Pourquoi soutenir Julian Assange, c’est défendre la liberté d’information

Pourquoi soutenir Julian Assange, c'est défendre la liberté d'information

On 29 January 2019, Julian Assange’s supporters in Belgium organised a day of action in defence of the Wikileaks founder. A sculpture on Place de la Monnaie, in Brussels, representing Edward Snowden, Julian Assange and Chelsea Manning, pays tribute to whistleblowers and freedom of information.

(Frédéric Moreau de Bellaing)

John Shipton, l’infatigable père de Julian Assange, sourire en bandoulière, portait beau au Palais des Académies à Bruxelles, le 29 janvier dernier, à l’occasion de la remise par le réseau belge d’universitaires Carta Academica, de quatre Academic Honoris Causa. Une cérémonie organisée en l’honneur des lanceurs d’alerte Chelsea Manning et Edward Snowden et des journalistes Sarah Harrison et Julian Assange, qui « chacun à sa manière, a mis sa liberté, voire sa vie en danger pour défendre la liberté de la presse, la liberté d’expression et notre droit à l’information ».

Au micro, devant un public de militants et de défenseurs des libertés et des droits humains, le père du fondateur de Wikileaks répète inlassablement que son fils est en prison pour avoir dénoncé des crimes commis par d’autres. «Dans mon pays, l’Australie, mais aussi en Suède, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, c’est normalement répréhensible de dissimuler la vérité, surtout quand il s’agit précisément de… crimes ».

Et ce sont particulièrement les États-Unis et le Royaume-Uni qui sont visés par John Shipton, depuis que Julian Assange a publié partout dans le monde, et en particulier à l’intention des grands médias internationaux, plus de 250.000 câbles diplomatiques et 500.000 documents confidentiels portant sur les activités militaires américaines en Irak et en Afghanistan.

Cette publication a été possible grâce à sa source principale, l’ancienne analyste militaire Chelsea Manning, – actuellement emprisonnée pour son refus de témoigner dans l’affaire Assange –, qui a piraté les réseaux informatiques du ministère de la Défense américain. Wikileaks a notamment diffusé, en 2010, la vidéo « Meurtre collatéral » qui montre comment l’armée américaine, le 12 juillet 2007 à Bagdad, avait tiré depuis un hélicoptère Apache sur des civils, dont deux enfants et deux journalistes de Reuters présents sur place, faisant 18 morts.

Depuis la publication de cette vidéo, les présidents américains, Obama puis Trump, et la NSA veulent la tête du journaliste-hacker australien pour avoir dévoilé des informations classées « secret défense ». En cas d’extradition aux États-Unis, il risque 175 ans de prison pour « espionnage ».

Julian Assange est devenu l’homme à abattre de Washington, pour ne pas dire l’ennemi public numéro 1 ! « Depuis avril 2010, mon fils n’a cessé d’être persécuté », rappelle John Shipton. Poursuivi par la justice britannique pour avoir enfreint sa liberté conditionnelle en 2012, à la suite d’un mandat d’arrêt suédois dans une affaire d’accusations d’agression sexuelle, Julian Assange est entré dans l’ambassade d’Équateur, le 19 juin 2012, pour y déposer une demande d’asile politique, que lui a accordé l’ancien président équatorien Rafael Correa. « S’il a pu trouver refuge à l’ambassade d’Équateur à Londres de juin 2012 à avril 2019 », reprend son père, « il n’avait en revanche aucune possibilité de sortir des bâtiments. Il était déjà prisonnier ». En novembre 2019, le parquet suédois finit par abandonner les poursuites contre lui.

Mais après sept ans de claustration dans l’ambassade, le 11 avril 2019, le vent tourne et le nouveau président équatorien, Lenin Moreno, décide de lui retirer sa nationalité équatorienne. Il permet de facto à la police britannique de venir l’y cueillir et de pouvoir (bientôt) réaliser le vœu le plus cher des services américains, l’extrader vers les États-Unis, car, selon eux, Julian Assange aurait violé l’Espionage act de 1917. Depuis son arrestation, Assange est retenu à la prison de haute sécurité de Belmarsch, au Royaume-Uni.

Première audience : lundi 24 février

Ce 24 février 2020, s’ouvrira pour une semaine au Royaume-Uni la première audience qui statuera sur une possible extradition vers les États-Unis, avant une reprise pour trois semaines, le lundi 18 mai. « Si Assange est extradé vers les Etats-Unis, il n’aura aucune chance de bénéficier d’une justice équitable », détaillait Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg, le 27 janvier. « Assange subira plutôt une justice expéditive, comme celle du Royaume-Uni, il y a quelques mois : un procès au pénal, sans possibilités pour lui de préparer sa défense. Une audience sommaire, comme on en voit aujourd’hui en Turquie : 15 minutes, pas une de plus. Un quart d’heure après être entré dans le tribunal, Julian Assange était condamné, et même traité de ‘narcissique’ par le juge. » Nils Melzer a pu rendre visite à Julian Assange, le 9 mai 2019, dans sa prison et en est revenu convaincu que cette affaire était hautement politique.

