Pour augmenter leurs salaires au Panama, les dockers rejoignent un syndicat américain

On voit un nombre impressionnant de taxis garés au terminal portuaire de Panama. Mais ils ne sont pas là pour conduire les dockers.

Ce sont les dockers eux-mêmes qui les conduisent.

Les salaires dans ce secteur au Panama sont si faibles qu’après avoir terminé leur journée de travail aux commandes des grues, les dockers doivent enchaîner au volant d’un taxi, juste pour pouvoir survivre.

Chez Panama Ports, toutefois, il y a du changement dans l’air. Il y a quelques semaines, le syndicat a signé un nouvel accord prévoyant des augmentations importantes.

Un grutier avec dix années d’expérience professionnelle qui touchait 6,73 USD de l’heure avant l’accord verra son salaire augmenter à 9,24 USD au cours des quatre prochaines années.

Un facteur qui a rendu cet accord possible a été le soutien du syndicat américain International Longshore and Warehouse Union.

Cet accord aura un impact déterminant sur la vie des travailleurs portuaires au Panama, où ce secteur a la triste réputation d’offrir des « salaires de faim ».

Les familles des ouvriers vivent sous le seuil de pauvreté officiel du gouvernement et dans certains cas sont littéralement affligées par la faim.

« C’est une des raisons pour lesquelles l’entreprise devait constamment embaucher de la nouvelle main-d’œuvre », se souvient Ramiro Cortez, un dirigeant du syndicat panaméen des travailleurs portuaires SINTRAPORSPA.

« La plupart des gens embauchés ne travaillaient ici que le temps de trouver un meilleur emploi ailleurs. Beaucoup d’accidents auraient pu être évités au port si les travailleurs n’étaient pas si épuisés. Ils embraient à 7 heures et débrayent à 20 heures, puis ils enchaînent avec le taxi ou un autre job. »

Le port affiche un taux élevé d’accidents du travail. À la fin de l’année dernière, deux travailleurs sont morts en l’espace d’un mois.

Cinq comités ont été mis sur pied dans le cadre du nouvel accord, dont le plus important est le comité en charge de la sécurité.

« Le défi à présent consistera à mettre cet accord en application et à s’assurer que l’entreprise le respecte », insiste Alberto Ochoa, président du SINTRAPORSPA.

« Auparavant, l’entreprise faisait comme bon lui semblait et modifiait les horaires, les heures supplémentaires, les congés et les salaires selon son bon gré. À présent ils savent que nous ne sommes pas seuls. Les entreprises ne veulent pas de vrais syndicats parce que nous ouvrons les yeux aux travailleurs. »

 

Syndicats jaunes

Panama Ports est une filiale de la société Hutchinson Port Holdings Limited (HPH), basée à Hong-Kong.

De nombreuses années durant, les travailleurs du terminal ont été à la merci d’un syndicat « jaune » ou syndicat-maison.

En 2014, Ochoa et d’autres dockers à l’esprit indépendant engagés depuis longtemps dans la lutte pour tenter de changer cette situation ont finalement organisé un nouveau syndicat - SINTRAPORSPA.

Ils ont recueilli plus de 2000 signatures dans le cadre d’une pétition pour la reconnaissance syndicale et demandé la tenue d’élections sociales administrées par le gouvernement, dans le but de certifier l’organisation en tant que représentante officielle des travailleurs aux négociations collectives.

Toutefois, à l’issue du scrutin qui a eu lieu l’année dernière, le ministère du Travail a déclaré que 1500 travailleurs avaient voté contre SINTRAPORSPA.

Résultat invraisemblable aux yeux des travailleurs portuaires, qui avaient une bonne idée du nombre de votes qu’ils avaient réussi à rallier à leur cause.

Ils savaient, cependant, aussi que le président panaméen Juan Carlos Varela en personne est un partenaire dans le cabinet juridique spécialisé dans les actions antisyndicales auquel a fait appel Panama Ports.

Les travailleurs portuaires ont donc remis en cause la transparence de l’élection.

« Il était évident que nous avions le soutien de l’immense majorité des effectifs, y compris ceux qui appartenaient au syndicat-maison », se rappelle Cortez.

« Mais quand nous nous sommes rendus au ministère pour protester, ils ont tout fait pour nous arrêter. »

Ochoa et Cortez ont alors fait appel au syndicat ILWU, basé à San Francisco.

Ray Familathe et Greg Mitre, respectivement vice-président international de l’ILWU et président des retraités de l’ILWU en Californie du Sud se sont envolés pour Panama City pour s’y réunir avec le ministre du travail Luis Ernesto Carles Rudy.

Ils ont apporté avec eux une lettre signée par six congressistes américains demandant qu’il soit procédé à un nouveau vote.

Le gouvernement a accepté à contrecœur et à l’issue d’un vote équitable, SINTRAPORSPA s’est imposé avec une marge confortable.

« Le soutien de l’ILWU a été instrumental », dit Cortez.

« Les autorités panaméennes ne s’étaient jusque là jamais préoccupées du traitement qui nous était réservé. Avec tout l’argent dont elles disposent, ces puissantes entreprises se croyaient tout permis. »

L’impact de ce soutien solidaire a aussi été ressenti lors des négociations collectives subséquentes, qui ont débouché sur un accord au bout de seulement un mois.

