Pêcheur en Atlantique nord-est : une vie au rythme des traits de chalut

Pêcheur en Atlantique nord-est : une vie au rythme des traits de chalut
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[Cet article a été publié une première fois sur Equal Times en août 2016 et a été réactualisé.]

Avec le doublement de la population mondiale depuis 1960 ainsi que le changement des comportements alimentaires, la quantité de produits de la mer pêchés pour l’alimentation humaine a radicalement augmenté pour atteindre plus de 171 millions de tonnes en 2017. Entre 2012 et 2017, elle a augmenté de 14 millions de tonnes. Cela représente près de 5.400 kilogrammes par seconde. Soixante pour cent de cette pêche est composée de poissons sauvages.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organisation of the United Nations – FAO), un Européen consomme aujourd’hui en moyenne 27 kilos de produits de la mer par an, dont 21,7 kilos de poissons, avec de fortes disparités cependant entre pays.

Afin d’alimenter la grande distribution, d’énormes bateaux usines sillonnent différentes zones de pêche selon le produit qu’ils visent. Cette pêche industrielle, appelée aussi « grande pêche », est fortement subsidiée par les pouvoirs publics.

Les pêcheurs industriels perçoivent « par tête » en moyenne 187 fois plus de subventions au gasoil par an que les pêcheurs artisanaux. Pourtant, la pêche industrielle génère moins d’emplois – avec 200 pêcheurs industriels pour 1.000 tonnes de poissons contre 2.400 pêcheurs artisanaux pour le même volume. Qui plus est, la « grande pêche » est beaucoup plus vorace en matière de rejet [prise collatérale jetée à la mer, ndlr].

Les bateaux industriels actuels sont de véritables usines flottantes où le travail est entièrement pensé et organisé à la chaîne. Les marins demeurent sur leur lieu de travail pour une durée de 27 jours. Durant cette période, ils vivent, mangent et dorment en fonction de la charge de travail à fournir. L’Atlantique nord-est est la quatrième zone de pêche au niveau mondial. Principalement exploitée par des armateurs européens, cette région contribue à plus de 70 % des captures communautaires.

Le photojournaliste Pierre Vanneste a embarqué, en 2016, pendant 15 jours à deux reprises, avec ces travailleurs de la pêche industrielle afin de rendre compte de leur réalité quotidienne.

 

L’essentiel des bateaux qui pêchent dans l’Atlantique nord-est sont des gros chalutiers. Ils sont équipés d’une usine pour trier et éviscérer le poisson ainsi que d’une cale frigorifique de stockage qui peut aller jusqu’à 1.000 tonnes.

Photo: Pierre Vanneste

L’essentiel des bateaux qui pêchent dans l’Atlantique nord-est sont des gros chalutiers – norvégiens, islandais, russes, danois, anglais, espagnols et français – allant de 30 à 48 mètres de long. Ils sont équipés d’une usine pour trier et éviscérer le poisson ainsi que d’une cale frigorifique de stockage qui peut aller jusqu’à 1.000 tonnes.

 

« Une fois embarqué et arrivé dans la zone de pêche, le travail ne s’arrête jamais, jusqu’à ce que les cales soient pleines » confie François, un ancien marin pêcheur sur ce chalutier de « grande pêche ».

Photo: Pierre Vanneste

À bord, les marins vivent au rythme des machines et des traits de chalut, allant grappiller quelques heures de sommeil entre un repas et le travail de tri dans l’usine. Lorsque l’alarme sonne pour alerter que le chalut est plein, tout le monde se lève et se précipite au vestiaire, pour vite avaler une tasse de café avant de monter sur le pont.

 

Sur les plus gros chalutiers, un coup de chalut équivaut à environ 12 tonnes de poissons, quand celui-ci est bien rempli. Une fois remonté à bord, il est vidé dans une trappe située sur le pont afin d’être envoyé à l’usine au pont inférieur.

Photo: Pierre Vanneste

À chaque trait, les prises annexes sont nombreuses. Près d’un tiers d’un coup de filet est rejeté à la mer. Les espèces protégées ou réglementées (comme par exemple certaines espèces de raies et de requins) prises par erreur dans les filets n’échappent pas à cette équation, et c’est le plus souvent mortes qu’elles sont rendues à leur milieu naturel.

En 2015, l’Union européenne a établi un règlement pour gérer ces rejets. Celui-ci oblige – progressivement – les bateaux à ramener à terre les prises annexes. Elles sont ensuite vendues à bas prix et servent à fabriquer de la farine destinée à l’élevage agricole et piscicole. Malgré tout, même si à partir d’aujourd’hui les prises annexes seront comptabilisées dans les quotas, certains estiment que ce règlement ne solutionne pas le problème de la substitution de ces espèces au milieu marin et ne fait que servir un marché dans le but d’une production toujours plus importante, sans aucun réel plan de gestion de la ressource.

 

Lorsque le chalut est remonté à bord, il arrive que son filet soit déchiré par de la roche rencontrée dans le fond ou simplement par usure. On met alors le chalut de réserve en pêche et l’on déroule les 70 mètres de chalut à ramender – réparer – sur le pont.

Photo: Pierre Vanneste

En cas de très grosse avarie, le ramendage additionné au travail d’usine peut durer plusieurs heures, parfois plus de 24 heures. Le travail s’enchaîne alors entre ramendage, usine, remontée de chalut… sans laisser une minute de repos aux matelots.

 

Le plus difficile et le plus long à bord, c’est le travail répétitif de tri du poisson. Situé au pont inférieur, l’usine est l’endroit où le poisson est trié, éliminant ceux trop petits, abîmés, ou non conformes à la commercialisation, avant d’être éviscéré.

Photo: Pierre Vanneste

« Il faut être capable de tenir au travail d’usine. Quand tu es occupé à étriper durant plus de quatre heures, au bout d’un moment t’es complètement déphasé. T’attends juste le moment où tu pourras aller te reposer, prendre une douche... Mais lorsque t’as fini de trier, que tu as à peine le temps d’avaler un café et que l’alarme retentit à nouveau... Oui, là, c’est dur. C’est très dur, » affirme François.

 

En mer, les marins reçoivent par fax les ventes de la marée précédente qui sont affichées dans le carré – l’espace de vie et cantine.

Photo: Pierre Vanneste

En mer, les marins reçoivent par fax les ventes de la marée précédente qui sont affichées dans le carré – l’espace de vie et cantine. Ils y consultent la liste des prix de vente et calculent leur part de pêche, selon un pourcentage propre à leur grade sur le navire. Celle-ci viendra s’ajouter à leur salaire, ce qui peut les encourager à tenir le coup face à la difficulté du travail et à la longueur des marées.

 

Tous les dix jours environ, le poisson est ramené à terre pour qu’il soit vendu. Une partie de l’équipage permute avant que le bateau ne reparte sillonner les mers pour remplir ses cales.

Photo: Pierre Vanneste

François conclut : « Aujourd’hui, le vrai problème est qu’on est toujours dans l’aberration des années 1970-80, où c’est le profit à outrance, où il faut absolument remplir les cales à bloc. C’est clair que si ça continue comme ça, ça ne va pas le faire. Il faudrait qu’il y ait une prise de conscience et qu’on fasse quelque chose. Mais bon, il y a trop d’enjeux pour chacun... »