Papouasie occidentale: extraction minière dans un territoire occupé oublié du monde

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C’est une région riche en ressources naturelles, qui fournit la majeure partie des recettes fiscales du quatrième pays le plus peuplé au monde, et dans cette zone placée de facto sous régime militaire, les militants disparaissent, sont incarcérés, torturés, et tués.

Alors pourquoi la communauté internationale ne connaît-elle pas mieux la Papouasie occidentale* ?

*[Note de la rédaction: plusieurs noms sont utilisés en français pour désigner cette région: Nouvelle-Guinée occidentale, mais aussi Papouasie et Papouasie occidentale. Ces deux derniers servent aussi à désigner les provinces administratives appartenant à l’Indonésie. À ne pas confondre avec la Nouvelle Guinée, qui désigne toute l’île, et avec l’État indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée.]

Tout simplement parce que cette région rebelle, située à l’extrême est de l’Indonésie, est le théâtre de « l’un des conflits armés les moins médiatisés au monde », affirme Bob Dietz, directeur Asie-Pacifique du Comité pour la protection des journalistes, au sujet de ce conflit qui dure depuis plus de 50 ans.

Il n’existe pas de statistiques officielles, mais on estime que les autorités indonésiennes auraient tué entre 100.000 et 500.000 Papous.

Cela fait 40 ans que les médias et les organisations de défense des droits de l’homme n’ont quasiment plus accès à la Papouasie occidentale, ce qui explique ce silence médiatique.

Freeport-McMoRan, géant américain de l’industrie minière, n’est pas étranger à cette situation. Bien que son siège se situe à Phoenix, en Arizona, soit à près de 15.000 kilomètres de la capitale indonésienne Jakarta, cette société est le premier contribuable du pays.

En 2014, Freeport a ainsi versé la somme colossale de 1,5 milliard de dollars US aux caisses de l’État indonésien.

Évidemment, une part considérable de son chiffre d’affaires et de ses bénéfices dépend de ses activités en Papouasie, ce qui implique d’autres conséquences.

« Pour fonctionner, Freeport a grand besoin de l’appui des pouvoirs publics en termes de sécurité », explique Andreas Harsono, chercheur indonésien auprès de Human Rights Watch.

« Dans des régions isolées comme la Papouasie, cela signifie moins de surveillance et potentiellement davantage de violations des droits dans leurs activités d’exploitation minière. »

En effet, la police nationale et l’armée sont chargées du « maintien de l’ordre » afin de permettre à la société d’extraire le cuivre et l’or sans encombre, et donc d’envoyer des recettes fiscales à Jakarta.

Freeport exploite notamment l’impressionnante mine de Grasberg, l’une des plus grandes mines à ciel ouvert du monde, avec la participation minoritaire de Rio Tinto, autre géant mondial de l’industrie minière. L’accès au site par des personnes extérieures est extrêmement restreint.

« Pour plaisanter, je dis souvent que si Jésus lui-même voulait visiter la Papouasie [occidentale], je ne pense pas qu’il obtiendrait un permis », ajoute Harsono. En effet, les autorisations officielles doivent être signées par 18 ministères et organismes de sécurité différents : une vraie mission impossible.

« Une administration qui exige autant de signatures pour un permis, c’est un signe qu’il doit se passer des choses extrêmement graves dans cette zone. »

 

Une oppression de longue date

La Papouasie occidentale (que l’administration de Jakarta appelle simplement Papouasie) représente depuis longtemps une véritable mine d’or pour les puissances mondiales ambitieuses.

Elle a tour à tour été contrôlée par l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Australie, avant d’être annexée par l’Indonésie en 1969 suite à un référendum organisé par l’armée, lors duquel un millier de représentants triés sur le volet ont été contraints de voter en faveur du rattachement.

La Papouasie occidentale a ensuite été dirigée d’une main de fer sous l’« Ordre nouveau » établi en Indonésie par le général Soeharto.

« Soeharto était un dictateur brutal, qui traitait les Papous comme des animaux et a ordonné de nombreux bombardements et massacres en Papouasie occidentale », confie Benny Wenda, leader de la Free West Papua campaign (campagne pour une Papouasie occidentale libre), interrogé par Equal Times.

Ces attaques visaient principalement à anéantir les velléités d’indépendance de la région et à forcer la population à devenir indonésienne.

Wenda vit aujourd’hui en exil au Royaume-Uni et parcourt le monde pour sensibiliser la communauté internationale aux atrocités commises par l’Indonésie à l’encontre de son peuple.

Il a été personnellement témoin de ces exactions dans son enfance, lorsque l’armée indonésienne a bombardé son village et tué des membres de sa famille.

Les ressources naturelles ont joué un rôle primordial dans le destin des Papous.

Freeport s’est installé dans la région à peine quatre ans après son annexion. C’est le début d’une longue relation, qui s’avère fructueuse pour la société minière, le gouvernement indonésien ainsi que quelques autres.

Pendant ce temps, la population de Papouasie occidentale endure de grandes souffrances.

L’espoir renaît lors de la chute de la dictature de Soeharto en 1998, qui donne lieu à des élections libres dans l’archipel et même à un référendum pour l’indépendance du Timor oriental, lui-même envahi et annexé par l’Indonésie en 1975 et victime de la même répression sanglante.

Mais cette perspective s’avère être un faux espoir pour la Papouasie occidentale.

« Un référendum sur l’indépendance semblait imminent, mais le nouveau gouvernement indonésien a soudain eu très peur de perdre la Papouasie occidentale », raconte Wenda.