Dans son rapport pour les Nations unies, le rapporteur spécial y décrit par le menu les traitements reçus par Assange considérés comme de la « torture psychologique », après sept années difficiles passées dans l’ambassade. « Assange n’a jamais mérité le placement à l’isolement pendant neuf mois, même s’il en est finalement sorti fin janvier », dit-il. « Je veux rappeler qu’on est dans un cas de torture psychologique au-delà de 15 jours d’isolement. »

En novembre 2019, une soixantaine de médecins avait écrit une lettre ouverte au ministre de l’Intérieur britannique pour faire part de leurs inquiétudes sur l’état de santé de l’Australien de 48 ans.

Le gouvernement britannique s’est bien gardé de répondre à toutes les questions gênantes du rapporteur spécial des Nations unies, comme il est resté muet lorsque le Conseil de l’Europe l’a interrogé à la suite de la publication d’une alerte des Fédérations internationale et européenne des journalistes sur la Plateforme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes, dénonçant les conditions de détention arbitraires et scandaleuses de Julian Assange.

L’assemblée parlementaire de ce Conseil, qui représente 47 États-membres, dans une résolution émise le 28 janvier sur les menaces qui pèsent sur la liberté des médias et des journalistes, a rappelé qu’elle considérait que « la détention et les poursuites judiciaires contre M. Julian Assange crée un dangereux précédent pour les journalistes », et appelle les États à « prévenir le mauvais usage des lois – notamment celles sur la diffamation, l’anti-terrorisme, la sécurité nationale, l’ordre public, les discours de haine, le blasphème et les lois mémorielles – trop souvent appliquées pour intimider ou réduire au silence les journalistes. »

Une campagne internationale de soutien

En attendant que l’histoire juge tous ces prédateurs de la liberté d’expression, de plus en plus de citoyens et d’organisations dans le monde considèrent aujourd’hui que le cas Assange, au-delà de sa situation personnelle difficile, ou des controverses sur certaines méthodes de Wikileaks, reste emblématique pour la liberté de la presse. Parmi ses très nombreux soutiens, on compte des organisations comme la Freedom of Press Foundation, Reporters sans frontières, Human Right Watch, Amnesty International, la Fédération internationale des journalistes (FIJ), l’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU), des penseurs comme Noam Chomsky, de nombreux juristes, politiciens et journalistes partout dans le monde, des artistes et des musiciens comme Roger Waters ou M.I.A – et cette liste n’est pas exhaustive. Même une des victimes collatérales de Wikileaks, Quentin Lafay, dont les informations privées ont été divulguées avec les « Macron Leaks », soutient Assange, dans une tribune dans le journal Le Monde, pour sa contribution à des révélations majeures.

Fin janvier, à l’initiative du collectif belge Belgian4Assange, pendant trois jours sur la place de la Monnaie à Bruxelles, rebaptisée pour l’occasion « Place Julian-Assange » nombreux ont été ceux qui se sont mis debout sur la quatrième chaise (vide) de la sculpture itinérante de Davide Dormino, « Anything to say ?» (« Quelque chose à dire ? »), représentant Assange, Manning et Snowden, debout face au monde. Cette chaise invite à contempler l’état inquiétant des démocraties.

La mobilisation a aussi été l’occasion de rendre hommage à tous les autres lanceurs d’alerte, peut-être moins connus, tel qu’Antoine Deltour, l’auditeur français à l’origine de l’affaire « LuxLeaks », qui a dévoilé à un journaliste de la chaîne de télévision France 2 le système bien huilé d’optimisation fiscale de multinationales via le Luxembourg, ou l’hacker portugais, Rui Pinto, qui a, quant à lui, révélé les « Football Leaks » et récemment les « Luanda Leaks ». Il a transmis des millions d’informations au journal allemand Der Spiegel sur l’opacité des transferts de joueurs ou l’évasion fiscale de certaines stars du ballon rond, qui ont été condamnées depuis. Rui Pinto est toujours en prison à Lisbonne, en attente d’un procès pour 93 charges d’accusations.

Début février, on a pu saluer la décision de la justice brésilienne de suspendre (provisoirement) les accusations de cybercriminalité contre le journaliste Glenn Greenwald, qui avait révélé, dans son média The Intercept, le contenu de messages piratés prouvant des collusions gênantes entre l’ex-juge et ministre de la Justice Sergio Moro et les procureurs de l’enquête anticorruption « Lava Jato ». Glenn Greenwald avait, en 2013, aidé à la révélation des informations fournies par Edward Snowden sur la surveillance des services secrets britannique et américain.

Les journalistes ont toujours besoin d’informateurs ou de lanceurs d’alerte et dans le cas d’Assange, ce n’est pas en emprisonnant et en bâillonnant le messager qu’on empêchera la vérité d’éclater au grand jour. Julian Assange, Edward Snowden, Chelsea Manning et tous les autres sont les « résistants » du XXIe siècle. Tous ces héros contemporains ont sacrifié leur liberté pour l’information et ont sacrifié leur vie pour la vérité.

This article has been translated from French.