Lors d’une des réunions avec les négociateurs, le PDG de l’entreprise s’est même dit « très préoccupé » par les relations de plus en plus étroites que le syndicat entretenait avec l’ILWU.

Ces expériences ont valu au syndicat panaméen des dockers de devenir l’affilié le plus récent de la Section Panama de l’ILWU.

La section fut créée en 2012 quand plusieurs centaines de membres du Syndicat des pilotes du Canal de Panama ont décidé de s’affilier à l’ILWU.

L’effectif de cette section a connu une croissance constante et compte à l’heure actuelle 2580 dockers employés chez Panama Ports.

D’après le capitaine Rainiero Salas, secrétaire général du Syndicat des pilotes du Canal de Panama :

« La Section Panama croît à mesure que les travailleurs se rendent compte de ce qu’ils peuvent gagner en travaillant ensemble. Et ce n’est pas près de s’arrêter là ».

Et Ochoa d’ajouter : « Les syndicats des ports et du Canal devraient faire cause commune afin que nous puissions parler d’une seule voix et obtenir de meilleures conditions et le respect pour tous les travailleurs. »

 

MIT

Les dirigeants de la Section Panama se réunissent aussi avec le Syndicat des travailleurs du terminal international de Manzanillo (MIT), qui représente les dockers de Colon, sur la côte Atlantique de l’isthme.

À l’instar de leurs confrères de Panama Ports, les dockers de Colon se sont, eux aussi, rebellé contre l’ancienne direction syndicale qu’ils considéraient trop proche du patronat et ont élu de nouveaux dirigeants il y a quelques mois.

Le terminal MIT est exploité par SSA Marine, une société multinationale dont le siège se trouve à Seattle, aux États-Unis.

D’après les travailleurs de Colon, les opérateurs des portiques de manutention travaillent par équipes de huit heures par jour, six jours sur sept sans interruption. Pour ça, ils touchent un salaire de base de 854 USD par mois, soit 4,27 USD de l’heure.

Le salaire de base d’un débardeur expérimenté travaillant dans le port de Seattle, ville de la maison-mère de SSA Marine, est de 35,68 USD par heure.

Les bas salaires des dockers panaméens sont, dans une large mesure, attribuables à la difficulté qu’ont les travailleurs au Panama à former des syndicats forts et à négocier des accords.

Mais la pauvreté est aussi une conséquence des politiques commerciales et économiques colportées par les corporations américaines et les négociateurs commerciaux du gouvernement des États-Unis qui représentent leurs intérêts.

Les États-Unis ont signé un accord de libre-échange avec le Panama en 2009.

« Dans ce pays », affirme Ramiro Cortez, « il n’existe pas de classe moyenne ». Il y a juste une classe supérieure et une classe inférieure. »

Le ressentiment à l’égard des États-Unis continue d’affleurer mais quand bien même l’ILWU au Panama ne remet pas directement en cause le passé colonial, il représente les intérêts des travailleurs en prônant des politiques progressistes en matière de salaires, de droits commerciaux et du travail, tout en défendant activement les travailleurs dans l’emploi.

L’année dernière, les pilotes, soutenus par la Section Panama, ont été engagés dans une lutte pour la sécurité opérationnelle des cargos gigantesques qui empruntent chaque jour le Canal.

L’Autorité du Canal a déployé un vaste projet d’expansion avec la construction de nouvelles écluses capables d’accueillir des porte-conteneurs titanesques de la catégorie Post-Panamax [qui représentent désormais 16% de la flotte mondiale de porte-conteneurs], d’une capacité de jusqu’à 13.000 conteneurs.

Le syndicat a critiqué le gouvernement en lui reprochant de refuser de travailler en coopération étroite avec les pilotes à l’élaboration de règles et procédures afférentes à la sécurité des opérations liées à ces navires plus imposants dans les nouvelles écluses.

Il est particulièrement inquiet concernant une nouvelle directive unilatérale du gouvernement qui envisage, pour la première fois, d’autoriser des navires à circuler côte à côte dans le passage étroit que constitue la Coupe Gaillard.

Jusqu’ici, les navires circulant en sens opposé devaient attendre, de sorte qu’un seul navire ne puisse traverser la Coupe à la fois.

Le gouvernement affirme que la Coupe a été élargie mais selon les pilotes, il n’y a pas suffisamment de marge d’erreur et les conséquences d’une collision éventuelle seraient désastreuses.

Les syndicats portuaires et maritimes panaméens sont également inquiets face aux manœuvres gouvernementales visant le retrait de la certification du syndicat représentant les capitaines de remorqueurs du Canal.

Ils craignent que les mêmes failles juridiques employées contre les capitaines ne puissent être utilisées pour affaiblir les syndicats des dockers au moment où ceux-ci commencent à améliorer les conditions de vie fondamentales des travailleurs.

« Notre principal objectif en tant que syndicat est d’améliorer la situation économique des travailleurs qui occupent le bas de l’échelle salariale, à savoir les débardeurs », souligne Ochoa.

« En tant que syndicat, nous continuerons à nous battre sans relâche pour obtenir de meilleures conditions, surtout au plan économique. »

 

Une version intégrale de cet article a initialement été publiée sur le site web International Longshore and Warehouse Union.