Programme 2030 : quel rôle jouent les syndicats ?

Programme 2030 : quel rôle jouent les syndicats ?

Trade union engagement has been key to the inclusion of priorities such as decent work in the 2030 Agenda.

(Solidarity Center)
Opinions

En 2015, les Nations Unies ont adopté un nouveau cadre pour le développement durable, le Programme 2030, qui se compose d’une série d’objectifs, dénommés Objectifs de développement durable (ODD), à l’égard desquels tous les pays ont fait part de leur engagement. Le Programme 2030 fait suite aux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD, 2000-2015), avec une dimension plus générale. Les OMD s’inscrivaient essentiellement dans une logique de clivage Nord-Sud, alors que le Programme 2030 s’applique à tous les pays – développés et en développement – et va au-delà du seul objectif d’élimination de la pauvreté.

Avec ses 17 Objectifs de développement durable, ses 169 cibles et ses nombreux indicateurs, le Programme 2030 se propose d’offrir pour la première fois un cadre holistique qui réunit les dimensions sociale, économique et environnementale dans le but de favoriser le progrès universel.

Il s’agit sans conteste d’une avancée considérable par rapport aux OMD, mais le Programme 2030 manque encore de puissance quant à sa mise en œuvre. En effet, le succès du Programme 2030 dépend entièrement du respect des promesses formulées par les pays.

Les organisations de la société civile ont à maintes reprises sollicité un cadre pluripartite contraignant et un système de contrôle pour soutenir la mise en œuvre des ODD, mais ces demandes sont restées lettre morte pendant les négociations. En conséquence, le processus intergouvernemental de communication d’informations s’effectue uniquement de manière volontaire – et c’est précisément sur ce point que les organisations de la société civile vont s’efforcer d’agir.

Les tendances politiques et socioéconomiques actuelles posent d’immenses difficultés au mouvement syndical dans son ensemble. Les inégalités en matière de répartition de la richesse mondiale sont colossales et jamais les revenus n’ont été aussi inégaux ; 1 % de la population mondiale possède aujourd’hui une richesse équivalente à celle que se partagent les 99 % restants. De nombreuses familles qui travaillent éprouvent des difficultés pour payer un logement décent, des soins de santé adaptés, une assurance vieillesse et une éducation décente pour leurs enfants. Cette concentration des richesses exclut la grande majorité des individus et génère une polarisation qui entraîne les travailleurs vers l’économie informelle, qui ne cesse de se développer.

Augmentation des inégalités

L’affaiblissement des institutions du marché du travail est l’une des principales causes de l’augmentation des inégalités. Le « paradigme de réforme structurelle » néolibéral utilisé depuis les années 1980 par les institutions mondiales, qui rencontre actuellement un vif regain d’intérêt, a pour effet d’encourager les processus de privatisation et de diminuer progressivement le rôle de l’État dans la prestation accessible de biens et de services.

L’intégration actuelle des économies nationales aux marchés mondiaux et l’expansion des chaînes mondiales d’approvisionnement ont renforcé la concurrence et incité les entreprises mondiales à réduire les coûts de la main-d’œuvre par la restructuration, l’externalisation et la délocalisation. L’évasion et la fraude fiscales suscitent de plus en plus d’inquiétude. En outre, l’externalisation des coûts environnementaux est un obstacle considérable à la durabilité de l’environnement.

Par ailleurs, ce sont les intérêts commerciaux qui prévalent dans les programmes de commerce international, sacrifiant le multilatéralisme pour privilégier les relations bilatérales. Au final, la gouvernance internationale est bien loin de n’exclure personne. Au contraire, elle est toujours contrôlée de manière excessive par des économies puissantes qui se caractérisent par la faiblesse de leurs systèmes de responsabilité.

Le changement climatique et la nécessité d’opérer une transition vers des sociétés à faible intensité de carbone vont exiger une transformation très importante du fonctionnement des économies et des industries. Pour éviter de passer sous silence le coût social de cette transformation, le changement doit commencer au travail : les plans nationaux de « transition juste » sont indispensables pour réorienter correctement les personnes qui travaillent dans les secteurs à forte émission de CO2 et proposer des mesures d’adaptation satisfaisantes aux travailleurs qui subissent les effets du changement climatique.

Le mouvement syndical doit lutter contre ces immenses difficultés au moyen d’actions et d’instruments propres à l’engagement des syndicats. Dans cette perspective, les ODD offrent sans aucun doute une solution efficace pour donner plus de poids aux efforts des syndicats. C’est pourquoi ils se sont fortement engagés, et ont joué un rôle considérable, dans l’élaboration de le Programme 2030. Ce travail a permis d’intégrer des priorités telles que le travail décent (Objectif 8), l’égalité de genre (Objectif 5), la lutte contre les inégalités (Objectif 10) et la transition juste (Objectif 13), entre autres.

