ONU : un pas en avant pour la promotion de la couverture santé universelle

Au moins 400 millions d’individus dans le monde, – soit une personne sur 17 –, n’ont toujours pas accès aux services de santé les plus basiques. C’est dans un objectif humaniste et égalitaire que l’OMS a formulé l’idée qu’il faudrait établir une couverture santé universelle (CSU). Il s’agit de faire en sorte que tous les êtres humains aient accès aux services de santé dont ils ont besoin sans que cela n’entraîne pour eux de difficultés financières.

La 74e Assemblée générale de l’ONU, réunie à New York en septembre 2019, en présence de 143 chefs d’État et de gouvernement, a décidé, lors de sa réunion de haut niveau sur la couverture santé universelle, le 23 septembre 2019, de lancer un plan mondial pour parvenir à la CSU. Les États membres ont adopté une déclaration politique sur la santé pour tous. Elle constitue l’ensemble le plus complet d’engagements en matière de santé jamais adopté au niveau international.

L’objectif d’une couverture santé universelle pour 2030 (CSU 2030) est l’une des cibles que les pays du monde se sont fixées lorsqu’ils ont adopté les objectifs de développement durable (ODD) en 2015. Cet objectif avait déjà été formulé en 2012 par l’Assemblée générale, qui avait alors adopté, à une très large majorité, et à l’initiative notamment de la France, une résolution sur la santé mondiale et la politique étrangère où elle invitait les pays à accélérer leurs progrès vers la couverture santé universelle (CSU). Cet objectif a été repris en septembre 2015 par la résolution Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030.

Les pays doivent investir au moins 1% supplémentaire de leur PIB dans les soins de santé primaires pour éliminer les lacunes flagrantes de la couverture santé.

L’OMS, agence spécialisée de l’ONU en matière de santé, créée en 1948 et visant à amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible, développe depuis longtemps des réflexions sur la manière d’y parvenir. La CSU prend ses racines dans la Constitution de l’OMS, adoptée en 1948, qui fait de la santé l’un des droits fondamentaux de tout être humain, et dans la Stratégie mondiale de la santé pour tous, lancée en 1979. Depuis 2017, le 12 décembre a été proclamé Journée internationale de la couverture santé universelle par les Nations Unies.

Certes, la couverture sanitaire universelle ne signifie pas la couverture gratuite pour toutes les interventions possibles ; mais elle concerne à la fois les services de traitement individuel, la prévention, et les campagnes de santé publique.

L’objectif de « socle de protection sociale »

L’OMS, qui observe que 100 millions de personnes basculent chaque année dans la pauvreté parce qu’elles doivent payer leurs soins de leur poche, a appelé, pour la mise en place de la CSU, à un vaste effort redistributif des pays riches envers les pays pauvres.

La CSU rejoint l’objectif de « socle de protection sociale », promu par l’OIT avec la collaboration de l’OMS depuis 2010. Lors de son allocution à la 65e Assemblée mondiale de la santé, en mai 2012, Margaret Chan, directrice générale de l’OMS, a affirmé que « la couverture universelle en matière de santé constitue le concept le plus efficace que la santé publique puisse offrir ».

Dans la définition qu’en donne l’OMS, « la CSU consiste à veiller à ce que l’ensemble de la population ait accès aux services préventifs, curatifs, de réadaptation et de promotion de la santé dont elle a besoin et à ce que ces services soient de qualité suffisante pour être efficaces, sans que leur coût n’entraîne des difficultés financières pour les usagers ».

En mai 2013, le président de la Banque Mondiale, Jim Yong Kim, s’est engagé devant l’Assemblée mondiale de la santé à agir dans le sens de la CSU. L’Union européenne soutient également l’objectif CSU 2030. Mais ce sont aussi et surtout les pays du Sud qui ont beaucoup poussé en direction de cet objectif. Plusieurs gouvernements ont déjà commencé à aller dans ce sens : la Chine, la Thaïlande, l’Afrique du Sud et le Mexique sont parmi les premières puissances émergentes à avoir accru de manière importante leurs dépenses publiques de santé. Et nombre de pays du Sud comme l’Indonésie, l’Inde, le Vietnam, le Mali, la Sierra Leone, la Zambie, le Rwanda, le Ghana et la Turquie l’incluent dans leurs priorités nationales et/ou ont instauré des systèmes d’accès gratuit aux soins pour une partie de la population, premiers jalons vers la création d’une CSU. L’Equateur a, dans sa nouvelle constitution de 2008, affirmé le droit à la santé et à la gratuité des services publics de santé. Et le Sénégal a, en septembre 2013, adopté la CSU.