« Theys Eluay [leader de l’indépendance des Papous] a alors été assassiné par les autorités indonésiennes, et depuis, la situation en Papouasie occidentale n’a cessé d’empirer. Aucun gouvernement indonésien n’a jamais vraiment tenté d’améliorer la situation des droits de l’homme ou de favoriser l’autodétermination depuis ce jour. »

Ce qui a changé, en revanche, c’est que les investissements en faveur de l’exploitation des ressources ont encore augmenté, et que les migrants ne cessent d’arriver de Java et de Sumatra, les deux îles les plus peuplées d’Indonésie, pour travailler dans ce secteur.

« Les migrations internes sont tellement importantes en Indonésie que les Papous sont sur le point de devenir minoritaires sur leur terre natale traditionnelle », s’inquiète Dietz.

Seule la moitié environ des 3,5 millions d’habitants de l’île appartient aux centaines de groupes ethniques papous mélanésiens, le reste de la population étant composée de migrants javanais, soundanais, malais et madurais, presque tous arrivés après 1969.

En outre, l’exploitation de la Papouasie ne devrait pas s’arrêter là, puisque l’Indonésie prévoit d’étendre les plantations d’huile de palme sur des terres forestières traditionnelles et d’augmenter les revenus miniers en aval en construisant des fonderies et d’autres sites industriels le long de la côte.

« Je me demande comment le gouvernement utilise l’argent de [tous ces] impôts », s’interroge Eric Samudra, chercheur à Jakarta dans le domaine de la gouvernance. « Est-il utilisé dans l’intérêt de la population, en particulier des Papous ? Évidemment, la réponse est non. »

 

Une population désengagée

Malgré la mort de quatre manifestants, tués par des policiers en décembre dernier, la plupart des Indonésiens ne se prononcent pas sur le fait que leur gouvernement occupe le territoire d’une population minoritaire, essentiellement non musulmane, qui mène une fragile insurrection pour la liberté et la justice.

« Le problème, c’est que la plupart des gens choisissent de ne rien faire, tandis que quelques autres pensent qu’il n’y a rien à faire », affirme Samudra.

Toutefois, des documentaires récents tels que The Act of Killing, nominé aux Oscars, ouvrent peu à peu les yeux des Indonésiens sur le passé trouble de leur pays, notamment la répression sanglante du tout jeune parti communiste dans les années 1960.

John M. Miller, coordinateur national du East Timor & Indonesia Action Network, qui publie un rapport mensuel sur la situation en Papouasie occidentale, pense que malgré la sensibilisation de la population, on est encore loin d’une réelle évolution.

« Le silence commence à se briser, mais on n’assiste pas encore à une prise de conscience générale. »

Le président Joko Widodo, dit « Jokowi », a promis de favoriser le développement des îles périphériques de l’Indonésie et de leur accorder davantage d’autonomie, et les assassinats de décembre dernier ont mis la Papouasie au centre des efforts de son administration.

Mais on ignore encore s’il parviendra réellement à changer la situation en Papouasie.

« Nous croyons que le président Jokowi aimerait faire bouger les choses en Papouasie, et il a déjà pris certaines mesures en ce sens », affirme Harsono, qui rappelle la promesse faite par le chef d’État de se rendre régulièrement dans la région et de prêter attention aux préoccupations locales.

« Mais il n’est pas facile de faire évoluer la sécurité et la bureaucratie civile en Papouasie [occidentale]. »

C’est l’une des raisons pour lesquelles de nombreux militants papous (notamment Wenda), las des beaux discours, demandent un référendum.

« Nous pensons qu’il n’y a pas d’autre solution que l’indépendance totale de la Papouasie occidentale. »

Sur le terrain, la politique du gouvernement semble prendre la direction opposée, comme en témoigne l’annonce récente de la construction d’une fonderie, qui sera exploitée par Freeport et par un partenaire indonésien, sur des terres traditionnelles des Kamoro longeant la côte de la mer d’Arafura, au sud des exploitations minières que Freeport possède déjà dans la région.

Ce projet a fait l’objet de négociations entre le gouvernement indonésien et Freeport, sans consultation préalable de la population locale.

Naturellement, des groupes locaux s’opposent à cette fonderie, qui menace selon eux de polluer davantage leurs terres et de détruire leur mode de vie traditionnel. Si ce projet voit le jour, il risque fort de provoquer des tensions.

Dominikus Mitoro, président suppléant du conseil consultatif d’une organisation autochtone kamoro, a déclaré publiquement que « Freeport et les autres investisseurs rencontrer[aient] des difficultés sans fin » et qu’« aucune entreprise ne pourra[it] fonctionner correctement tant qu’elle ne quittera pas [ces terres] ».

Selon les militants, l’accès des médias à la Papouasie occidentale est plus que jamais indispensable afin d’attirer l’attention du monde entier sur ce projet de fonderie et permettre à la communauté internationale de connaître la situation des droits de l’homme dans la région, mais aussi le rôle joué par Freeport dans ce contexte.

Cette perspective semble toutefois peu réaliste pour l’instant.

« Les dirigeants indonésiens semblent bien décidés à éviter de perdre une autre partie de ce vaste archipel, ce qui pourrait arriver s’ils laissaient des journalistes gênants, qu’ils soient d’Indonésie ou d’ailleurs, dévoiler ce qui se passe en Papouasie », déclare Dietz.

Freeport-McMoRan s’est refusé à tout commentaire concernant cet article.