Pakistan: Obsèques collectives pour les victimes de l’usine dévastée par un incendie

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Riaz Ahmad, âgé de 32 ans, était conducteur de machine chez Ali Enterprises, une usine d’habillement située à Karachi, la plus grande ville du Pakistan.

Ali Enterprises était le principal fournisseur de la marque allemande de prêt-à-porter à bas prix KIK.

Riaz travaillait dans l’équipe du matin. Le 11 septembre 2012, il est parti de chez lui à 8h30, promettant à sa femme de rentrer pour 16h30.

Il pleuvait beaucoup ce jour-là et il est resté plus longtemps que prévu à l’usine. Il a téléphoné à sa femme à 17h45.

«Il toussait au téléphone. Il m’a dit que l’usine était en flammes. ‘C’est impossible de sortir. Si je ne reviens pas, prends bien soin de mes enfants.’ C’était la dernière fois que j’entendais sa voix», témoigne la femme de Riaz, Nazia Perveen, âgée de 30 ans.

Riaz Ahmad figure parmi les 252 victimes (selon les estimations officielles) de l’incendie de l’usine Ali Enterprises ce 11 septembre 2012, décrit comme l’une des pires catastrophes industrielles de l’histoire du Pakistan.

Mais la dépouille mortelle de Riaz n’a toujours pas été rendue à sa famille. Vingt-trois autres familles pakistanaises sont dans le même cas.

Jusqu’à présent, 17 corps sont encore à la morgue d’Edhi à Karachi et, malgré les trois tests ADN réalisés sur les victimes, les corps n’ont toujours pas été identifiés.

Au cours de ces derniers mois, les familles ont refusé de donner leur accord pour la célébration d’un enterrement collectif parce qu’elles voulaient que le gouvernement leur garantisse au préalable qu’elles recevraient des indemnités compensatoires.

«Il gagnait 30.000 PKR (300 USD) et nous vivions confortablement, mais j’ai tout perdu après sa mort. Je dois vendre mes bibelots en or et d’autres objets pour faire vivre ma famille. Je n’ai pas reçu d’indemnités parce que le corps de mon mari n’a pas été identifié», explique Nazia Perveen.

Les dirigeant(e)s syndicaux ont dit qu’au moins 262 employé(e)s avaient perdu la vie dans l’incendie, mais seules les familles de 212 victimes ont reçu des chèques d’indemnisation.

Le gouvernement a prévu d’envoyer les certificats de décès aux familles de 17 victimes et, le dimanche 10 février, les familles ont fini par accepter de célébrer des obsèques collectives pour les corps calcinés qui attendent à la morgue.

Or, un problème subsiste aujourd’hui: il y a 17 corps mais au moins 24 familles qui disent avoir perdu un proche dans le sinistre.

«En effet, il est à craindre que seuls certains corps aient été retrouvés et que d’autres, réduits en cendres par la violence de l’incendie, aient été déblayés avec les décombres de l’usine», précise Shujaah Qureshi, chercheur de haut niveau au Pakistan Institute of Labour Education and Research (institut pakistanais de formation et de recherche sur le travail).

«Pour l’instant, 212 familles ont reçu 900.000 PKR (9000 USD) au titre de compensation. La société allemande KIK a également accepté de verser un million USD. Nous avons essayé d’utiliser cet argent pour indemniser les familles qui n’avaient encore rien perçu.»

Il ajoute que cet incendie survenu à Karachi n’a pas vraiment changé la situation des travailleurs/euses.

«Après l’accident, le gouvernement a voulu faire preuve de sérieux en garantissant la sécurité au travail mais peu de temps après, tout était redevenu comme avant. Les propriétaires des usines ont trop de pouvoir au Pakistan», affirme-t-il.

Selon Nasir Mansoor, dirigeant de la National Trade Union Federation (fédération syndicale nationale – NTUF) basée à Karachi, le gouvernement est complice du crime contre les travailleurs/euses.

«Au moins 1500 personnes travaillaient chez Ali Enterprises, mais seulement 190 étaient déclarées officiellement. La plupart des ouvriers de l’usine travaillaient sous contrat avec des tiers et c’est pourquoi nous ne connaissons pas le nombre exact de personnes qui sont décédées le 11 septembre», ajoute Nasir Mansoor.

De nombreux ouvriers ont péri parce qu’ils n’ont pas pu échapper à l’incendie qui faisait rage dans le bâtiment; en effet, une seule sortie était accessible, toutes les autres portes étant fermées à clé.

Nasir Mansoor déclare par ailleurs que le gouvernement soutient les propriétaires d’usines.

En décembre, le Premier ministre pakistanais, Raja Pervaiz Ashraf, a demandé à ce qu’une nouvelle enquête soit menée et à ce que les accusations de meurtre contre les propriétaires de l’usine soient abandonnées.

Le 11 février, un tribunal pakistanais a accordé la libération sous caution des deux propriétaires et de deux de leurs employés.

D’après un fonctionnaire d’État, qui souhaite garder l’anonymat, le personnel administratif de l’usine reconnaît que les portes de l’usine étaient fermées à clé pour empêcher les travailleurs/euses de quitter leur poste de travail ou de voler du tissu ou du matériel.

«À la base, les bâtiments étaient conçus pour une petite industrie de bonneterie, d’une capacité agréée pour 250 travailleurs maximum. Mais le propriétaire de l’usine a transformé la bonneterie en fabrique de vêtements en cuir et en jean, il a construit illégalement deux niveaux supplémentaires et embauché 1500 ouvriers», indique-t-il.