Méthode syndicale pour la mise en œuvre des ODD

La promotion de le Programme pour le travail décent reste le principal enjeu de la contribution des syndicats à le Programme 2030. L’Agenda pour le travail décent, qui repose sur les droits et l’appropriation démocratique, est à la base du développement durable, par opposition aux interventions palliatives.

Les droits humains et les droits du travail, la négociation collective, le dialogue social, la protection sociale et l’égalité de genre sont non seulement les éléments essentiels d’une croissance économique durable, mais aussi les piliers du renforcement de la démocratie. La consolidation des processus démocratiques constitue, à son tour, la pierre angulaire d’un développement juste.

Les syndicats s’engagent aux niveaux national, régional et mondial pour soutenir ces priorités, en instaurant le dialogue avec les gouvernements nationaux et les organisations d’employeurs. En Suède, par exemple, le gouvernement a nommé en 2016 une délégation composée de personnes de différents secteurs de la société pour mettre en œuvre le Programme 2030.

Cette délégation avait pour mission d’élaborer un plan d’action en organisant « une grande consultation avec de nombreuses parties prenantes différentes : entreprises, société civile et syndicats, entre autres », écrit Oscar Ernerot, de LO Suède, dans un article pour le site Internet de la CSI. « LO, par son savoir-faire, contribue à établir la relation entre la fonction du marché du travail et le Programme 2030. La position de LO est claire, l’autonomie des partenaires sociaux doit être pleinement respectée dans le plan d’action en ce qui concerne les objectifs et les cibles à prendre en compte », indique Ernerot.

Toutefois, les gouvernements et les entreprises vont devoir adapter leurs politiques et leur mode de fonctionnement pour contribuer correctement à la réalisation des ODD. Les Objectifs 8, 5 et 10 requièrent la mise en œuvre de cadres politiques rigoureux pour l’emploi, de politiques de salaires fermes, en particulier sur le salaire minimum, de systèmes d’inspection du travail et de protection sociale. Les entreprises doivent garantir la diligence raisonnable pour respecter les droits du travail et de l’environnement, et pour veiller à la transparence et à la responsabilité financière.

Ces tâches extrêmement importantes doivent être effectuées par des institutions du marché du travail et reposer sur le dialogue social et la négociation collective. Réunir les représentants des travailleurs et des employeurs, au moment de prendre des décisions qui influeront sur les conditions sociales, économiques et environnementales, permettra de renforcer la stabilité des institutions.

Il apparaît nettement que le dialogue socialpeut favoriser le progrès socioéconomique, et qu’il peut donc faciliter la mise en œuvre des ODD. Mais il est vrai aussi qu’il nécessite un environnement favorable basé sur le respect des droits du travail et la pleine reconnaissance du rôle des syndicats.

Malheureusement, ce n’est pas le cas dans de nombreux pays, en particulier dans les pays de l’hémisphère sud.

Au Zimbabwe, par exemple, les syndicats constatent que « le gouvernement du Zimbabwe, pressé de mettre au point le document sur sa position à l’égard des ODD, n’a pas pris en considération un des principes fondamentaux clairement définis pour parvenir à atteindre les ODD, à savoir la volonté de n’exclure personne », écrit Naome Chakanya, chargée de recherche au Labour and Economic Development Research Institute of Zimbabwe (LEDRIZ), l’organe dédié à la recherche sur le travail de la fédération syndicale Zimbabwe Congress of Trade Unions (ZCTU). Chakanya a récemment écrit dans un article que le ZCTU avait été exclu de la consultation qui avait donné lieu au document de 2015 sur la position du gouvernement, et contribué à élaborer la stratégie de mise en œuvre des ODD. « Paradoxalement, l’Objectif 8 figure parmi les objectifs prioritaires », souligne-t-elle.

Parallèlement, en Argentine il n’y a aucun dialogue entre le gouvernement et les syndicats sur la mise en œuvre des ODD. « Le gouvernement a montré à de nombreuses reprises que les alliances censées n’exclure personne étaient en fait des alliances passées avec le secteur privé. Le monde du travail n’a été consulté qu’une fois sur la question des indicateurs des ODD, et encore, c’était dans le cadre d’une manifestation de l’OIT », signale Marita Gonzalez, de la Confederación General del Trabajo d’Argentine.

Ces exemples montrent clairement qu’il faut encourager et soutenir le dialogue social bipartite et tripartite au niveau national. Le dialogue social doit devenir un élément incontournable dans le cadre du processus d’examen mondial de le Programme 2030.