sexe féminin. Quatre affaires similaires avaient été accueillies l’an dernier par le centre.

Cependant, La plupart des femmes qui déposent des poursuites pour l’affiliation sortent perdantes, puisque les juges voient ces femmes comme des coupables et non des victimes, selon l’avocat Taha Aboul Nasser. « Ces femmes ne peuvent pas facilement apporter la preuve de la relation, tandis que la majorité de ces relations ont eu lieu sans documentations – en pensant qu’elles se marieraient avec ces hommes à l’avenir. Cela s’accompagne du manque de sympathie des juges et de la société envers elles ». Aboul Nasser se rappelle une cliente qui a perdu son affaire en 2016, après cinq ans de procédures, par manque de preuves.

En septembre 2016, une cour égyptienne a livré un verdict qui démentait la paternité de Gamal Maraouan, homme d’affaires égyptien, à un enfant né hors mariage d’une chanteuse libanaise après plus de quatre ans de dispute dans les couloirs des tribunaux.

Soutenues ni par la société, ni par les juges, ces femmes ne le sont pas plus par les législateurs. Pour Amena Nosseir, député et membre de la commission religieuse au Parlement, ce sont elles, les femmes, qui se mettent dans l’embarras. « Elles ont accepté de nouer des relations sexuelles hors mariage et renoncé à leur pudeur », assène-t-elle.

Toutefois, la députée trouve que la loi sur la filiation devrait être actualisée. « Il faut également mettre fin aux tentatives des hommes de refuser de reconnaitre leurs enfants innocents en exploitant les échappatoires juridiques. Le test ADN pourrait facilement démontrer la filiation » ajoute-t-elle. La députée explique qu’elle travaille avec d’autres élus à un projet de loi sur ces questions, qui devrait être examiné pendant la session prochaine prévue en octobre.

Mais sera-t-il facile d’entériner un amendement sur cette loi ? « Non », répond Intsar al-Saeid en indiquant que les autorités religieuses en Égypte ont contré toutes les récentes tentatives. « Les autorités religieuses pensent qu’amender la loi et octroyer facilement une paternité à un enfant né hors mariage pourrait « libéraliser » davantage les mœurs des femmes et par conséquent, augmenter ces relations en dehors du mariage » dit-elle. En 2010, al-Azhar, la plus haute autorité religieuse a contré l’application d’un amendement permettant aux enfants nés hors mariage de prendre le nom de leur grand-père (le père de leur mère).

Vivre dans le rejet et la stigmatisation

Ce blocage juridique est attesté dans plusieurs pays de la région. Ainsi en Tunisie, souvent cité comme « l’exception arabe » en matière de droit des femmes, une loi islamique similaire est appliquée, n’imposant pas aux hommes d’effectuer de test ADN. Au Maroc, une affaire de filiation avait fait couler beaucoup d’encre en 2017. La cour d’appel a annulé en octobre un verdict qui reconnaissait pour la première fois la paternité d’un enfant né hors mariage. Et comme en Égypte, ces « brebis galeuses » - femmes et enfants – doivent rester dans l’ombre.

En parallèle d’une bataille juridique longue et éprouvante, les femmes cherchant à établir la filiation paternelle de leur enfant doivent faire face au rejet des familles et à la stigmatisation de la société.

« Regarde mes messages sur Facebook. Beaucoup des personnes m’envoient des messages d’insultes ou tentent me font des avances déplacées », raconte Samah Abdel Salam. Jusqu’à aujourd’hui, elle a déposé trois plaintes pour harcèlement, contre des personnes qui la décrivent comme une femme de « mauvaise réputation », ayant de multiples relations sexuelles.

En janvier 2017, l’histoire de Hadeer Mekawy a fait scandale en Égypte. Connue sous le nom « single mother », elle avait raconté sur Facebook sa relation secrète avec son ancien compagnon, de laquelle est né un enfant. Deux mois plus tard, elle a révélé avoir été chassée de son travail et rejetée par sa famille. « Je ne peux même pas marcher dans la rue », avait-t-elle alors déploré dans une interview au site indépendant Masr al-Arabia.

This article has been translated from French.