Quel financement pour la CSU ?

Si la nécessité de l’objectif de la CSU semble faire aujourd’hui consensus entre tous les acteurs de la « santé globale », la question du financement fait l’objet de désaccord. Il existe différentes approches possibles : en passant par des dépenses fiscales accrues, par des cotisations sociales prélevées dans le cadre d’un système solidaire d’assurance-maladie, par la mise en place de mutuelles ou d’organismes d’assurances privées, ou bien le paiement direct des patients eux-mêmes, impliquant le versement de cotisations qui peuvent être subventionnées par la puissance publique, et laissant à la charge aux patients une part plus ou moins importante de paiement directs, selon la nature des soins et services requis.

On note cependant que pour la plupart des parties prenantes au consensus sur la CSU, et notamment pour l’OCDE, les prestataires privés sont vus comme nécessaires au secteur.

Pour certains, l’objectif de CSU, en lui-même objectif transformateur, inclusif et englobant, semble être détourné de son caractère progressiste pour être pris dans une acception plus néolibérale. C’est ce qu’explique l’économiste et diplomate française Laurence Tubiana, présidente du conseil d’administration de l’Agence française de développement :

« malheureusement, sous couvert de CSU, de nombreux États et bailleurs de fonds promeuvent et mettent en place des régimes d’assurance volontaire privés et communautaires qui offrent en réalité une couverture restreinte, coûtent cher en gestion et excluent les plus démunis ». Ces régimes contribuent à renforcer les inégalités.

La CSU cristallise ainsi les clivages. Certains gouvernements estiment que sa définition reste imprécise et sa mesure incertaine. Les moyens à mettre en œuvre sont laissés à la souveraineté des États (conseillés et soutenus par les organisations internationales, mais aussi les ONG, fondations, firmes, etc.) en fonction des priorités et contextes nationaux. Le concept de CSU apparaît donc à géométrie variable.

Comme l’observent la sociologue française Blandine Destremau et ses collègues, dans un article de la Revue Tiers Monde en 2013 : « Tendu entre une conception en termes de marché, et une vision en termes de bien public, le référentiel de CSU est écartelé », soumis à des pressions de la part de firmes, d’organismes privés non lucratifs, d’églises, d’ONG et de fondations, qui occupent de larges pans du « marché » de la santé, dont certains voient dans la CSU un moyen de l’élargir.

L’OMS quant à elle semble avoir une conception plus progressiste de la CSU, estimant qu’« il n’existe aucune preuve que les prestataires de services financés/détenus par des intérêts privés soient plus ou moins efficients que les alternatives financées/détenues par les gouvernements et que c’est à la puissance publique qu’il revient en dernière analyse de donner sa forme définitive au système de santé ».

L’OMS a fait valoir que faire payer les soins à l’usager constitue la « méthode la plus inéquitable pour financer les services de santé ». Or, de nouveau, en 2019, le Secrétaire général de l’ONU a affirmé que les faits montrent que la couverture sanitaire universelle est un moteur de croissance économique pour les particuliers, les familles, les entreprises et les sociétés dans leur ensemble et que la santé est à la fois facteur et conséquence du progrès économique et social.

Il appartient à l’OMS, désormais pour la première fois dirigée par un Africain (l’Ethiopien T.A. Ghebreyesus), et aux forces progressistes, de modeler le concept de CSU dans le sens de la justice sociale. Et, comme l’observent Blandine Destremau et ses collègues, « la CSU pourrait jouer un rôle dans la transformation du concept de "santé globale" en un concept plus positif, en le faisant évoluer vers un objectif commun de couverture sanitaire pour tous ». Il ne s’agirait plus seulement de lutter contre des problèmes de santé qui transcendent les frontières, « mais de promouvoir des systèmes de santé nationaux robustes et efficients, intégrant la prévention ».